Added May 7, 2005
Ecrivain : Florin Toma
Parfois, il suffit de se tenir immobile, pour avancer. La fameuse halte pour reprendre souffle. Le moment de balancer, de remplir d'air frais les alvéoles nécessaires à respirer l'avenir. C'est ainsi que l'on arrive à conquérir tous les autres, absolument, définitivement. Et, si vous avez de la chance, et le monde s'occupe à quelque chose d'autre, il n'y aura nul qui puisse vous empêcher d'y aboutir. Mais le contraire tragique à cette victoire est le mouvement circulaire. Celui que, puisque l'arc du cercle est trop grand, on ne ressent plus. Le trajet ne peut ainsi être saisi que de très haut, comme pour les dessins de Nazca. Et c'est comme ça que naît le cercle des aspirations disparues. Rarement, et avec beaucoup de chance, après de longues errances, on arrive à trouver l'unique issue du cercle : la connexion au temps. En effet, même si elles tournent dans le même espace jusqu'à en avoir le vertige, les aiguilles de l'horloge avancent jusque loin, très loin, près de la frontière de l'éternité. Et ça, et bien ça c'est un triomphe.
Pas plus loin qu’hier, Maia Oprea était l'enfant prodige de la peinture contemporaine roumaine, triomphant tour à tour sur les redoutes de méfiance défendues par les sceptiques montant la garde. A peine admise à l'Université de Beaux-arts elle avait l'air d'un retraité atterri au milieu des novices, un adulte errant, solitaire, dans une maternelle, car sa biographie jusqu’ au moment où elle devenait étudiante, était déjà extrêmement riche (avec de très précoces études artistiques dans l'espace anglo-saxon). Par le parfum frais, tout en restant profond, de sa peinture, par ses solides visions, mûres, accomplies (même si, plus tard, le long des années, elle les a douloureusement exorcisées, mais avec du talent et dans un ordre parfait), ainsi que par une extraordinaire maîtrise de la couleur, soutenue par une surprenante assurance de la trace, Maia Oprea a gagné le droit à un follow-up, dont, de règle, ne bénéficient que les maîtres ayant derrière eux un grand passé. Je remarquais, à l’époque, un paradoxe revigorant, car, exception faite la suspicion initiale, en fin de compte naturelle, celui-ci donnait l’impression d’un doute dissipé. Entre la dilatation d’un imaginaire étonnamment mûr et presque classicisé, et l’innovation ludique, à des accents bien justifiés et (impossible à escamoter) juvéniles, qui ouvraient une porte sémiotique vers la "zone beat", s’étendait le territoire de la certitude (la nonchalance de la profondeur menée jusqu’à la limite de l’impertinence conduisait à y ressentir un léger parfum de Kerouac, Burroughs ou Ginsberg …que ce soit la conséquence de ses études américaines ?!). C’était sans doute : Maia courait droit vers son avenir. Et elle avait gagné, comme je l’ai déjà dit, le droit qu’on ait les yeux braqués sur elle.
Après les généreuses expériences faites pendant les années d’étude, la voilà aujourd’hui à la fin de cette période d’instruction. La série de tableaux portant le titre "Dust" (ce qui pourrait signifier terre, mais aussi poussière, cendres, amplifiant ainsi d’une manière spectaculaire la sémantique de sa démarche), exposée à la Galerie Mélénia, compose l’ouvrage de fin d’études de Maia Oprea. A une première vue on peut constater que son "psychon" artistique se complique. Et, comme au cas de toute complication, il arrive au tragique. Par dommage, car dans l’espace de l’imaginaire ludique il s’est comprimé jusqu’à prendre presque la forme d’une ligne, se laissant envahir (bien que l’on sache, eh oui, que l’imaginaire n’a jamais les mêmes expressions, ni même dans l’œuvre d’un unique artiste), se laissant donc assiéger par une autre espèce de fantasmes. Plus pesantes. Plus nerveuses. Plus terrifiantes. Plus dépressives. Plus grises. Comme un ciel de plomb qui se rappelle avoir été, jadis, serein. Ce qui tient, peut-être, plutôt à l’illumination (se ralliant ainsi à Antoine de Saint-Exupéry qui disait « Connaître ce n’est point démontrer, ni expliquer. C’est accéder à la vision »).
Ces silhouettes indéfinies, se trouvant à la frontière de l’anthropologique et du zoomorphe, nous rendent pensifs (c’est, donc, une démarche proche à l'acquisition de la connaissance). La remontée de l’observation (et par cela de la perception) artistique au moment de l’éruption créatrice présume d’abord de renoncer aux ornements stylistiques producteurs de redondance. Nous avons, dans ce cycle «Terre Ferme», un manifeste qui est à la fois celui de l’immédiat d’une violence silencieuse, et celui d’une (poétique) perte, par délicatesse, de l’enfance.
Et maintenant, la parole à l’artiste : Les personnages qui peuplent l’espace de ces ouvrages sont mis en évidence justement par leur manque d’individualité. Ce sont des corps normaux centrés autour des souvenirs supprimés ou des choses intimes à moitié oubliées, qui sont en même temps personnelles et individuelles pour chacun de nous.
Et pourtant, comme rien n’est certain au monde, n’importe quel exercice
de prédictibilité concernant l’œuvre d’un artiste, soit-il adolescent, jeune ou adulte, court des risques. Peut-être qu'aussi cet intervalle que Maia Oprea parcourt s’insère-t-il au code esthétique de son âge, comme une nouvelle relation avec le Temps.
D’autre part, elle doit prendre soin à rendre plus puissante et à prolonger son impertinence esthétique, tellement nécessaire pour échapper au célèbre "merry-go-round" des fantasmes, péril qui guette n’importe quel créateur. En tout cas, je me figure que ce serait du déjà-su d'observer que derrière tout homme mûr, muni de sérieux, se cache, espiègle, le grand orgueil dorloté, (...) d’un enfant qui gronde parce qu’on n’a pas exaucé tous ses vœux. Que Dieu le garde d’en être suffoqué !