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Thierry Guého

Back to list Added Apr 10, 2015

L’art de Thierry Guého, un « secret manifeste »

Thierry Gueho, artiste majeur ? Voilà qui est incontestable ! Il l’est par sa maîtrise de tous les genres picturaux ; par sa sûreté éprouvée dans l’emploi des techniques les plus diverses ; par sa pratique virtuose des manières en usage chez les grands peintres du 20e siècle ; enfin par sa connaissance esthétique, doublée d’une érudition prodigieuse lui permettant de ressusciter sans difficulté une période qu’il affectionne : celle de la Renaissance allemande et italienne.
On objectera : voilà justement ce qui fait problème ! De la peinture au 21e siècle, à quoi bon ? A une époque où jamais la production et la diffusion instantanée des images n’a été aussi facile ? Pourquoi se consacrer à une activité aussi désuète et condamnée à reproduire – si ce n’est : à ruminer même – le passé ?
A cette objection courante, l’art de Thierry Gueho apporte une réponse que je crois définitive. Sa peinture n’est qu’en apparence tournée vers le passé ; à une civilisation prisonnière du présent et se déployant tout entière dans une dimension horizontale, cet art oppose une vision vers la profondeur. L’œil de Thierry Gueho – et sans doute celui de tout peintre authentique – ne regarde pas en arrière, il jette des coups de sonde, plonge jusqu’au fond de notre mémoire.
Quant au geste du peintre : il est devenu banal, depuis Paul Klee, J.Pollock et quelques autres, de définir celui-ci comme un « cheminement ». Un grand nombre d’œuvres de Thierry Gueho le confirment aisément : il suffit de se reporter à des titres tels que « Le chemin », « Cheminement », « Le voyageur », « Passage », « L’égaré »… L’essentiel est pourtant ailleurs : ce chemin nous conduit vers l’intérieur. De quelle « intériorité » s’agit-il ici ? La peinture aurait-elle pour vocation de révéler, à la manière d’une psychothérapie, les arcanes de notre âme ? Cela n’est pas exclu, si l’on en croit quelques autoportraits de Thierry Gueho effectivement troublants. Tel n’est cependant pas son but. Si son chemin conduit la peinture « vers l’intérieur », c’est parce que celle-ci emprunte, conformément à la célèbre formule de Novalis, « le chemin du mystère ». En digne héritier de la pensée romantique, Thierry se met en route vers ce mystère. Est-ce pour le sonder, l’interpréter, le percer ? Sa réponse subtile exige une grande attention, tant il semble que c’est là que réside l’originalité de son message.
A la mise en scène de nos émotions et états d’âme, Thierry Gueho préfère celle des grandes figures de la mythologie (notamment biblique ou germanique), des héros et des héroïnes ces représentants de nos rêves collectifs - , de leurs aventures et de leurs exploits ; c’est moins dans leurs passions que dans leurs actions qu’il aime les figurer. Il prend ainsi le parti du mouvement, de la poursuite d’un objectif ; sur sa route il croise donc fatalement les personnages détenteurs d’un savoir ou d’un pouvoir et les met à la question : ce sont les sages, devins, magiciens, « vieillards » presque toujours, que leur âge n’empêche pas d’être parfois « verdoyants » - c’est-à-dire dotés d’une vitalité surnaturelle. Ces figures mythologiques ne nous conduisent-elles pas – au-delà des innombrables anecdotes auxquelles elles renvoient – jusqu’au secret ultime, celui de la création et de la créativité elle-même ? Les constantes allusions à l’alchimie et à l’ésotérisme qui parsèment les œuvres semblent répondre par l’affirmative.
Une chose cependant, est d’évoquer sur la toile cet art mystérieux et d’en donner le spectacle ; une autre est de le vivre et de le restituer dans toute son exigence pour notre temps. Est-ce une tâche impossible, une gageure ?
Nul doute, à observer le travail de la quête alchimique dans l’élaboration des œuvres, dans le conflit des formes qui tentent de s’arracher au chaos ; de se cristalliser en triangles, pyramides et cubes ; ou encore de se répandre en coulées écumantes qui, s’échappant d’un creuset magique, donnent naissance à un corps nouveau et étincelant et accomplissent ainsi « l’œuvre », c’est-à-dire le miracle d’une transmutation ; nul doute en effet que Thierry Gueho soit lui-même cet « adepte » d’un art très ancien égaré dans notre temps et qu’il ait parcouru pour lui-même le chemin qui le menait vers son véritable « soi », au cœur du labyrinthe.
Elégance supérieure : il le fait sans se départir de son humour, en se dépeignant comme un simple et presque ridicule « témoin » du processus alchimique ; il se met en retrait, laissant à chacun le soin de se mettre en marche et d’aborder à son tour, en toute humilité, l’évidence impénétrable du « secret » pourtant « manifeste » qu’avait aperçu Goethe. L’attitude convenable face à ce mystère, c’est une figure familière à notre artiste, c’est le poète et savant mystique persan Omar Khayyam qui la définit :

Contente-toi de savoir que tout est mystère
(…)
La destinée du monde et la tienne.
Souris à ces mystères comme à un danger
Que tu mépriserais.

Remercions Thierry Gueho, peintre et poète, de nous faire partager cette sagesse.


Georges BLOESS, Kremlin-Bicêtre, avril 2015

Artmajeur

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