Poetique du théorème II (2025) Baskıresim Lionel Morateur tarafından

Estampe numérique sur toile, livrée chassis démonté.

« Poétique du théorème II », se dresse devant nous telle une énigme picturale, fusionnant l’imaginaire mathématique et une charge tragique Cette composition, saisissante par sa théâtralité baroque et son audace symbolique, s’offre à la contemplation comme un manifeste visuel où le rationnel et le poétique s’entrelacent.

Au cœur de la toile, un cheval cabré, monumental, semble surgir d’un rêve ou d’une confrontation hallucinée contre les forces du destin. Sa musculature exagérée, tendue dans un mouvement impossible, évoque à la fois l’élan vital et la violence de la torsion, du déchirement. Ce n’est pas l’animal noble d’une parade classique, mais une créature transfigurée par la douleur et la beauté mêlées, criblée de piques, transpercée par des vecteurs qui rappellent autant des lances martiales que des signes géométriques issus d’une figure d’Euclide. L’effet est saisissant : le corps s’ouvre, se fragmente, laissant jaillir non du sang, mais un jaillissement de tissus rouges et violets, allégories de la pensée et de la chair humaine, enveloppant le récit d’une certaine majesté sacrificielle.

La toile trouve sa véritable originalité dans le dialogue sous-jacent entre l’ordre scientifique et l’ivresse poétique. Les piques, qui semblent dessiner un polyèdre invisible, sont comme des axes de coordonnées, des vecteurs chargés de signification, traversant l’espace du tableau et le corps du cheval dans un ballet austère. Cette géométrisation du drame animal imprime à la scène une tension conceptuelle — la tentative d’enfermer le chaos vital dans le filet d’un théorème. À cela s’ajoute, non sans ironie, la présence de fragments d’écriture manuscrite, presque indéchiffrables, qui flottent telles des équations dans une atmosphère de crépuscule apocalyptique, ajoutant une couche d’hermétisme et d’élégance mystérieuse.

L’arrière-plan, une vaste étendue céleste irisée de nuages tourmentés, s’inscrit dans la tradition romantique. Les volutes de couleurs pastel sur la droite contrastent violemment avec les noirs tempétueux de la gauche, accentuant la dynamique du cheval arraché à la lumière de l’aurore pour être happé par l’ombre. Les montagnes stylisées et la plaine en contrebas ouvrent le champ de l’image vers une profondeur infinie, un espace mental où la scène pourrait n’être qu’une projection, un théâtre métaphysique.

Le socle rocheux, travaillé à grands coups de pinceau, ancre la scène dans une matérialité brute, presque archaïque. Il évoque tantôt un promontoire de tragédie antique, tantôt la base d’un autel sacrificiel, où la matière elle-même semble se dissoudre, se soulever en éclats. Les inscriptions inscrites à la lisière du tableau, semblables à des formules, participent de cette dialectique de la ruine et de la connaissance, de l’effondrement et de la reconstruction perpétuelle du sens.

La « Poétique du théorème » n’offre pas de narration linéaire. Elle invite, dans son ambiguïté, à une réflexion sur la violence du savoir, sur l’acte même de traverser le réel par la pensée abstraite — quitte à blesser, à lacérer, à exposer à vif ce qui, en nous, demeure indomptable, animal, sublime. Par l’hybridation des styles (on y retrouve des échos de Dali, de Géricault, de Rembrandt), par l’impureté revendiquée de ses matériaux visuels, la toile atteint à une forme de sublime moderne : l’effondrement du dogme et la naissance du poème, là où le calcul, loin de rassurer, ouvre sur l’inconnu.

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