Added Sep 11, 2006
La peinture de Monique Salazar est empreinte d'un onirisme qui laisse la première place aux présences humaines, manifestées par leurs visages, leurs corps, leur mains dont la couleur exprime les nuances affectives. Le monde lui-même, devenu abstrait, en arrière-plan, est une dimension abstraite traitée avec les techniques de l'abstraction géométrisante où perce une influence lointaine du cubisme. Comme chez Delvaux et Chagall, les personnes existent dans la peinture avec une intensité qui semble être le but même de cete peinture.
UN HUMANISME DU RÊVE
La peinture de Monique Salazar-Ferrer
(A propos de « Femmes voilées »)
Monique Salazar-Ferrer (née en 1938) vit à Pignans dans le sud de la France. Sa peinture révèle très tôt un univers marqué par son admira¬tion pour les oeuvres de Marc Chagall. Après avoir suivi des études de dessin et de peinture aux Beaux-Arts de Nice, et avoir réalisé de nombreu¬ses oeuvres, elle a développé, après une longue interruption dans sa création, un style très personnel. Empreintes d'un onirisme mystérieux, ses peintures nous mettent en présence de visages qu'il faut interroger. Le hiératisme silencieux de ses personnages nous rappelle la fragilité de la noblesse humaine et le secret de toute iniériorité. Ils sont présents à l'intérieur de la couleur avec une sorte d'évidence qui est celle de leur droit à exister. Dans cet univers, nulle violence, mais des présences qui revendiquent leur existence face au spectateur qui les regarde, établissant avec lui une connivence qui nous interroge à notre tour. Funambules, acrobates, promeneurs au clair de lune, femmes énigmatiques, semeurs ou chevaux bleus galopant sur les collines, Ils évoluent dans des paysages vaporeux que l'acrylique diffuse en teintes chaudes et nuancées. Comme les arrière¬-plans des paysages de la peinture de la Renaissan¬ce italienne, ils se fondent et se perdent dans le brouillard de la couleur L'espace sous-jacent est à peine structuré en formes géométriques. Colli¬nes évanescentes, forêts transparentes, ciels noc¬turnes et pourtant éclairés de l'intérieur : l'Imaginaire doit interroger ces paysages, Pourtant, il ne s'a¬p git ni de trouver des symboles ni seulement de les apprécier selon leurs qualités esthétiques, mais d'interroger un sens ouvert à l'imaginaire.
Les visages de femmes de Monique Salazar relèvent d'une énigme que nous devons ressentir, comme chez Magritte, Chirico ou Paul Delvaux. Silencieuses, elles proposent un mystère muet. Les voiles qui enveloppent leurs visages sont-ils des indices de leur pudeur? Ou bien sont-ils les signes d'une aliénation sociale ou religieuse de la femme, exclue, marginalisée et réduite, par des codes vestimentaires trop contraignants, à un simple rôle esthétique ? Evoquent Ils l’exclusion de celles qui appartiennent à une culture différente difficile à interpréter et à comprendre? Sont-elles des victimes ou des reines secrètes ? Nous ne le savons pas car ces tableaux ne font que nourrir en nous des questions et ne nous apportent aucune réponse, L'espace du vêtement européen a progressivement découvert le visage féminin depuis le XIXe siècle, le libérant de ses chapeaux, capuches, voilettes, ombrelles, éventails, le montrant au grand jour pour faire valoir ses droits, sa liberté, sa mobilité, son égalité avec le visage des hommes. Mais ce faisant, les stra¬tégies du secret et du dévoilement du visage admi¬ré, poursuivi ou passionnément aimé qui nous charmaient chez les héroïnes de Balzac, de Stendhal et de Dumas et dans les peintures de Manet furent perdues et elles firent de leur seul visage le paravent de leurs pensées. Le visage féminin entra dans un espace visuel public qui lui aussi à exercé ses violences et lui impose ses intrusions. D'autres armes existent pour sen protéger : dans le jeu implacable des regards dans un couloir de métro, dans une rue ou une salle d'attente, le regard se ferme, les yeux s'échappent, la pensée d'une femme se recouvre de la froideur d'un visage-masque. Sa vulnérabilité est perdue et avec elle la grâce et l'humanité qui sont les siennes. N'est-ce pas tout cela finalement que ce tableau interroge ? Alors que l'abstraction pure du mouvement, du geste coloré lance dans l'espace, laisse l'imagination dans le vide de toute sensibilité (humaine, alors que toute peinture figurative risque de surcharger l'imaginaire et de le faire prisonnier de ce qu’il veut représenter la peinture qui se tient sur la frontière entre le figuratif et l'ouverture du rêve ouvre ses portes à l'imaginaire. Nous pouvons donc regarder à nouveau ce tableau et percevoir la douceur, la compassion et la com¬plicité silencieuse de ces deux visages baignés dans la sensualité de la couleur. C'est probable¬ment en ce sens que l’on peut parler d'un humanisme du rêve dans les tableaux de Monique Salazar.
Olivier Salazar-Ferrer
Article paru dans : THS La Revue des Addictions, Vol VII. N°25, avril 2005.