1 oeuvre par Virginie Boutin (Sélection)
DisparÊtre • 1 oeuvre
DisparÊtre
À l’impossibilité de cesser d’être vue ou visible résonne l’impossibilité de se fuir pour[...]
DisparÊtre
À l’impossibilité de cesser d’être vue ou visible résonne l’impossibilité de se fuir pour se cacher soi-même.
On ne s’évade ni du regard de l’autre, ni de soi. Nulle désertion possible. Impuissance fondamentale à disparaître. S’exiler. Extramuros.
En dehors de soi, c’est le réel. Tout ce qui est et ne dépend pas de moi pour exister.
Comme tel, un hors-soi.
Or, c’est toujours depuis moi que j’appréhende le réel.
Et ça n’est paradoxal que pour soi, au pluriel.
On regarde le dehors du dedans.
Depuis un espace intime, invisible.
Être visible dans un monde perçu par un monde invisible. Donnée inhérente à tout vivant. Chacun vit dans un corps, à la fois unique et commun, dont on ne peut sortir, perceptible par les autres mais imperceptible à soi.
Notre expérience universelle du réel se joue ici, dans la contingence d’être un corps singulier en proie à la nécessité d’exister.
Un corps double. Visible et invisible. Apparent et intime.
Un premier monde à l’intérieur du monde.
Une réalité interne au réel. Exemptée d’utilité.
Car le réel est la condition de notre existence sans que notre existence soit la condition du réel.
Les causes de soi sont en dehors de nous.
Or, on ne s’abstrait pas de soi.
Le réel ne nous est accessible que par le prisme de nos sens et ne se fait intelligible que depuis notre propre intelligence.
Notre corps appose son cadre au réel. Mais le réel déborde du cadre.
Le réel est un hors-champ.
Comme tel, hors d’atteinte.
Excepté pour les frontières humaines.
Comment ne pas désirer voir ce qu’il y a derrière la ligne d’horizon que dessine la mer, la crête des montagnes, le ciel étoilé, les profondeurs sous-marines, sous-terre, au cœur de la cellule ou même dans la tête des gens ? On explore le dehors et aujourd’hui mieux que jamais, le dedans, l’invisible à l’intérieur du vivant. Ce que l’on cherche ?
Soi. Au milieu de tout ça.
Le sens que cela a, d’être là. La certitude du non-sens de tout cela. Ou la fluctuation du doute, l’oscillation pour seule orientation.
La vérité, l’absurde, les vacillements permanents, qu’importe. Une raison d’être ou pas. Pourvu que l’on trouve quelque chose ou rien en lieu et place de ce Tout qui ne nous regarde pas.
Des réponses à nos pourquoi.
Du sens. Son absence. Du sens à son absence.
Le pourquoi du comment.
Sans se demander pourquoi on se demande pourquoi.
Les autres espèces interrogent-elles la carapace qu’elles portent sur le dos, le poil sur leur peau, la nécessité de se nourrir du vivant pour survivre, pourquoi mourir ? S’imaginent-elles avoir été créées par une intelligence supérieure dont il s’agirait de percer les mystères pour comprendre le sens que revêt le fait d’exister ?
Partage-t-on cette intimité du pourquoi ?
Ou parviennent-elles à vivre dans un corps qui n’a de sens que pour lui-même et dont la survie est le nécessaire sens de la vie ?
C’est acceptable pour le vivant. Mais pour les autres ? Pour l’inerte, les phénomènes, le minéral, etc. qu’en est-il ? Continuer à être, sans raison d’être ou de ne pas être ?
À croire qu’il nous est impossible de croire qu’il n’y ait rien à croire.
Être réel - notre modalité commune dont les innombrables réalités nous sont insondables.
On ne se sait toujours pas quel effet cela fait d’être une chauve-souris, sa mère, Picasso, un arbre centenaire ou une quelconque pierre. On ne peut pas sortir de soi, aller penser dans d’autres têtes que la nôtre et s’éprouver dans d’autres corps que le sien. Sinon, artificiellement.
Ce que l’on fait.
On prolonge le corps pour mieux en sortir. En l’imitant, le plus souvent, que l’on pense au simple marteau comme extension du bras, ou en copiant le dehors, comme en témoigne l’avion, ce joli acronyme pour Appareil Volant Imitant l’Oiseau Naturel.
Mon appareil photographique est lui-même un œil externalisé. Un prodigieux prolongement de ma vision. Comme il en existe tant. De ce point de vue, le développement de l’intelligence artificielle s’annonce parmi les plus significatives externalisations du corps.
Or, si nos prothèses nous prolongent, on ne sort pas de soi. On agrandit le soi et on engendre des réalités partagées.
Nous ramenons de nos explorations des images et des informations produites à partir de nos propres instruments d’observation et de mesure du réel, que nous analysons toujours depuis notre réalité corporelle et ses projections conceptuelles.
Là où nous pensons dépasser le cadre assigné à notre corps, nous ne faisons que rapporter le réel à notre échelle. Malgré notre artillerie technologique pour voir l’infiniment grand ou l’infiniment petit, on ne change pas la vision humaine. Et notre vue nous est invisible.
Notre animalité inscrit notre réalité dans la chair.
A ce détail près que notre réalité d’espèce tolère mal sa propre condition et projette, de façon manifeste, de la dépasser.
Vivre une réalité humaine, c’est avoir question à tout et réponse à rien. Et ne pas le supporter. On invente alors des réponses à tout et des questions pour rien.
On finit par trouver ce que l’on cherchait, c’est-à-dire ce que l’on espérait trouver.
L’intelligence du réel. Dont partager l’intimité. La résonance avec soi.
Vérité, Dieu, Évolution, qu’importe les noms d’usage, l’intelligibilité de ce qui est, comme point d’ancrage.
On piste les traces d’un présupposé plan ou projet. Ne serait-ce qu’une esquisse – l’imagination prolongera le trait.
Une cause aux choses, des intentions dissimulées, traquées par notre intelligence, partout où elle est. Comme autant de sillons laissés par son empreinte. Car la pensée ne peut pas se quitter, elle est inapte à ne pas penser. Déformation humaine, trop humaine. Ne pas penser lui est impensable.
Feint-elle de l’ignorer ? La pensée n’attrape pas le réel, elle se poursuit elle-même.
Son réel est un miroir déformé qui réfléchit son propre reflet. En somme, sa réalité.
Virginie Boutin, 2022.
À l’impossibilité de cesser d’être vue ou visible résonne l’impossibilité de se fuir pour se cacher soi-même.
On ne s’évade ni du regard de l’autre, ni de soi. Nulle désertion possible. Impuissance fondamentale à disparaître. S’exiler. Extramuros.
En dehors de soi, c’est le réel. Tout ce qui est et ne dépend pas de moi pour exister.
Comme tel, un hors-soi.
Or, c’est toujours depuis moi que j’appréhende le réel.
Et ça n’est paradoxal que pour soi, au pluriel.
On regarde le dehors du dedans.
Depuis un espace intime, invisible.
Être visible dans un monde perçu par un monde invisible. Donnée inhérente à tout vivant. Chacun vit dans un corps, à la fois unique et commun, dont on ne peut sortir, perceptible par les autres mais imperceptible à soi.
Notre expérience universelle du réel se joue ici, dans la contingence d’être un corps singulier en proie à la nécessité d’exister.
Un corps double. Visible et invisible. Apparent et intime.
Un premier monde à l’intérieur du monde.
Une réalité interne au réel. Exemptée d’utilité.
Car le réel est la condition de notre existence sans que notre existence soit la condition du réel.
Les causes de soi sont en dehors de nous.
Or, on ne s’abstrait pas de soi.
Le réel ne nous est accessible que par le prisme de nos sens et ne se fait intelligible que depuis notre propre intelligence.
Notre corps appose son cadre au réel. Mais le réel déborde du cadre.
Le réel est un hors-champ.
Comme tel, hors d’atteinte.
Excepté pour les frontières humaines.
Comment ne pas désirer voir ce qu’il y a derrière la ligne d’horizon que dessine la mer, la crête des montagnes, le ciel étoilé, les profondeurs sous-marines, sous-terre, au cœur de la cellule ou même dans la tête des gens ? On explore le dehors et aujourd’hui mieux que jamais, le dedans, l’invisible à l’intérieur du vivant. Ce que l’on cherche ?
Soi. Au milieu de tout ça.
Le sens que cela a, d’être là. La certitude du non-sens de tout cela. Ou la fluctuation du doute, l’oscillation pour seule orientation.
La vérité, l’absurde, les vacillements permanents, qu’importe. Une raison d’être ou pas. Pourvu que l’on trouve quelque chose ou rien en lieu et place de ce Tout qui ne nous regarde pas.
Des réponses à nos pourquoi.
Du sens. Son absence. Du sens à son absence.
Le pourquoi du comment.
Sans se demander pourquoi on se demande pourquoi.
Les autres espèces interrogent-elles la carapace qu’elles portent sur le dos, le poil sur leur peau, la nécessité de se nourrir du vivant pour survivre, pourquoi mourir ? S’imaginent-elles avoir été créées par une intelligence supérieure dont il s’agirait de percer les mystères pour comprendre le sens que revêt le fait d’exister ?
Partage-t-on cette intimité du pourquoi ?
Ou parviennent-elles à vivre dans un corps qui n’a de sens que pour lui-même et dont la survie est le nécessaire sens de la vie ?
C’est acceptable pour le vivant. Mais pour les autres ? Pour l’inerte, les phénomènes, le minéral, etc. qu’en est-il ? Continuer à être, sans raison d’être ou de ne pas être ?
À croire qu’il nous est impossible de croire qu’il n’y ait rien à croire.
Être réel - notre modalité commune dont les innombrables réalités nous sont insondables.
On ne se sait toujours pas quel effet cela fait d’être une chauve-souris, sa mère, Picasso, un arbre centenaire ou une quelconque pierre. On ne peut pas sortir de soi, aller penser dans d’autres têtes que la nôtre et s’éprouver dans d’autres corps que le sien. Sinon, artificiellement.
Ce que l’on fait.
On prolonge le corps pour mieux en sortir. En l’imitant, le plus souvent, que l’on pense au simple marteau comme extension du bras, ou en copiant le dehors, comme en témoigne l’avion, ce joli acronyme pour Appareil Volant Imitant l’Oiseau Naturel.
Mon appareil photographique est lui-même un œil externalisé. Un prodigieux prolongement de ma vision. Comme il en existe tant. De ce point de vue, le développement de l’intelligence artificielle s’annonce parmi les plus significatives externalisations du corps.
Or, si nos prothèses nous prolongent, on ne sort pas de soi. On agrandit le soi et on engendre des réalités partagées.
Nous ramenons de nos explorations des images et des informations produites à partir de nos propres instruments d’observation et de mesure du réel, que nous analysons toujours depuis notre réalité corporelle et ses projections conceptuelles.
Là où nous pensons dépasser le cadre assigné à notre corps, nous ne faisons que rapporter le réel à notre échelle. Malgré notre artillerie technologique pour voir l’infiniment grand ou l’infiniment petit, on ne change pas la vision humaine. Et notre vue nous est invisible.
Notre animalité inscrit notre réalité dans la chair.
A ce détail près que notre réalité d’espèce tolère mal sa propre condition et projette, de façon manifeste, de la dépasser.
Vivre une réalité humaine, c’est avoir question à tout et réponse à rien. Et ne pas le supporter. On invente alors des réponses à tout et des questions pour rien.
On finit par trouver ce que l’on cherchait, c’est-à-dire ce que l’on espérait trouver.
L’intelligence du réel. Dont partager l’intimité. La résonance avec soi.
Vérité, Dieu, Évolution, qu’importe les noms d’usage, l’intelligibilité de ce qui est, comme point d’ancrage.
On piste les traces d’un présupposé plan ou projet. Ne serait-ce qu’une esquisse – l’imagination prolongera le trait.
Une cause aux choses, des intentions dissimulées, traquées par notre intelligence, partout où elle est. Comme autant de sillons laissés par son empreinte. Car la pensée ne peut pas se quitter, elle est inapte à ne pas penser. Déformation humaine, trop humaine. Ne pas penser lui est impensable.
Feint-elle de l’ignorer ? La pensée n’attrape pas le réel, elle se poursuit elle-même.
Son réel est un miroir déformé qui réfléchit son propre reflet. En somme, sa réalité.
Virginie Boutin, 2022.
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