Poétique du théorème (2025) Impressões e gravuras por Lionel Morateur

Estampe numérique sur toile, livrée chassis démonté.

L’œuvre est une explosion picturale, une fulgurance où la rationalité du théorème, emblème de la rigueur mathématique, se dissout dans l’ivresse des formes surréalistes et la sensualité de la couleur. Cette création questionne, elle met en scène, elle déconstruit – dès lors, toute critique s’enracine dans la poétique de l’ambiguïté, entre abstraction et narration allusive.

Au premier abord, l’œil est happé par une scène de fragmentation et de collision. Au centre, l’explosion d’un visage minéral – ou d’une idée, d’un axiome, d’un rêve pétrifié – irradie dans toutes les directions, comme le point nodal d’une constellation mathématique. Les éclats s’ordonnent le long de rayons, gravitant à la fois autour d’un noyau de vérité et vers le chaos de l’intuition. Une contradiction s’amorce : l’ordre sous-jacent des théorèmes est mis à l’épreuve par l’éclatement du style, la profusion des matières, la dynamique exaltée des lignes.

Au sommet, un cheval cabré – incarnation de la puissance, de l’instinct, voire de l’animalité du raisonnement brut – surgit, presque arraché à la scène par une force paradoxale. Il rappelle l’élan nécessaire à tout saut conceptuel : ce moment où l’intuition précède la déduction, où l’on quitte la rive du connu pour franchir celle de l’inconnu. La figuration du ciel, entre nuit et aube, entre menace orageuse et promesse lumineuse, renforce la tension entre rigueur scientifique et émerveillement poétique.

La texture même de la peinture, à la fois charnelle et spirituelle, matérialise la matière impalpable de la pensée mathématique. Au sol, la vague marine, le rivage rocailleux, racinent cette géométrie explosive dans la naturalité du monde vécu. Drapés dorés, sphères qui s’enroulent, paysages hallucinés : chaque élément semble jouer sa partition dans ce grand théâtre du réel et des idées, où le théorème cesse d’être pur concept pour devenir expérience sensible. La lumière, qui traverse l’œuvre dans une gradation polychrome, évoque l’illumination soudainement éprouvée à la découverte d’une vérité cachée.

Le tableau se fait alors poétique du fragment : chaque éclat, chaque courbe, chaque morceau de cheval ou de visage, de rocher ou de ciel, renvoie au rêve d’une totalité jamais atteinte. Il y a là une mélancolie subtile – celle de l’incomplétude, de ce que Gödel révéla au cœur même des mathématiques, mais que le peintre ici traduit en image : on peut démontrer, mais il demeure toujours l’inexprimable à contempler.

La « poétique du théorème » est ici accomplie en ce qu’elle transfère la rigueur du raisonnement dans la profusion énigmatique du rêve. Elle invite à méditer le dialogue fécond entre la rigueur mathématique et la liberté imaginale. Le théorème, loin du froid des symboles, retrouve une intensité charnelle, une capacité à bouleverser et à émerveiller, à soulever l’esprit et à le jeter, comme le cavalier ou le rocher, dans la houle de la création. L’œuvre devient alors une méditation sur le vertige de la connaissance, une invitation à franchir, avec audace et poésie, les frontières du dicible.

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