Inferno I (2025) Gravures & estampes par Lionel Morateur

Edition originale limitée à 30 exemplaires numérotés et signés. Estampe numérique sur Arches 640g - grain satiné, format 56x76, blanc tournant, papier bord frangé. Marge blanche tournante de 4cm. Neuf / jamais encadré.

Une vision cauchemardesque, un fragment d’inferno, puisant dans l'imaginaire des ténèbres, convoquant à la fois la noirceur de Dante et la grandeur apocalyptique de Gustave Doré. Dès le premier regard, la composition frappe par son intensité dramatique et la puissance immersive du noir et blanc, qui confèrent à la scène profondeur et mystère.

La surface de l’image est dominée par la créature démesurée, une monstruosité tentaculaire à la gueule béante, symbole de l’abîme infernal. Son corps, massif et obscur, occupe la majorité de l’espace visuel. Son ouverture buccale semble engloutir la lumière, renforçant l’idée d’une voracité insatiable, d’un gouffre sans fond. Les tentacules serpentent, dynamisant la composition et englobant la silhouette humaine au centre inférieur, prisonnière de ce chaos organique. Cette verticalité, quasi spiralée, crée un sentiment d’oppression, accentué par la gestuelle crispée du personnage qui paraît sur le point d’être entraîné vers l’anéantissement.

Le travail sur la lumière évoque les gravures du XIXe siècle, où la maîtrise des contrastes dramatise l’action. Ici, la lumière blafarde frôle les contours, cisèle les formes et accentue les relents surnaturels de la scène. Les noirs profonds, quasiment huileux, plongent le décor dans une obscurité quasi totale, tandis que de rares éclats blancs guident le regard sur les points névralgiques — la gueule béante, les tentacules, la figure menacée. Ce clair-obscur fait surgir la brutalité du destin qui pèse sur l’humain, tout en suggérant que l’enfer déborde sur la réalité.

La monstruosité représentée ici dépasse la simple créature fantastique : elle incarne l’enfer intérieur, la peur viscérale, la part d’ombre de l’humanité. On y retrouve des échos de la Bête de l’Apocalypse, de Charybde et Scylla, ou encore du Léviathan. L’artiste semble jouer sur ce substrat iconographique pour créer une œuvre où la terreur n’est pas seulement physique, mais aussi existentielle. La solitude du personnage, debout mais vacillant, suscite une empathie désespérée : il pourrait s’agir d’un damné de Dante, prêt à affronter les Seigneurs de l’effroi, ou plus simplement, de l’homme face à ses propres démons.

Le style évoque quelque part l’estampe ou la gravure, par le rendu texturé, l’attention minutieuse portée aux détails organiques et la profondeur obtenue par le croisement des hachures et lavis. Ce choix technique n’est pas anodin : il s’inscrit dans la lignée de Doré, Piranèse voire Redon, qui ont su, par le noir, dessiner l’invisible et l’insondable. On sent chez l’artiste une volonté de renouer avec cette tradition, tout en poussant la monstruosité vers une imagerie presque cosmique.


Cette illustration propose donc une vision saisissante de l’inferno, bouleversant notre perception du mythe pour la projeter dans un abîme de ténèbres, à la fois universel et intime. Par sa technique virtuose, sa composition hypnotique et sa force évocatrice, elle interpelle le spectateur, le confrontant à la part la plus sombre de son imaginaire. Une œuvre majeure, troublante, qui s’inscrit avec puissance dans la tradition des grandes visions infernales de l’histoire de l’art.

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