Machines désirantes - Mecadanse (2025) Estampas & grabados por Lionel Morateur

Edition originale limitée à 30 exemplaires numérotés et signés. Estampe numérique sur Arches 640g - grain satiné, format 56x76, blanc tournant, papier bord frangé. Marge blanche tournante de 4cm. Neuf / jamais encadré.

Cette œuvre, dont la composition évoque les théories des machines désirantes telles que formulées par Deleuze et Guattari dans L’Anti-Œdipe, frappe d’emblée par sa puissance visuelle et conceptuelle. Ici, la figure centrale—un hybride d'humain et de mécanisme—semble à la fois prisonnière et moteur d’un dispositif plus vaste, suggérant une fusion organique entre la chair et l’acier, entre pulsion et production.

La localisation dans un espace sombre et industriel rappelle l’atmosphère oppressante de la postmodernité, où le sujet n’est plus seulement le produit de désirs, mais devient lui-même producteur dans les réseaux machinés du capitalisme. Le corps, musculeux et ancré dans la matière, lutte contre la froideur mécanique de la machine. Pourtant, il n’est pas passif : son mouvement, sa posture tendue, témoignent d’une volonté, ou du moins d’une énergie motrice, à la fois pénible et déterminée, qui anime la scène.

Les éléments géométriques superposés, évocations schématiques de rouages, engrenages et plans techniques, suggèrent la sous-jacence d’une philosophie matérialiste : ici, le désir n’est pas une absence mais un flux, une force agissante produite et traversée par les machines, qu’elles soient sociales, techniques ou biologiques. L’appareil qui surplombe l’humanoïde, sorte d’exosquelette ou de carapace cybernétique, évoque à la fois la protection et la contrainte, la potentialité et l’aliénation.

Le traitement monochrome, quasiment brut, accentue l’idée d’une humanité prise au piège d’une matérialité rugueuse. Les textures, tour à tour lisses et granuleuses, rehaussent la sensation de friction permanente entre organique et inorganique. L’éclairage, balayant la scène et créant des zones de clair-obscur, agit tel un scalpel révélant la profondeur des couches : la chair y apparaît pulsatile et vivante, la machine froide et méthodique, mais le dialogue entre les deux demeure sans résolution, constamment en tension.

Sur le plan symbolique, l’œuvre fonctionne comme une allégorie du corps productif traversé par les flux de désir et de production. La machine n’y est plus un simple outil aliénant, mais ce qui ouvre à la fois la possibilité d’un devenir, d’une subjectivation inédite, et d’une servitude renouvelée. Le sujet-machine, incapable de distinction nette entre le moi et la technique, incarne cette zone grise où l’humain se fait processus, traversé par des forces qui le dépassent mais dont il est aussi porteur.

Critiquement, l’artiste semble interroger non seulement la fascination contemporaine pour le corps mécanisé—héritier aussi de la science-fiction et du cyberpunk—mais surtout le fondement même de la condition humaine à l’ère des machines désirantes : sommes-nous libres d’agir ou agis par des flux qui nous structurent anonymement ? La violence plastique de l’image, autant que sa poésie sombre, porte ce questionnement sans jamais le résoudre, livrant le spectateur à l’inquiétude et à la stimulation propre aux grandes œuvres de la modernité.

Cette image saisissante, loin de se limiter à l’exercice stylistique ou au manifeste dystopique, invite à une profonde méditation sur la nature même du désir et sur nos devenirs-machines contemporains. Elle réussit, dans une matérialité incisive, à cristalliser le vertige d’un monde où la frontière entre l’humain et le machinique s’efface, nous contraignant à repenser l’articulation des forces qui nous animent au plus profond.

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