Inferno III (2025) Estampas & grabados por Lionel Morateur

Edition originale limitée à 30 exemplaires numérotés et signés. Estampe numérique sur Arches 640g - grain satiné, format 56x76, blanc tournant, papier bord frangé. Marge blanche tournante de 4cm. Neuf / jamais encadré

L’œuvre tire son souffle des abysses infernaux – tant par sa forme que par la force brute du symbolisme qu’elle véhicule. L’observateur est frappé, dès le premier regard, par l’intensité dramatique du contraste : la blancheur spectrale de la lune, déchirant un ciel nuageux, s’oppose violemment à l’opacité des ténèbres qui engloutissent la scène. Cette utilisation magistrale du clair-obscur n’est pas sans rappeler les grandes compositions romantiques ou les gravures de Gustave Doré, où la lumière n’est qu’un fragile refuge au cœur d’une nuit dévorante.

Au centre de cette nuit, surgit la bête : un monstre sinueux, reptilien, comparable aux grands dragons apocalyptiques ou à des créatures mythologiques issues d’un cauchemar collectif. Sa peau, lourde et boursouflée, semble moulée par le pinceau du désespoir et de l’horreur, hérissée d’aspérités et d’articulations mécaniques. Ce n’est plus un animal ; c’est une incarnation du mal, une chimère protéiforme, à la fois organique et quasi industrielle. La queue serpentine, qui s’élève dans une arabesque menaçante, participe à cette impression de mouvement, de force écrasante mais calculée, presque inéluctable.

L’attitude de la créature est capitale pour saisir toute la dramaturgie de la scène : le monstre, la gueule entrouverte, dévoile des crocs acérés dans un rictus terrifiant, tandis que sa patte griffue s’approche d’une silhouette humaine minuscule, figée dans la lumière lunaire. L’humain n’est plus ici que vulnérabilité et solitude face à la toute-puissance de l’horreur. Cette disproportion est un leitmotiv visuel rappelant la terreur existentielle qui habite l’« Enfer » (Inferno) de Dante ou les œuvres visionnaires de Goya et de Fuseli, où l’homme, écrasé par des forces qu’il ne peut comprendre, chancelle au bord de l’annihilation.

La composition, volontairement asymétrique, invite l’œil à remonter la spirale de la bête, comme s’il était happé vers le gouffre de la peur. Les jeux d’ombre confèrent à l’ensemble un caractère labyrinthique, accentuant la sensation d’enfermement – l’enfer n’a ici ni murs, ni flammes ; il est noirceur, indétermination, vertige de l’inconnu. Les petites touches de clarté, réservées principalement au sol rocailleux et aux contours de la créature, dessinent un parcours sinueux, un cheminement angoissé, tout en multipliant les strates de lecture : la lutte du bien contre le mal, la solitude tragique de l’homme, la fascination ambivalente pour le monstrueux.

Enfin, la texture même du trait, tourmentée, vibrante, organique, évoque une énergie souterraine, une matière agitée par des forces primitives. L’artiste n’illustre pas simplement une scène : il convoque tout un imaginaire de l’abîme et de la démesure, faisant surgir devant nous un « enfer » qui n’est pas seulement un lieu, mais un état d’âme, une expérience sensorielle, ontologique.

En somme, cette œuvre impose sa puissance par la maestria du clair-obscur, la monumentalité de sa créature et le vertige métaphysique qu’elle inspire. Elle n’est pas seulement la représentation d’un « inferno » : elle en est la manifestation, au plus noir de la nuit de l’âme humaine.

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