Kouass Bannerman

Rencontre avec Kouass Bannerman


La critique d’art n’est pas mon domaine. Mon niveau culturel en matière de peinture ou de sculpture est plutôt modeste. Les salles du Muséum d’Histoire naturelle me sont plus familières que celles du Louvre. Je connais mieux l’histoire de la vie et de la terre que celle de l’art.
C’est peut-être pourquoi j’ai vu d’emblée, dans ce tableau aux deux taches noires, la face d’un éléphant à la trompe relevée. On dira que je « reçois » l’art de façon primaire, viscérale. Avais-je donc tout faux ?
Ou l’éléphant involontaire, non « pensé » par Kouass, n’était-il pas l’expression inconsciente de symboles enfouis ? Allez savoir…


Kouass Bannerman est d’origine togolaise. Il vit en France, marié à Claire, une française, depuis un quart de siècle. Mais le métissage culturel n’a pas dilué en lui l’essentiel. Il m’a dit un jour : « Mes amis me disent que je suis noir à l’extérieur et blanc à l’intérieur. » Je lui ai répondu : « Non. Ils se trompent : tu es noir sur toute la tranche. »
Car j’ai l’avantage d’avoir arpenté l’Afrique Noire pendant pas mal d’années. En brousse plus que dans les villes. A commencer par la côte ouest malgache. Et en « européen solitaire » accompagné de quelques « porteurs ». Je suis donc imprégné d’Afrique Noire. On le reste à jamais. Aussi, rencontrer les statues de Kouass Bannerman fut un choc profond : le Quai Branly à Nay, ma petite ville des Pyrénées Atlantiques !

L’expression de Kouass, dans son art statuaire, est celle d’un héritage culturel et spirituel peut-être enfoui, mais formidablement présent, remontant des origines. Kouass est l’heureux dépositaire d’une grâce : celle de pouvoir exprimer et communiquer un patrimoine ethnologique non altéré. Art premier dans un esprit bien actuel !
Un long séjour en France n’a rien altéré de cet héritage : il n’est pas dans les gênes, il est dans les cellules même. Dans la chair. Et si le critique d’art peut, peut-être, déceler dans la peinture quelque influence occidentale, dans la sculpture, il n’en est rien. On reçoit ça en pleine figure, et le moins qu’on puisse dire, c’est que c’est « très fort ». Viscéral, ai-je dit de la réception de ces œuvres ? Oui ! On n’en ressort pas indemne !
J’ai peut-être l’avantage de connaître un peu l’Afrique Noire. Mais les statues de Kouass ne sont pas l’expression d’une région particulière. Elles sont toute l’Afrique au sud du Sahara, à laquelle j’intègre la côte ouest malgache. Elles expriment un témoignage global.
Elles sont belles, surtout en groupe. Elles sont figées dans leur élan, et pourtant vivantes. Se retrouver seul avec elles , comme cela m’est arrivé à plusieurs reprises, est à la fois émouvant et envoûtant, au sens le plus spirituel du terme. Elles sont quête vers le ciel, ou courbure vers la terre sous le poids de la vie. Et parmi tout ce monde, le sorcier au visage abstrait vient apporter sa sagesse. Les contemplant, seul dans la pièce, j’ai entendu les sons et les rumeurs de la brousse africaine et, tout au loin, les chants…

Oui, une visite aux statues de Kouass Bannerman ne laisse pas indifférent. C’est une immersion dans la mémoire, pour ceux qui ont bien connu l’Afrique Noire, ou dans l’histoire de l’humanité entière, pour ceux qui l’ont moins connue. Ces sculptures parlent à l’intime de chacun. Et chacun reçoit le message selon son propre héritage. Certains visiteurs remontent jusqu’à la préhistoire que symbolisent, il est vrai, ces quatre bols de céramique sertis dans leur cadre de bois. Néolithique. On s’y tromperait.
C’est bien vrai : vers où que l’on se tourne, on ne sort pas indemne d’une visite au petit « Quai Branly », version Kouass Bannerman.


Jacques Bauer,
géologue,
Nay, petit Quai Branly ,
Le 14 avril 2008

Kouass Bannerman
Né en 1956 à Cotonou (Bénin)
Habite et travaille dans les Pyrénées, à Luz-Saint-Sauveur, depuis plus de 25 ans.

Son inspiration en peinture et sculpture prend sa source dans ses racines africaines et se nourrit de ses questionnements sur l’homme, sur sa liberté étouffée par les prisons intérieures, et sur l’aliénation de l'individu.

Quelques dates d’expositions :
2009
Festival de Fabrezan
2008
Abbaye de l'Escaladieu (Hautes-pyrénées)
Maison Carrée, Nay (Pyrénées Atlantiques)
Sala Goya, Zaragoza (Espagne)
Sallent de Gallego (Espagne)

2007
Galerie du Château, Pau (Pyrénées Atlantiques)
Galerie Paul Bert, Lannemezan (Hautes-Pyrénées)

2006
Musée Art et Culture, Lescar (Pyrénées Atlantiques)
Maison des Arts, Arras-en-Lavedan (Hautes-Pyrénées)

2005
Thermes, Luz-Saint-Sauveur
Galerie Paul Bert, Lannemezan

2003
Maison de la Vallée, Luz-Saint-Sauveur

2002
« Franz Galerie », Paris 12e

2000
Festival « Jazz à Luz »,Luz-Saint-Sauveur

1998
Palais des Congrès, Lourdes (Hautes-Pyrénées)
Parlement de Navarre, Pau
Galerie Osmanthus, Biarritz (Pyrénées Atlantiques)

1997
Festival « Jazz in Marciac »
Galerie de l’Aéroport, Orly
Hôpital de L’Ayguerote, Tarbes (Hautes-Pyrénées)

1996
Galerie « Les Arts au Soleil », Anglet (Pyrénées Atlantiques)
Salon « Pyrénées Art 96 », Lourdes

Je conçois la peinture comme une écriture, primitive, expression d’un langage premier inscrit dans l’inconscient collectif de l’humanité.
Mes recherches au quotidien donnent à voir l’élaboration de cette écriture, puissante, où l’artiste, comme le chaman des temps primordiaux, exprime des réponses à la vie, réponses puisées dans un langage universel inscrit au coeur de tous les hommes.
Les toiles sont des matières élémentales où l’eau et les pigments se mêlent, où la main gratte, hache, griffe, tatoue, déchire, imprime, recouvre, imprègne, couvre et découvre l’espace contraint, jusqu’à l’émergence d’une expression primaire retrouvée.
On plonge dans une écriture imaginaire, où des signes s’inscrivent dans un espace clos, pour dire l’enfermement de l’homme.
Je revendique une démarche engagée qui cherche à remuer ce qui, en nous, semble originel, ce qui, en nous, semble pétri dans la glaise de l’esprit, inscrit dans la glaise du corps, depuis le début de la vie.
Comment rester indifférent à ces sculptures, hommes-fétiches silencieux aliénés, aliénés par leurs possessions, leurs croyances, leurs cultes, aliénés par leurs propres émotions ?
Comment ne pas s’appuyer, dans ces peintures, sur l’espace qui se crée, où la nature se pose, où le corps écoute, en équilibre fragile, entre pensées mouvantes et vérités nues, silences intérieurs et rythmes du sang, mémoires archaïques et résurgences retenues ?
Mon travail est un langage « primaliste », primal, primaire, primitif, primordial, qui dit la responsabilité individuelle de l’homme.

Pourquoi nommer mon travail primaliste ?

Parce que primaire,
né de la pierre, des pigments, ocre, sienne, vermeil, cobalt, et de la terre, des volcans,
disant les très anciens temps de l’humanité et les émotions brutes de l’homme

Parce que primitif,
issu des très anciens lieux de la conscience,
dévoilant les profonds replis de nos cerveaux reptiliens,
exhumant les racines de la civilisation

Parce que primal,
exprimant les premiers cris, les premiers gestes porteurs d’humanité, rupestres ou nouveau-nés,
se faisant gardien des mémoires inscrites dans les cellules du corps, humain, animal, végétal, minéral, stellaire

Parce que primordial,
pour dire le fondamental, ce qui reste du dépouillement des éphémères : l’essence de la simplicité, le fondement de la nécessité, de l’artiste et de l’homme.