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Gaspard De Gouges

Retour à la liste Ajouté le 27 déc. 2023

Texte de BTN, Bernard Teulon-Nouailles, critique d'art, romancier, poète


    Dans les paysages marins composés par Gaspard de Gouges, tout est factice : les rochers, les îles, les ruines, la mer et même, à bien y réfléchir (…) le ciel qui est pris en photo dans un miroir. Les rochers sont peints sur siporex, polystyrène ou plâtre ; la mer joue carte sur table bleue nappé d’un cellophane ; les nuages semblent trop denses pour apparaître à leur véritable place ; ce sont des fruits et légumes familiers qui tiennent lieu d’îles ou récifs, il est vrai étranges. L’image et le réel ça fait deux, et même trois, vu l’usage du miroir qui, comme on le sait, réfléchit selon ses propres codes.

    Le recours au format carré concourt à cet effet de déréalisation. Nous sommes dans l’image avant que d’être dans un paysage ou un portrait. Dans une zone intermédiaire. Le portrait rêvé d’une Méditerranée particulière et le paysage maritime qui se profile à l’horizon. On peut même dire qu’il renvoie à un procédé spécifiquement pictural (souvenons-nous de Joseph Albers), sachant que Gaspard de Gouges a commencé comme peintre, de portraits justement. En effet, la peinture associe la matière, la lumière et les couleurs. Or les rochers sont peints en amont de couleurs chaudes ou brunes, léchés par la lumière naturelle et l’on peut en apprécier le grain, les nuances de surface et les valeurs. Cette photographie est plastique. Sa dimension picturale saute aux yeux.

De surcroît, le carré est une forme parfaite ce qui coïncide avec la volonté de l’artiste de suggérer la totalité (des quatre éléments notamment : eau de la mer, feu du soleil, air des nuages, terre des rochers), l’équilibre, sans doute même l’espérance – ce que le poète intitulait Une invitation au voyage. Il va de pair avec la recherche d’une impression de concentration induit par la présence de  ou blocs latéraux, qui redoublent et développent en informel, les lignes pures du cadre. Les côtés se font côte.

    Le voyage se fait imaginaire. Nul besoin de se déplacer. Une table de jardin et quelques accessoires suffisent à l’artiste dont le bleu du ciel est la seule contrainte. L’image qu’il propose suffit au spectateur. Ce n’est plus le corps qui appréhende et occupe le lieu mais les yeux, mais la main. La main de l’artiste qui fabrique les artefacts. Les yeux qui plongent dans ces ouvertures suggérées par les rochers latéraux. Les dimensions ne sont pas modestes par hasard. Il s’agit de s’approprier la Méditerranée. Et cette illusion de possession ne peut se réaliser qu’en toute humilité, en la présentant à portée des yeux, à portée de main. Pour le corps, il faut s’y déplacer. Ainsi se trouve-t-on dans une image photographique plutôt que devant un véritable paysage. La photo se revendique avant tout comme photo. On pourrait créer à cet égard un curieux oxymore : une distanciation rapprochée. Au demeurant, ce format modeste correspond à peu près à celui qui contiendrait, à échelle réelle, le visage du regardeur (artiste ou spectateur, acquéreur, collectionneur). Ainsi le paysage regardé, évoque, par métonymie, la présence d’un regardeur. Il est perçu à partir de notre modeste échelle de perception.

    Face à l’horizon, on est souvent pris d’un sentiment d’infinitude, de curiosité aussi, tout en sachant que, plus nous voyagerons, moins nous serons assouvis car la perspective de la répétition, du renouvellement perpétuel et de l’infinitude se heurte à notre finitude justement. C’est sans doute la raison pour laquelle certaines images de Gaspard de Gouges recourent à la ruine, sur le modèle, romantique, des nostalgies d’un âge d’or que les grands peintres ne se sont pas privés de représenter. Les rochers, qui densifient le paysage, nous ramènent à notre condition. Nous vivons sur terre, et sédentaires. La porte qui va de l’imaginaire au réel est une porte étroite. On remarquera en effet que les anfractuosités ciselées des rochers entrent en vif contraste avec l’Horizon, et la mer calmée. L’espérance se heurte au réel, tel Ulysse naguère, tenu de demeurer, à son grand regret, voire désespoir, sur ses îles de rêve.

    La Méditerranée que propose Gaspard de Gouges n’est donc pas authentique. Elle est subjective. Elle a maille à partir avec les souvenirs d’enfance, les références culturelles et les voyages accomplis. La notion de jeu est capitale : elle renvoie aux maquettes et au monde tout petit avec lesquels les enfants forgent leur imaginaire. En fait, elle est recréée : elle est re-Création mais aussi récréation par rapport à la fureur et au bruit de l’actualité et de l’Histoire. L’Humain en effet brille par sa quasi-absence, en apparence du moins : série des ponts et présence de bateau. Sauf que c’est lui qui tire les ficelles et nous libre en pâture le paysage re-créé. Re-composé. Comme s’il accordait au monde, en modèle réduit, à partir de sa crique imaginaire, une nouvelle naissance. Une re-Naissance en quelque sorte. Après tout, la vie est un voyage.

    Or, on ne sait jamais quel sera le destin ni de l’être, ni de la chose, ni de tout ce qui vient au monde. De là découle ce sentiment de mystère qui saisit à la contemplation de ses photos et qui relèvent de ce que les surréalistes nommaient Inquiétante étrangeté. C’est que, dans un monde trop parfait, le danger guette. L’homme s’accommode mal du paradis. Gaspard de Gouges, qui travaille par séries thématiques, est sensible à de grandes causes : humanitaires ou écologiques. Ce n’est pas pour rien, qu’il modèle des ponts détruits, qu’il recourt non sans humour à des fruits et légumes tenant lieu de récifs ou qu’il travaille avec une remarquable économie de moyens. Ses paysages inspirent le repos mais l’artiste n’est pas dupe. Il sait qu’au terme d’un voyage, quel qu’il soit, on est confrontés au drame, à la tragédie, à l’angoisse du lendemain. Sa Méditerranée est une mer de rêves mais qui a dit que tout était idéal dans un Rêve ? 


BTN

    

    

Artmajeur

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