MASQUE À GAZ (2019) Peinture de Raymond Agostini.
Trouvez un endroit sûr, calme et paisible, asseyez-vous par terre, les genoux posés devant vous, les mains et les bras détendus, et imaginez... imaginez quelques moines, que l'on aperçoit au loin, portant les cendres d'un de leurs frères, les cachant dans l'ombre de leurs silhouettes, reflétées par un décor naturaliste d'arbres secs et tordus, dans lequel se trouve le souvenir d'une abbaye qui a existé autrefois. De cette dernière, il ne reste qu'un petit pan de mur avec un vitrail vide, entouré d'une nature mystérieuse et romantique qui, inspirée par la littérature la plus typique du genre, utilise des décors gothiques et funéraires, caractérisés par des atmosphères sombres et désolées, visant à donner un caractère monumental à l'idée de désolation. Nous ne sommes pas, malgré mon introduction, dans un cours de méditation guidée, mais devant la description d'un chef-d'œuvre emblématique de l'histoire de l'art, comme l'Abbaye dans la chênaie de Caspar David Friedrich, huile sur toile de 1809-10, conservée à l'Alte Nationalgalerie de Berlin. À ce stade, je vous demande de fermer à nouveau les yeux, peut-être cette fois-ci en vous allongeant sur votre lit et en serrant votre oreiller, je plaisante, afin de changer idéalement de lieu, pour arriver dans la Rome de 1770, l'époque où Giovanni Battista Piranesi a immortalisé, à l'instar des vestiges de l'abbaye de Friedrich, ceux des thermes antonins. Cette sorte de "méditation" s'achève aujourd'hui, car elle avait pour but de nous conduire au récit le plus authentique de l'histoire de l'art, puisque les deux maîtres susmentionnés et bien connus faisaient partie du courant artistique du ruinisme qui, développé entre le XVIIIe et le XIXe siècle, a envahi les œuvres des peintres et des graveurs, alimentant la curiosité pour la recherche archéologique et les grands voyages culturels des riches descendants de l'aristocratie européenne, visant à explorer les ruines grecques, romaines, etc. afin de contempler un monde grandiose et fascinant, pour contempler une époque grandiose qui a existé, face à laquelle l'homme moderne se sent plutôt écrasé et insignifiant, mais aussi heureux de témoigner de la fascination ambiguë et douloureuse du temps qui passe et qui ronge tout. Ce sont précisément ces sensations, à la fois angoissantes et attirantes, qui invitent à méditer sur la fragilité des destins humains et à nourrir le mythe d'une époque ancienne, destinée à être étudiée, célébrée, contemplée et étudiée comme une présence rassurante, ou plutôt à être comprise comme un modèle qui est encore valable et peut-être à poursuivre dans le présent.
Caspar David Friedrich, L'Abbaye de la Chêne , 1809–10. Huile sur toile, 110 x 171 cm. Berlin : Alte Nationalgalerie.
Après ces déclarations, nous pouvons maintenant révéler la véritable essence d'Abbaye de la chêne, une allégorie poignante de la vie et de la mort, dans laquelle, dans la façade du bâtiment en ruine, nous saisissons un véritable memento mori, enrichi par les trois vitres circulaires de la fenêtre supérieure, qui sembleraient faire allusion au pouvoir "destructeur" de la Trinité, seule créatrice, pour les croyants, de l'inexorable et néfaste passage du temps. Dans le contexte contemporain, en revanche, le ruinisme se repropose, en instrumentalisant l'architecture moderne, dans l'exploration urbaine de l'Urbex, une activité selon laquelle des artistes, des amateurs et même de simples "curieux" s'aventurent dans des structures et des ruines abandonnées, poursuivant de multiples objectifs, dont l'exploration, l'immortalisation de la fascination de la décomposition ou la prise d'un "bain" d'adrénaline pure. Toutes ces intentions conduisent aux mêmes sensations, à savoir être submergé par la dégradation et, en particulier, par l'effet du temps sur des lieux non entretenus, devenus une manifestation de la puissance de la nature, capable de reprendre une partie de ce que l'homme lui a pris. C'est donc précisément dans ces lieux oubliés que l'art, et principalement la photographie, devient un instrument de mémoire, destiné à maintenir en vie des lieux oubliés, qui seront probablement démolis plus tard ou s'effondreront d'eux-mêmes. Enfin, en ce qui concerne l'histoire de l'Urbex, elle remonte aux activités du légendaire explorateur des catacombes de Paris, Philibert Aspairt, qui, le 3 novembre 1793, est devenu célèbre pour sa mort prématurée dans le vaste réseau de tunnels souterrains susmentionné, dans lequel il s'était égaré. En ce qui concerne le contemporain, l'urbex est bien illustré par le travail des artistes d'Artmajeur, que j'ai étudié en me référant à la recherche figurative de cinq photographes et peintres, à savoir Marty Crouz, Sébastien Blanc, Isabelle Pautrot, Pierre Duquoc et Manuel.
HUMAN ABANDONED (2016) Photographie de Laurent Ringeval.
FACE À FACE AVEC VOTRE LUMIÈRE... (2017) Photographie de Marilyne K.
5 artistes "urbex" d'Artmajeur
Urbex sous-marin, Hôtel (2023)Peinture de Marty Crouz.
Marty Crouz : Urbex sous-marin, Hôtel
L'exploration urbaine, cette fois-ci picturale et sous-marine, de l'artiste d'Artmajeur Marty Crouz aurait pu se dérouler au sein des villes sous-marines les plus emblématiques connues à ce jour, comme Alexandrie, Atlit Yam, Lion City, Dwarka, etc, bien qu'en réalité, les caractéristiques modernes de l'hôtel représenté à l'arrière-plan nous transportent dans une ère moderne, probablement destinée à dissimuler sous les profondeurs de la mer certains abus de construction néfastes, toujours exploités par une entreprise touristique dont l'enseigne est fièrement allumée. Abandonnant mes suppositions illicites, pour me référer aux déclarations les plus sûres de l'artiste, Crouz a réalisé un tel sujet en explicitant une sorte de déclaration d'amour à l'urbex, ainsi que les témoignages nostalgiques du passé, dont son investigation figurative témoigne fièrement, et souvent. En ce qui concerne le contexte subaquatique, c'est justement l'eau salée, selon le peintre, qui possède les particularités parfaites pour pouvoir engloutir des images de la vie quotidienne, marquées par le passage inexorable du temps, à tel point que le thème de l'urbex a également été exploré par l'artiste d'Artmajeur dans d'autres tableaux "subaquatiques", visant à impliquer le monde naturel, afin d'explorer les émotions individuelles, en les plaçant dans des visions oniriques, pittoresques ou psychédéliques.
Entrée d'une serre abandonnée (2018) Photographie de Sébastien Blanc.
Sébastien Blanc : Entrée d'une serre abandonnée
"Cette photographie unique montre l'entrée d'une serre abandonnée en France. Elle sublimera votre intérieur sur un support exceptionnel". Les mots du photographe d'Artmajeur, en partie comme une publicité plus commune, utilisent un terme clé, à la fois du courant artistique du rovinisme, et de l'exploration urbaine plus moderne. Je veux parler du mot sublime, un concept qui, dans la sphère artistique, et de manière plus générale, tend à indiquer simplement ce sentiment de grandeur ou de grandeur, inspiré par ce mélange de crainte et d'admiration, que le spectateur nourrit à l'égard d'un chef-d'œuvre ou par l'immensité du monde naturel lui-même. Ce sentiment d'émerveillement et d'étonnement, accompagné de l'idée conséquente d'insignifiance face à la perception de notre propre petite existence, qui se rapproche souvent de réalités supérieures et transcendantes, est souvent associé au sentiment de l'ère romantique, une période au cours de laquelle l'homme a souvent été confronté à l'immensité et à la puissance de la création, se sentant intensément lié à quelque chose de beaucoup plus grand que lui. Le concept de sublime dans le ruinisme, d'autre part, est évoqué par le contraste entre la grandeur et la beauté de l'architecture originale et le sentiment troublant de la décadence moderne, tandis que dans l'urbex, l'idée d'aventure et d'exploration est ajoutée, souvent associée à des sentiments d'excitation et de curiosité, visant à révéler l'histoire cachée et les secrets des espaces urbains.
URBEX 11 (2019) Photographie d'Isabelle Pautrot.
URBEX #1 (2016) Photographie de Pierre Duquoc.
Les intérieurs du quotidien par Isabelle Pautrot et Pierre Duquoc
Isabelle Pautrot et Pierre Duquoc ont décidé de défier les tuiles qui tombent, les planchers qui s'affaissent et les rencontres avec des personnages du troisième type, en entrant dans ce qui me semble être des habitations abandonnées, des lieux où, contrairement aux grandes ruines du passé, ce n'est pas une histoire qui est racontée, mais la vie quotidienne, soudainement interrompue et laissée pour être vécue, peut-être, quelque part ailleurs. En ce qui concerne les deux artistes d'Artmajeur, Pautrot, dont la recherche artistique explore différents thèmes, soutient que le médium photographique doit être utilisé comme un outil pour célébrer l'instinct et l'instant, inspiré parfois par une observation et une exploration plus précises, compris comme un point de rencontre entre le réel, le matériel et le sentiment, prêt à capturer une âme et à susciter une émotion. Cette dernière, qui quitte délibérément le champ restrictif de la simple description ou de la narration, vise également à atteindre les espaces fertiles de l'imagination, au sein desquels le même sujet prend une autre et nouvelle dimension, devenant interprétable comme quelque chose de nouveau, dont nous n'avions pas perçu les contours à première vue. Duquoc, quant à lui, photographe et artiste numérique aux multiples facettes, exprime souvent son attirance pour le montage, les effets spéciaux et l'art de rendre réel ce qui ne l'est pas, des expédients visant à ouvrir des fenêtres sur l'imagination, fenêtres qui, dans le cas du genre urbex, ont été sagement maintenues côte à côte, et donc pas grandes ouvertes, afin de permettre la documentation de la "fin de vie" des bâtiments humains avec une plus grande adhérence au référentiel réel.
LES CHOSES BRISÉES (2021) Peinture de Manuel.
Manuel: Les choses brisées
La peinture de Manuel met en évidence la dégradation d'objets plutôt que d'espaces dans un environnement peu utilisé par l'homme, élargissant le point de vue de l'urbex non seulement sur l'architecture, mais aussi sur la "vie" des plus petites manifestations de l'activité humaine. En fait, de nombreux amateurs d'exploration urbaine s'intéressent davantage aux objets ou artefacts abandonnés, plutôt qu'aux bâtiments et structures, car cet intérêt offre un regard encore plus spécifique, puisqu'il tient compte d'un laps de temps souvent plus court, concernant l'histoire et la culture d'un lieu et d'une période particuliers. C'est précisément dans ce sens que certains artistes de l'urbex se sont intéressés principalement, et parfois exclusivement, à la représentation du même type d'objets, dont ils retracent une histoire spécifique, précise et esthétique de l'abandon. Manuel Dampeyroux, artiste français contemporain, utilise souvent des atmosphères méditatives et silencieuses pour réaliser une autopsie de la psyché humaine, dans des environnements "stagnants" où le temps, qui semble éternellement suspendu, est rendu par l'utilisation d'une palette de couleurs restreinte, accompagnée de ruines contemporaines d'objets inanimés, dont l'intention est de donner une voix aux profondeurs de l'âme humaine.