Art brut : un mouvement controversé

Art brut : un mouvement controversé

Olimpia Gaia Martinelli | 29 juin 2022 7 minutes de lecture 0 commentaires
 

"L'art véritable se trouve là où personne ne l'attend, là où personne n'y pense ou ne prononce son nom. L'art est avant tout une vision et la vision, bien souvent, n'a rien à voir avec l'intelligence ni avec la logique des idées"...

Igor Gadreaud (Gad the Brand), Masque antivirus hybride V4.0, 2020. Sculpture, 60 x 25 x 35cm / 6,50 kg.

"L'art véritable se trouve là où personne ne l'attend, là où personne n'y pense ou ne prononce son nom. L'art est avant tout une vision et la vision, bien souvent, n'a rien à voir avec l'intelligence ou la logique des idées".


Les mots emblématiques de Jean Dubuffet sont parfaits pour introduire le concept d'Art brut, un mouvement artistique également appelé Outsider art, qui a connu un énorme succès ces dernières années lors d'événements, de foires et de ventes aux enchères d'œuvres d'art, faisant partie d'importantes collections dans le monde entier. Malheureusement, il n'est pas toujours facile de classer ce type de production créative, car il est souvent, et de manière plutôt réductrice, assimilé à l'art naïf, à l'art populaire ou au travail d'artistes simplement autodidactes. En outre, le monde contemporain a tendance à reléguer le mouvement susmentionné dans une sorte de "limbes", dans lesquels sont inclus tous les modes d'expression qui se situent en dehors des formes créatives plus "classiques". Bien qu'il s'agisse d'un grand malentendu, il est vrai que les œuvres outsiders tendent à transcender les autres genres, car elles se caractérisent par des visions plutôt excentriques, visant à remettre en question la perception plus traditionnelle de l'art. Ce cliché est justifié par le fait que l'art outsider est né initialement de l'étude des œuvres de malades psychiatriques, capables de créer des formes extrêmement pures et naïves, résultat d'une intuition sincère, instinctive et impartiale. Ce n'est cependant pas la psychose qui détermine l'appartenance au mouvement, car celle-ci, si elle existe, doit être combinée à une formation autodidacte, capable de s'écarter des normes et des classifications canoniques du monde artistique. En outre, la volonté de créer doit se soustraire au désir de visibilité et à celui d'adhérer au goût du public ou aux tendances esthétiques dominantes. En effet, les artistes de l'Art brut doivent créer en donnant simplement libre cours à leurs émotions les plus intimes, sans imaginer que leur travail puisse être partagé avec d'autres et, par conséquent, standardisé. 

Vaxo Lang, Sans oxygène, 2022. Acrylique sur toile, 40 x 40 cm.

Eric Bertrand, Emploi, 2021. Acrylique sur toile, 150 x 150 cm.

Art brut : les origines

"Pour moi, la folie est une super-santé. La normale est psychotique. Normal signifie "manque d'imagination, manque de créativité".

Jean Dubuffet


Le terme "Outsider art", inventé en 1972 par l'écrivain et historien de l'art britannique Roger Cardinal, a été essentiellement compris comme l'équivalent en anglais de l'ancien terme français "Art brut". En fait, si l'on remonte dans le temps, le mot Art brut a été inventé par le peintre Jean Dubuffet en 1945, dans le but de regrouper sous son nom tous les types de production artistique réalisés par des autodidactes et/ou des patients d'hôpitaux psychiatriques, caractérisés par une capacité marquée à opérer en s'écartant des convictions esthétiques canoniques. Dans ce contexte, il apparaît avec force comment l'art brut, mouvement visant à donner une voix à une forme d'art jusqu'alors inconnue, représentait également un courant idéologique favorable à la démolition de toute forme de discrimination créative. En effet, si auparavant l'activité artistique était toujours attribuée aux couches supérieures de la société, c'est-à-dire aux personnes cultivées et "saines", capables de refléter les canons de la beauté et de la forme, avec l'Art brut, la créativité est devenue résolument plus inclusive. C'est Dubuffet lui-même qui s'est efforcé de briser les piliers de l'esthétique traditionnelle, affirmant que l'art est un besoin instinctif et primaire, fait par des hommes ordinaires, qui n'ont plus besoin d'être ni "supérieurs" ni génies. Mais comment est née l'idée de Dubuffet de donner une voix aux personnes psychologiquement fragiles ? L'artiste français a été largement influencé par le travail de deux psychiatres, à savoir Walter Morgenthaler et Hans Prinzhorn, qui, fascinés par la production artistique de leurs patients, l'ont analysée, collectée et documentée. Dubuffet, qui est entré en contact avec ces études, en a été si complètement fasciné qu'il a cru que l'art des malades mentaux pouvait représenter la forme la plus pure de la création artistique. 

Maximilien Dhumerelle (Max Dhum), Regardez ailleurs, 2022. Acrylique / marqueur sur toile, 100 x 80 cm.

Patrick Santus, La trotinette de Pompei, 2005.  Acrylique / crayon / graphite / marqueur / pastel sur toile, 180 x 180 cm.

L'Art brut dans les œuvres des artistes d'Artmajeur

La fascination de l'inconscient, de la souffrance, des peurs et des frustrations les plus intimes, mais aussi le désir le plus authentique et le plus insouciant d'exprimer son intériorité, sans adhérer à des règles et à des genres artistiques préétablis, ont également fasciné les artistes d'Artmajeur, qui, comme s'ils étaient redevenus des enfants, ont réussi à révéler les motions les plus inavouables de leur âme de manière authentique, libre et courageuse. Les artistes outsiders de notre galerie sont regroupés sous un large "label", visant à rassembler non seulement des artistes autodidactes et extrêmement sensibles, mais aussi ceux qui, plus simplement, brisent le moule de l'art traditionnel en montrant leur point de vue personnel. Citons par exemple Patrick Jannin, Frob et Hanna Chroboczek, des peintres et dessinateurs dotés d'une perception inédite de la réalité.

Michel Nedjar, Sans titre, 1983 environ. Techniques mixtes, 96,52 x 55,88 x 27,94 cm.

Patrick Jannin, Tous les chemins Mènent au Golgotha, 2022. Acrylique sur toile, 46 x 61 cm.

Patrick Jannin: Tous les chemins mènent au Golgotha

Tous les chemins mènent au Golgotha, une acrylique sur toile datée de 2022, résume parfaitement le style outsider de Patrick Jannin, un artiste français né en 1971, dont la vision du monde est caractérisée par une inquiétude sous-jacente forte, étrange et extrêmement profonde. Ce sentiment, en marge des modes et des courants artistiques traditionnels, s'exprime par la création d'une réalité parallèle, animée par des personnages étranges et lugubres. Dans cet univers, la volonté de l'artiste semble être de dénoncer la bassesse de la société humaine, désormais condamnée à un enfer perpétuel. Dans ce but, les œuvres de l'artiste d'Artmajeur se révèlent être de véritables révélations sur les drames du monde, déchiffrables seulement par les yeux d'observateurs attentifs. En ce qui concerne la tradition historique de l'art, on peut rapprocher de l'œuvre de Jannin certaines créations "monstrueuses" de Michel Nedjar, artiste visuel et cinéaste expérimental français, qui, à partir des années 1970, s'est consacré à la production de poupées fétiches avec des morceaux de tissu, des chiffons et des sacs en plastique, les personnalisant ensuite avec des plumes, du bois, de la paille, de la ficelle et des coquillages.

Frob, Lifestyle, 2022. Acrylique / marqueur sur toile, 40 x 120 cm.

Frob: Lifestyle

Lifestyle est une œuvre de Frob, un peintre et sculpteur français contemporain dont le travail combine l'abstraction, le Pop art et le graffiti de manière unique et originale. La juxtaposition de cet artiste avec l'art outsider pourrait être considérée comme farfelue, mais elle semble tout à fait probable si l'on considère L'Hourloupe, une série d'œuvres créées par le père de l'art brut, Dubuffet, à partir du début des années 1960. L'Hourloupe est née de l'inspiration que le maître français a puisée dans un gribouillis réalisé alors qu'il était au téléphone, dans lequel le mouvement fluide de la ligne se combinait à des champs de couleur limités pour créer du dynamisme. Selon Dubuffet, ce style évoque la manière dont les objets apparaissent instinctivement et inconsciemment dans l'esprit. Dans ce contexte de libre expression des mouvements de l'âme, les lignes et les caractères entrelacés du Lifestyle s'intègrent également bien.

Hanna Chroboczek, Fillette et petits personnages sur table jaune, 2021. Encre sur papier, 67 x 52 cm.

Hanna Chroboczek: Fillette et petits personnages sur table jaune

Le dessin minutieux de Hanna Chroboczek immortalise une petite fille, qui s'attache à observer, et à diriger, les jeux de petits personnages disposés sur un bureau. Cette œuvre, poétique et pleine de fantaisie, réalisée à l'encre et au feutre, résume bien la recherche figurative très personnelle de l'artiste, caractérisée le plus souvent par la présence de femmes, ou de petites filles, qui, dans des situations quotidiennes, apparaissent extrêmement douces et adorables. Pour en revenir à Fillette et petits personnages sur table jaune, le visage légèrement déformé du protagoniste et le jeu de couleurs noir, blanc et jaune semblent rappeler l'emblématique Dream, un dessin du célèbre représentant de l'art brut Vojislav Jakić. C'est précisément ce dernier chef-d'œuvre qui se caractérise par une présentation stylisée, dans laquelle se multiplient des figures masculines similaires, accompagnées d'animaux et d'autres petits personnages, immergés dans un fond jaune chatoyant.

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