Les Références Artistiques dans les Bandes Dessinées

Les Références Artistiques dans les Bandes Dessinées

Bastien Alleaume | 7 mai 2021 10 minutes de lecture 1 commentaire
 

L’art et la bande dessinée, deux domaines qui partagent autant de points communs que de divergences. Découvrons ensemble les frontières qui les distinguent et les ponts qui les rassemblent : on vous emmène dans la grande aventure illustrée.

Après avoir découvert les références artistiques dans les TV Shows et les hommages artistiques au cinéma, nous continuons notre tour d’horizon des liens étroits entre Art et Pop Culture : cette fois-ci, on redécouvre nos classiques à travers les comics et les bande-dessinées : on mouille son doigt et on tourne la page, c’est parti !

1. L’art et la Bande Dessinée


Cet article se veut contemplatif. Mais avant toutes choses, nous ne pouvons vous laisser découvrir ces références sans quelques notions de contexte. C’est pourquoi, dans ce propos introductif, nous essayerons (tant bien que mal) de disséquer les nuances et différences entre ce que l’on considère comme le « grand » art et la bande dessinée.

De prime abord, les distinctions ultimes entre ce que l’on appelle les « Beaux-Arts » et le 9ème Art (la BD) sont à trouver dans l’accessibilité de ces deux supports. L’un est considéré comme un produit de luxe, rare et souvent onéreux, alors que l’autre est généralement plus abordable, produit en grandes quantités. Les similitudes, quant à elles, se trouvent dans le processus créatif de l’auteur (un dessinateur et un peintre travaillent globalement dans les mêmes conditions), ainsi que dans l’originalité et la collectionnabilité de l’œuvre finale. 

La frontière entre ces deux domaines artistiques reste tenace, bien qu’elle se réduise au fil du temps, notamment grâce à l’avènement du Pop Art dans les années 60. On constate également une revalorisation des travaux de dessinateurs iconiques par les institutions artistiques que sont les galeristes, musées et maisons de ventes aux enchères. Motivés par l’appât du gain, ils répondent à une demande de plus en plus forte des amateurs de bande dessinées, qui disposent désormais des moyens nécessaires pour acquérir les frustrantes tentations de leur enfance. 

Et en 2021, on peut légitimement se demander quelle différence existe-t-il entre une bande dessinée de Mickey dans un livre ou un magazine, et une bande dessinée de Mickey peinte sur toile ?  

A première vue, en dehors de quelques modifications de couleurs et de disposition, rien ne distingue réellement ces deux œuvres. Pourtant, le dessin de gauche est disponible à la vente pour 50$ sur Amazon, alors que l’œuvre de Roy Lichtenstein, à droite, est estimée à plusieurs millions, et ses rares reproductions s’écoulent pour quelques milliers de billets. 

Même si les ouvrages illustrées existent depuis plusieurs siècles, la bande dessinée, comme on la conçoit aujourd’hui en occident, est née au début du 20ème siècle. A cette époque, elle était évidemment très éloignée du monde de l’art. Ses concepteurs, ses commanditaires (les journaux et revues périodiques) et son public envisageaient ce médium comme destiné au masse, car facilement reproductible grâce aux innovations de l’imprimerie. Durant une longue période, les dessinateurs se considéraient davantage comme des journalistes, chroniqueurs ou satiristes, mettant à profit leur talent du crayon au service d’une idée, d’un trait d’humour ou d’une information à traiter. Aux Etats-Unis, le triomphe des comics a débuté très tôt, notamment avec l’apparition du premier super-héros, Superman, en 1938. 


Andy Warhol, Ten Marilyns, 1963-1967. 

Là-bas, il était fréquent (voire machinal) que les dessinateurs jettent leurs panneaux originaux et leurs croquis directement dans les bennes à ordure de Manhattan, juste après impression. Un curieux exemple de l’intérêt que portaient ces dessinateurs à leurs dessins : loin de sous-estimer leur style, ils n’avaient surtout bien souvent aucunes idées de la valeur que pouvait représenter leur travail, et ne se considéraient pas véritablement comme des artistes, mais plutôt comme des producteurs de dessins et d’idées (à la chaine), destinés au grand public. 

La période d’après-guerre et le début des années 60 voit émerger la tendance du Pop Art. Andy Warhol et Roy Lichtenstein s’approprient des cases des Comics pour réaliser des œuvres monumentales et léchées qui obtiendront rapidement un franc succès. Miroir pulpeux et populaire de notre conscience culturelle, ces artistes recyclent les codes de la bande dessinée pour en distiller une satire colorée de la société. Entourés de collectionneurs, de galeristes et de marchands, leurs œuvres s’écoulent rapidement et à des prix très élevés, permettant (malgré eux) une revalorisation du travail primaire, celui produit par les dessinateurs qu’ils ont eux-mêmes copiés (ou « mis à l’honneur ») pour réaliser leurs toiles Pop Art. 

Si ce n’est quelques fans de la première heure, rares sont ceux qui se souviennent de Jerry Siegel et Joe Shuster, les adolescents à qui l’on doit Superman. Pourtant, on connait tous l’artiste excentrique et provocateur Andy Warhol, qui a reprit le personnage de Superman dans sa série « Myths ». Il fait l’objet de rétrospectives dans de nombreux musées et sa pratique artistique est documentée par une surabondance d’écrits plus ou moins critiques. Une sévère différence de traitement entre ces innovateurs discrets et oubliés, créateurs d’un empire aussi imaginaire que lucratif, face à des pasticheurs malicieux, triomphants et (un peu) mégalos.  


Andy Warhol, Myths Series, 1981. 

Malgré les injustices du passé, le gouffre financier qui sépare la bande dessinée et le grand art se réduit drastiquement. Il est aujourd’hui de moins en moins rares de voir des planches originales de BD passer aux enchères dans des maisons de vente prestigieuses. Certaines d’entre elles atteignent même des montants stratosphériques, notamment lorsqu’il s’agit de licences prestigieuses telles que Superman outre-Atlantique ou Tintin en Europe. A titre d’illustration, en 2021, un dessin d'Hergé pour la couverture de l'album de Tintin, Le Lotus bleu a battu le record mondial d'enchères pour la bande dessinée, adjugées pour 3,175 millions d'euros frais compris (Artcurial). On trouve également de plus en plus de créateurs qui arborent la double-casquette de dessinateurs et d’artistes. 

Pour certains réfractaires, la distinction entre l’art contemporain et la bande dessinée se trouve dans la notion d’abstraction : là où l’art sépare la forme et le fond (le sens) de l’œuvre, la bande dessinée met la forme, le dessin, au service du fond : elle illustre une idée. Bien que cette analyse soit déjà fragilisée par des siècles d’art figuratif, elle peut également être balayée par certaines grandes mutations du monde de la bande dessinée. Depuis la seconde moitié du 20ème siècle, les comics ont été poussés vers des chemins moins narratifs et plus expérimentaux. On retrouve, par exemple, de plus en plus de romans graphiques où les dessins sont au cœur du récit et se substituent aux mots. La bande dessinée, comme toute forme d’art, évolue et bouleverse constamment les moindres frontières qui lui sont affublées. 


Maintenant, place à la contemplation ! Pour faciliter votre lecture, nous avons décidé d’architecturer cette liste (non-exhaustive) en séparant les références aux œuvres anciennes (peintures religieuses, Renaissance) et les hommages aux œuvres relativement plus récentes (de 1800 à nos jours). Ces deux distinctions semblent nécessaires car elles ne servent pas le même but : les références anciennes mettent en valeur une posture ou une idée, alors que les références modernes mettent en avant un mode de vie, une culture, ou un simple hommage esthétique

2. Les références anciennes : l’allégorie au service de l’intrigue

Cette première compilation de références nous permettra d’entrevoir comment les dessinateurs s’approprient les codes de chefs-d’œuvre emblématiques pour diffuser rapidement une idée, en puisant dans nos références culturelles inconscientes. Car s’il existe une conscience collective, il existe également un inconscient collectif. Celui-ci est peuplé de figures, d’images et d’iconographies que nous discernons tous, sans parfois en connaitre le nom.  

  • La Pietà

Michel-Ange, La Pietà, 1499. Basilique Saint-Pierre du Vatican, Rome. 

Thème majeure de l’iconographie religieuse dont la figure la plus iconique est certainement cette sculpture de Michel-Ange, la Pietà (ou Vierge de Pitié) représente la Vierge Marie pleurant la mort de son fils Jésus, avec son cadavre étalé sur les genoux.

L’esthétique et les postures dramatiques de ce thème religieux permettent d’induire rapidement une idée dans le cerveau du lecteur : celle du deuil. Celui-ci peut alors, consciemment ou non, identifier l’intrigue d’une bande-dessinée en identifiant ces postures antiques sur la couverture de l’album. Une bonne astuce pour les dessinateurs qui souhaitent mettre en lumière la mort d’un personnage important : on recense plus d’une trentaine de comics présentant ces traits caractéristiques de la Pietà.

  • La Cène et l’Homme de Vitruve


Léonard de Vinci, La Cène, 1495-1498. Église Santa Maria delle Grazie, Milan. 

Voilà une autre œuvre iconique et surabondance dans la littérature graphique. Ce qui est pratique avec fresque de De Vinci, c’est qu’absolument tout le monde la connait.

Legion of Super-Heroes #2, Giffen et Levitz - DC Comics

Alice in Wonderland, Gill et Gregory (Couverture de Jason Embury)

Trolls de Troy - Tomes 13 à 16, Mourier et Arleston (couverture de Jean-Louis Mourier)

En plus de sembler particulièrement agréable à réadapter, la scénographie de cette œuvre permet au dessinateur de mettre l’accent sur différents points : d’abord il peut mettre en avant le rassemblements de différents héros (logique), mais il peut également présenter les héros selon leur ordre d’importance, disposant les principaux protagonistes au centre de la table, puis dispersant les personnages de second plan plus en retrait, sur les extrémités. Il peut également laisser entrevoir une potentielle trahison, en utilisant la figure du Judas.

L’homme de Vitruve quant à lui permet une représentation anatomique du personnage, particulièrement intéressant pour les super héros bénéficiant d’aptitudes particulières, comme ici Spiderman et sa version dark, Venom.  

  • La Naissance de Vénus

Le recours à cette œuvre puissante de Sandro Botticelli est plus rare, mais elle est suffisamment récurrente pour être soulignée. En effet, elle est surtout utilisée pour mettre en avant un récit basé sur un personnage féminin. Ce n’est une surprise pour personne, la bande dessinée a longtemps souffert de vices sexistes, et on trouve peu de personnages féminins aussi bien développés que leurs homologues à la pomme d’Adam.

Les Beaux-Arts ont également beaucoup souffert de cette misogynie systémique : si le sujet vous intéresse, nous vous recommandons nos récents articles (4 Artistes Talentueuses éclipsées par la Célébrité de leur Mari, 4 Femmes Extraordinaires qui ont Bouleversé l’Histoire de l’Art) qui tentent de remettre un peu de parité dans le débat.

 3. Les hommages modernes : symboles d’une société et d’une culture

Dans cette deuxième compilation, nous allons réaliser un petit tour d’horizon des œuvres emblématiques : des peintures représentatives de la culture et de la société américaineAmerican way of life »), mais également des œuvres représentatives de la culture francophone, et quelques hommages esthétiques purs.

  • The "American Way of Life"

La culture américaine fourmille de mythes fondateurs qui symbolisent son unité et ses valeurs. En peinture aussi, les symboles abondent, avec plus ou moins de véracité historique. Depuis le Golden Age de la culture comics, au début des années 40, de nombreux artistes se sont approprié ces peintures pour servir leur propos. En compilant les œuvres les plus réadaptées, on découvre alors le tronc commun, les chefs-d’œuvre emblématiques de l’histoire américaine :

- Edward Hopper, Nighthawks, 1942. 


Edward Hopper, Nighthawks, 1942.

Guy Gardner: Warrior #29 - "It's my party and I'll fight if I want to", Beau et Jimenez - DC Comics

Même si Edward Hopper a toujours refusé l’étiquette du peintre de l’American Way of Life, force est de constater que ses œuvres véhiculent une atmosphère caractéristique de l’Amérique citadine et solitaire du milieu du 20ème siècle. Une aubaine pour les artistes qui peuvent réadapter les codes de son chef-d’œuvre emblématique : Nighthawks.

- Grant Wood, American Gothic, 1930.

Peut être plus emblématique encore que l’œuvre d’Hopper :  American Gothic du peintre Grant Wood présente l’Amérique rurale des années 30. Un symbole devenu cliché à notre époque, tellement les détournements ont ancrés cette œuvre dans les mythes fondateurs de l’Amérique. Pas étonnant donc que les dessinateurs se l’approprient au profit de leur récit.

- Jean Leon Gerome Ferris, The First Thanksgiving, 1912.

Difficile de faire plus cliché que cette œuvre de Jean Leon Gerome Ferris, qui dépeint la première « action de grâce », mélangeant une tripotée de colons altruistes à une tribu d’indiens dociles et gourmands, bien décidés à partager la dinde ensemble. Une représentation (très) idéalisée du récit américain, et historiquement (très) inexacte.

- Emanuel Leutze, Washington crossing the Delaware, 1851. 

- James Abbott McNeill Whistler, Arrangement en gris et noir n°1, 1871. 

James Abbott McNeill Whistler, Arrangement en gris et noir n°1, 1871.


- Andrew Wyeth, Christina’s World, 1948. 

  • L’emblématique couple de la culture francophone 

En France également, on assiste à de savoureux remakes de symboles culturels d’unité nationale.
Notre petite pépite francophone, Astérix, nous a offert une délicate réinterprétation de notre mythe révolutionnaire : La Liberté guidant le Peuple, ainsi que notre mythe dramatique, installé à côté au Musée du Louvre : Le Radeau de la Méduse. Une réadaptation idéale pour illustrer les difficultés des pires pirates de l’histoire de la piraterie.

 

  • Pour le plaisir

Pour finir, nous compilons ici quelques références inclassables : Parfois, les hommages mettent simplement en lumière le talent ou l’influence d’un artiste, et relèvent davantage de l’exercice de style que du réel intérêt scénaristique.

C’est notamment le cas du projet "Avengers Art Appreciation" accompagnant la sortie en salle du blockbuster Avengers en 2012 : des dizaines d’illustrateurs se sont amusés à imaginer des covers de bandes dessinées inspirés d’artistes légendaires et d’icônes emblématiques de l’histoire de l’Art.


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