Ajouté le 4 oct. 2001
Pour Claude Morini
par Max Gallo
Ecrivain, Max Gallo est à la fois romancier, historien et essayiste.
Il fut également journaliste dans les années 70, époque où il rencontra Morini et apprécia son travail alors qu'il était éditorialiste à l'Express.
Il en est des peintres comme de n’importe qui. "Il leur faut vivre pour rien ou bien dans les tortures". Claude Morini avait choisi de vivre, pour reprendre le vers d’Eluard, dans les tortures et c’est pour ça que je l’aimais.
Mais les peintres ne sont pas n’importe qui. Ils laissent dans l’espace des couleurs et des visages, ils tracent dans le paysage des lignes qui délimitent leur univers singulier qui, quand la chance de les rencontrer nous est donnée, devient aussi le nôtre.
J’ai eu la chance de pénétrer dans l’espace Morini.
J’ai la chance de travailler avec sous les yeux deux visages peints par Morini.
L'escalier de ma maison, la plupart des pièces sont éclairées par les perspectives qu’a ouvertes Morini.
On me dit qu’il est mort.
Allons donc il est là devant moi, autour de moi, en moi.
On me dit qu’il est mort.
Comme si pour un créateur digne de ce nom il y avait autre chose à exprimer que le dialogue, l’affrontement, la cohabitation avec la mort.
Morini, j’ose l’écrire, n’a jamais peint autre chose que l’angoisse de la mort, même quand on lisait dans le regard de ses personnages l’espoir ou l’attente du plaisir. Il s’agissait en fait plutôt d’une curiosité de ce qui n’était pas la mort, qui n’avait d’importance et de réalité que parce que la mort était là, intérieure, mettant en perspective. Voilà pourquoi tout est "emboîtement" dans les tableaux de Morini, tout est à double fond : fenêtres, murs, cloisons, horizons, sols, ciel et terre, rien n’est clos, tout s’ouvre ; imagine-t-on, alors qu’une autre ouverture dans l’espace du tableau démontre que ce que nous croyons ouvert n’était que fermeture, qu’il fallait ouvrir autre chose encore, et cette chose-là, fenêtre ou porte ou regard, était elle-même une illusion d’ouverture. Il fallait aller jusqu’à l’autre porte, plus haut et plus profond et elle-même était fermée. Espace gigogne, couleurs dorées ou sombres, Morini a peint cette double réalité de l’ouvert dans le fermé, du clos dans la perspective.
Je dis, et je n’en demande pas d’excuse à ceux qui ne comprendront pas
que pour moi c’est bien là la seule manière de vivre pour autre chose que pour rien,
Je dis qu’il était mort dans la vie
Je dis qu’il est vivant dans sa mort.
M. G.