Ajouté le 19 oct. 2018
3/ Le retrait du geste...
J'ai depuis un ou deux ans amorcé une nouvelle approche de la pratique de l'Art ; le retrait du geste.
Autant il y a quelques années j'en mettais plein et partout, dans tous les sens. J'avais même décidé de ne plus regarder mon travail lorsque je m'y attelais, jusqu'à l'épuisement physique ou de mon support... Je me rappelle Tania Mouraud qui a beaucoup suivi mes recherches en son et vidéo notamment qui disait de moi au bibliothécaire de l'école des Beaux-Arts de Tourcoing, Eric Hérasim : « Baptiste, il sue de l'art ! » …
C'est vrai que j'ai beaucoup exploré, lu, fait des expériences, collaboré avec d'autres artistes ; ce qui m'a permis peut-être de défricher un maximum de possibilités … J'apprenais ( ap-prendre : prendre pour soi ) comme un vorace...
Puis il y eut un écrit qui m'a fait réfléchir ( 3 en réalité... ) puis une rencontre vraiment déterminante avec Lydia Steciuk, en tant qu'artiste entre autre...
Le premier texte est une citation de Joseph Beuys issue d'un colloque avec Kieffer, Counelis et Gucci «Bâtissons une cathédrale». Il dit de mémoire qu'il est à Madrid, il est 5h du mat, il observe les balayeurs de rue qui effacent les traces de la veille, mais ainsi, ils préparent l'avenir, le territoire de la journée qui arrive... Il les qualifie de «grands génies» dans leur application à nettoyer les rues et les met en rapport avec les dit artistes qu'il considère en grande partie comme des fumistes !.. Il a le sens de la formule comme à son habitude ! En vlan pour les artistes contemporains...

Mais je n'ai rien contre l'art contemporain et pour preuve, ma deuxième lecture est celle de Natalie Heinich «Les nouveaux paradigmes de l'Art Contemporain» où elle explique le mouvement de pensée qui s'est opéré au courant du XXe s. avec trois exemples très connus qui font modèles pour certains... Le premier exemple est celui de Marcel Duchamp avec le concept de ready-made (à traduire comme déjà fait, sous-entendant que c'est le regardeur qui avec sa culture et ses propres affects construit l’œuvre comme objet de narration).
Son deuxième exemple est celui de Yves Klein, qui fait un saut « dans le vide », photo énigmatique d'un homme qui se jette depuis un grand mur… dans le vide, un homme qui passe par là en vélo ne lui jette même pas un regard... Cette image fut publiée sur un journal qui ne paru qu'un jour, « Le journal d'un jour »... Le fait pour Yves Klein est de se jeter dans le « rien », de renoncer aux couleurs, pour en fabriquer une bien à lui l'IKB, renonçant à la facture du pinceau pour être que pure couleur... 
Son troisième exemple, dont j'ai déjà parlé est celui de Robert Rauchenberg qui prit une œuvre déjà faite (ready-made) mais d'un autre artiste De kooning, plutôt en vogue à ce moment et négocia avec lui un coup médiatique, une œuvre majeure pour ce faire remarquer en quelque sorte. Il sonna chez De Konning, qu’il connaissait un peu et lui exposa son projet « je voudrais effacer une œuvre ! » (pensez à Bansky qui vient de détruire partiellement une œuvre à lui pour faire le buzz). De konning lui sort quelques dessins et Rauchenberg insiste : non, non ! Une vrai œuvre, pas un truc ou une gomme suffirait ! De Konning revient avec un autre carton à dessin et ils choisissent ensemble quelque chose de difficile à effacer, au stylo à bille il me semble... Trois semaines, il aura fallu à Rauchenberg, tout jeune à l'époque, pour effacer l’œuvre d'un autre, il n'a jamais réitéré...
Tout ça pour dire que selon Heinich, ces trois artistes et pas des moindres, du moins pour moi, on fait un geste totalement nouveau, artistiquement simple mais assez complexe philosophiquement pour laisser une brèche ouverte à de nouveaux gestes qui reflètent notre société : la consommation, la fin des utopies et la question de la primauté de la vue...
Enfin, il y a ce texte magnifique de Maguerite Duras, qui est en fait aussi un film, avec des balayeurs de rues (tiens!!) qui se nomme « Les mains négatives », ces traces communément nommées ainsi pour désigner les premières « œuvres » collectives que l'on retrouve dans les grottes pariétales...
(Lien vers le film :"Les mains négatives" )
Le texte de Duras est une ode à l'amour, à ce geste d'intention qu'est la main ouverte pour dire «Toi », "je-te-considère-du-regard-et-te-salut-de-la-main"... Un "pluri-signe" pour nous, rendu visible, un geste d'amour qui « Nous » est adressé, donné à voir du plus loin des âges, ces humains du passé qui ont marqué la pierre de leur passage pour nous signifier qu'ils ont été là et qu'il n'ont pas fait que survivre : ils ont crée, ils nous ont donné à voir leurs souffles&mains ouvertes...
Plus loin encore, ce geste, qui est loin d'être anodin, de faire passer le pigment dans un tube et de le souffler, comme on envoie un baiser à la volée, de loin... Ainsi recouvrir le revers de la main de couleur, cette main posée contre la paroi qui disparaît sous la couche de pigment soufflé et retirer celle-ci pour faire découvrir la réserve protégée par la main...
Obtenir ce que je nomme « la présence d'une absence » : geste complexe puisqu'il n'est pas juste une empreinte mais une sorte de pochoir, une mise en réserve de la main...Et ça : ça me touche énormément ! Plus que Rauchenberg ! Plus que Heinich !..
Cette idée du « Retrait (de la main) du geste (du souffle) » … A -35 000 an avant l'an 0 … INCOMMENSURABLE de sagesse (du geste à la pensée du geste) Déjà Nous avions été là ( le plus-que-parfait de l'indicatif...)...
Je vous laisse méditer et me com-prendre (prendre avec vous) ce qui me hante amoureusement.... et voilà pourquoi, quelque part, j'ai voulu effacer le support, être moi aussi dans le retrait du geste, effacer le recouvrement et découvrir comme un archéologue ce qu'il reste de l'image, éplucher délicatement du bout des doigts pour retrouver l'image occultée...
à suivre : Mnémosyne , mère des 9 muses...