Kamra

Kamra est née à Paris en 1960 dans une famille très hétéroclite tant sur le plan culturel qu’artistique. On y compte quelques musiciens, aquarellistes, et linguistes de renom, parmi des origines anglaises, nord-africaines, ou ukrainiennes. Ces multiples influences seront primordiales dans l expression de son œuvre, à la fois par leurs rencontres fortuites comme par les interrogations et errances qu’elles susciteront.

Très tôt elle se découvre une passion pour le dessin qu’elle développe à la mine, au fusain d’abord, puis aux pastels et crayons gras ensuite. Déjà, le sujet importe peu. Toute forme est prétexte à saisir une feuille de papier et se lancer dans des esquisses, des croquis ou des planches colorées au dessin très abouti.
Au cours de ses nombreux voyages elle fréquentera assidûment galeries et musées, et ira de rencontres en rencontres, du symbolisme de la lumière de Rembrandt, à l’indicible sensualité de Vermeer, ou de l’inventivité et l’étonnement des regards et des visages de Vélasquez.

Kamra commence à travailler l’huile et sent pour elle la nécessité de l’existence par la matière et le volume. D’abord en référence au cubisme de Braque et de Picasso quand « l’aspect est le résultat » et quand quelques signes « permettent le décryptage et la recomposition », et à son évolution par l’intrusion de collages de papiers ou d’assemblages de matériaux qui n’ont pour seul but que de faire exister la couleur de façon indépendante à la forme.
Elle développe ainsi cette technique sous la direction de Miguel Nunez au Carrousel du Louvres à Paris, pour réaliser ses premières œuvres abstraites sur toile ou sur bois.

Chaque matière utilisée, du bois, du tissu, de la céramique, un déchet électronique ou un Cd-rom morcelé, est une référence, a une valeur et une signification propre, et dégage un sentiment poétique. Le rapprochement de tous ces éléments est toujours inattendu. Mais bien qu’inconscient il tend toujours vers une volonté d’harmonie. Et de manière onirique, Kamra échafaude les structures d’un nouveau monde, avec une tentative permanente de protéger un équilibre entre l’être et le devenir.

Aujourd’hui, tout naturellement ce monde prends vie, et vient se heurter à nos fantômes. Kamra rejoint en ce sens l’expressionnisme abstrait où le contenu n’a plus à voir avec le motif. L’image se disloque et la couleur structure l’expression de sentiments universels. Bien qu’éloignée des nouveaux réalistes dans sa pensée, elle utilise à l’instar de Villeglé, l’image, l’affiche, le mot volé, pour ouvrir de nouveaux espaces de liberté. La lacération est remplacée par la déchirure de la représentation du réel et par une accumulation obstinée.

Kamra veut ainsi témoigner des bouleversements de notre espace et de notre cadre de vie, de la complexité des relations humaines dans l’anarchie architecturale et l’impersonnalité de notre organisation urbaine. Elle tente de déstructurer des éléments et des mécanismes, pour, une fois ceux-ci devenus élémentaires et uniques, leur redonner un nouveau souffle, une nouvelle vie, plus en accord avec ses propres idéaux esthétiques et sociologiques.
Elle puise certainement cette énergie débordante dans sa propre reconstruction. Son monde est injuste, triste et laid. Son monde est agression et violence. Elle ne peut vouloir exister qu’à travers son propre désir de donner vie à son imaginaire à la fois lyrique et très palpable, touchable, concret en fait; donner vie à une matière malléable à sa volonté.

MA-TSE Lin, artiste-peintre chez Operagallery

Dans son récent travail « Ascension verticale sans limite », Kamra n’a de cesse de refléter l’image d’une société tentaculaire en perpétuelle croissance (New-York), un expansionnisme outrageur et tapageur, une plante vivace carnassière, un Phénix qui renaît éternellement de ses cendres ; toujours plus loin, toujours plus haut. Comme pour partager une liturgie de rivalité permanente.

Kamra nous montre la recherche spirituelle de l’élévation humaine ramenée au pragmatisme de l’élévation matérielle – plus près des étoiles. Elle assemble couleurs et matières, ouvre des angles qui exacerbent les perspectives, brisent les lignes de fuite jusqu’à la désarticulation, juxtapose réalité et fiction, joue des miroirs et des reflets, des genres, des époques et des cultures.

Cette course échevelée peut-elle être éternelle sans que les racines, les fondations ne se brisent ? Ce fragile enchevêtrement de terre, d’argile, d’acier et de verre peut-il résister à notre inéluctable aventure ? Les tremblements qui agitent ses toiles semblent nous avertir du contraire, tout en proposant d’autres perspectives.

L’œuvre de Kamra est ainsi en proie à une incroyable force de trait, de dynamique, propres à une création très riche, et une composition volontairement très complexe. Une prise en compte par l’artiste de la réelle complexité de la vie et de l’espèce humaine, ainsi que de son monde en perpétuel mouvement vers un avenir certain et inéluctable mais à la fois plein d ‘espérance. Une expérience intérieure assez unique à n’en pas douter …