Ajouté le 23 janv. 2004
Ce nom ambitieux est quelque peu trompeur, car il laisse entendre qu’il s’agit effectivement d’une capture, d’un emprisonnement quasi-définitif, alors qu’évidemment les énergies en question parviennent toujours à s’évader, en ne laissant d’elles qu’une trace, qu’une empreinte. Tout est donc chaque fois à recommencer et, toile après toile, la traque incessante d’Isabelle Viennois continue, obstinée, presque fébrile.
Mais il ne s’agit pas, loin de là, d’une recherche esthétique, et encore moins d’une peinture pensée et planifiée d’avance. La toile est le lieu, l’unique lieu, où se déroule ce combat toujours à reprendre. La première étape consiste à laisser envahir l’espace par le chaos ; c’est dans ce magma que se retrouvent des parcelles de matière brute et grisâtre, les « cailloux » d’Isabelle, noyaux d’énergie potentielle qu’elle doit dompter en les éclatant afin qu’ils expriment leur force cachée. Les éléments du magma, hétérogènes et rebelles, résistent parfois longtemps aux tentatives de structuration que le peintre cherche à leur imposer, et ce n’est que progressivement que les cailloux et les autres objets de forme et de couleur, sont d’abord désintégrés, pour être réintégrés, trouvant leur place définitive, après une opération de tri dans laquelle le superflu est éliminé, rejeté hors du format.
La composition se cristallise enfin, et l’énergie se trouve prise dans un étau de formes, ou alors placée sur une trajectoire à la fois maitrisée et dynamique. Car il ne faut surtout pas perdre le mouvement initial, l’instabilité inhérente, auxquels tout équilibre trop statique serait fatal. Dans ce travail d’organisation, les proportions géométrisantes sont puissamment aidées par la couleur, en un jeu d’intensités et de températures. Il faut trouver le point exact, à la fois tendu et précaire, car tout menace d’un moment à l’autre de s’écrouler, et la structure de s’effondrer sur elle-même, d’imploser à la manière d’un trou noir cosmique. Tout serait alors à refaire, soit par un retour au chaos originel, soit par un renforcement des structures et des équilibres. (Le peintre cherche actuellement à se passer de ses « cailloux », qui sont pour elle un stimulant par la difficulté-même de leur intégration parmi les autres éléments picturaux. Mais évidemment l’énergie virtuelle qu’ils recèlent est inhérente à toute forme et couleur – faut-il encore parvenir à la libérer).
En nous plongeant dans ces œuvres puissantes, nous pouvons refaire pour nous même le trajet parcouru, l’aventure vécue par l’artiste, en revivre les mouvements cruciaux. Et nous comprenons que c’est la maîtrise de son propre destin qu’Isabelle recherche à travers la maîtrise de son art – de là son acharnement, sa passion. Ainsi, nous pouvons la suivre au cœur de son rêve, jusqu’au moment où se dévoile, cachée sous la métaphore visuelle d’une transformation de la matière, une transformation intérieure où nous avons beaucoup à apprendre sur nous-mêmes.
Frédéric Voilley (mars 2011)