MÉLISSA TRESSE: La mixité fragile du vivant

MÉLISSA TRESSE: La mixité fragile du vivant

Nicolas Sarazin | 18 lut 2020 5 minut czytania 0 komentarze
 

Melissa Tresse aime les animaux, morts ou vivants, réels ou imaginaires. Ils constituent sous sa pointe sèche un bestiaire qui plonge ses racines dans les contes médiévaux mais qui en dit long aussi sur la précarité du vivant à l’époque actuelle.

Sur le site de Melissa Tresse, quatre entrées principales: gravures, peintures, dessins et… “ces bêtes”.

Il faut sans doute commencer par cette rubrique pour comprendre ensuite les oeuvres. Ces bêtes… ou toutes les petites bestioles que la jeune Melissa Tresse gardait, conservait, exposait dans son enfance: une chauve-souris suspendue en l’air entre quatre fils, un squelette de belette, sagement présenté, os par os, dans une petite boîte, une créature composée d’un corps d’insecte volant et d’un crâne de souris...

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 “J’ai grandi à la campagne, et j’ai toujours aimé collectionner les choses, notamment les os, les squelettes. J’avais même créé un musée chez nous, dans le poulailler. J’avais viré les poules, et j’exposais mes animaux à moi. Et puis, petit à petit, j’ai continué à collectionner, mais en personnalisant un peu mes trouvailles. J’assemblais les éléments et créais des chimères. Toute cette enfance a évidemment alimenté ma création artistique”.

Avec ce contexte en tête, on passe aux peintures, dessins, gravures, pour découvrir un bestiaire comprenant toute sorte d’animaux vivants ou imaginaires.

“Ce monde animal m’a toujours permis de relier mon enfance aux contes, au monde médiéval réel ou fantasmé”.

Dernier dessin en date: une arche de Noë, thème qui par essence intègre toutes les espèces existantes, mais que l’artiste a justement traité autrement. Dans un premier dessin, un bateau ventru, mais échoué et sans plus aucun signe de vie, humaine ou animale. Dans le deuxième, trois êtres vivants ont réussi à prendre le large… mais il s’agit de trois êtres humains, et dans le troisième, les seuls animaux visibles sont des poissons échoués et sans doute asphyxiés…. 

Au XXIè, siècle, avec ce que l’on sait de la destruction du milieu naturel, voilà la vision d’une arche de Noé qui laisse peu d’espoir. 

Autre vision, guère plus optimiste dans un autre dessin, où l’on voit un poisson volant remorquer des individus dans une barque à la dérive.

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“Le mythe et la fable sont pour moi comme un langage vivant qui me sert à interroger le présent. Ces images poétiques entrent en résonances les unes avec les autres, se répondent, comme si comme si elles avaient fait partie d’un livre dont on aurait perdu le contenu”.

D’autres gravures ou dessins montrent des traitements plus légers, où l’humour, voire l’absurde, se font une place: “Je suis fascinée par l’incroyable mixité du vivant et le potentiel de formes qu’elle recèle. En dessinant, je tente de suggérer plutôt que définir avec précision la nature étrange des corps représentés, tout en gardant une grande spontanéité dans l’écriture graphique”. 

Que ce soit en dessin ou en gravure, les personnages se mêlent ainsi aux poissons, oiseaux, mammifères, sans souci de réalisme ou d’échelle, tous mis au même plan, l’artiste accordant la même importance aux uns et aux autres.

Melissa Tresse fait des liens entre les différents acteurs du monde vivant, comme elle en fait avec les techniques: “Pour l’Arche de  Noé, ce sont des dessins à l’encre de Chine pour pouvoir ensuite les tirer en sérigraphie, éventuellement avec des couleurs. C’est une technique que j’ai encore peu pratiquée, mais qui permet de faire des ponts entre gravure et dessin”.

Car l’artiste pratique avant tout la gravure, sous toutes ces formes: les eaux-fortes sur plaque de zinc, en incisant la plaque vernie avec une pointe sèche, une technique permettant d’infinis détails; mais également des pratiques plus brutes, comme les bois gravés, qui permettent d’autres formes d’expression.

Le travail de Melissa Tresse est a priori intemporel: la gravure, sous toutes ses formes, est un art ancien; le thème du Bestiaire remonte au moins au Moyen-âge, voire à l’Antiquité. L’artiste ne cache pas que des artistes comme Jérôme Bosch ou Brueghel ont été de vraies sources d’inspiration.

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Malgré tout, elle apporte une touche de modernité évidente, à la fois en reliant le thème à la situation actuelle de la planète, et en intégrant des gravures dans des présentations parfois insolites, où la gravure est par exemple découpée… en suivant le bord du motif (hérésie suprême pour tous les amateurs de gravures anciennes).

Elle a ainsi exposé en 2013 des gardiens imposants au château de Lanoux, des figures gravées dans des planches de cèdre de très grand format. “Exposer les bois directement apporte autre chose que d’exposer les gravures, car cela revient à exposer un travail qui relève de la sculpture, un travail en relief fait avec les burins et les ciseaux à bois. Ce qui compte ici, c’est que l’image du corps apparaît dans des creux, des éraflures, des grands coups de gouges, des petites griffures laissées dans la matière dense. A partir de ces bois,  j’ai réalisé de grands frottages. Les figures sacrées, très simple, imposantes sur le bois, prennent alors l’apparence de linceuls extrêmement fragiles”.

Derrière l’apparence ventrue de l’arche de Noé, derrière la solidité des gardiens, se cache toujours une autre façon de voir les choses.
Le monde est peuplée d’êtres vivants… mais cela ne pourrait avoir qu’un temps.    Texte : A.D

VOIR LE TRAVAIL DE MELISSA TRESSE →

Née en 1985, Melissa Tresse a toujours vécu en Ariège, dans la campagne. Elle choisit une option arts plastiques au lycée.

Pour comprendre son parcours, il faut mentionner un élément familial important: Mélissa Tresse a pour parents deux artistes peintres: “Ce qui veut dire deux choses. D’une part, je savais qu’il était possible de vivre de cet art, mais…. d’autre part, en grandissant, je ne voulais surtout pas reproduire le modèle que j’avais sous les yeux. J’ai donc choisi le théâtre”.

Le goût pour le dessin et les arts plastiques l’a rattrape, et Melissa Tresse s’inscrit en fac d’arts plastiques à Toulouse. Elle y reste deux ans, et choisit la troisième année de poursuivre par l’enseignement à distance pour pouvoir avoir en parallèle plus de pratique: elle part en Tunisie apprendre le soufflage du verre six mois, puis aux Canaries, chez un graveur qui lui fait découvrir toutes les potentialités de la gravure. 

Elle poursuit en intégrant les Beaux-Arts de Nîmes en troisième année, et continue la gravure…. “mais c’était une pratique considérée comme ringarde. Donc au bout d’un moment, j’ai continué mais sans montrer mes travaux aux profs!”.

Depuis, Melissa Tresse pratique en alternance dessins, gravures et peintures.

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