Patrick Lalande
Les veilleurs de bronze, de Catherine Andrieu.
Les veilleurs de bronze par Catherine Andrieu
Il y a des figures qui ne regardent pas, mais qui veillent. Des visages d’avant la parole, d’après le tumulte. Des masques d’outre-rêve fichés sur leurs hampes de bronze, comme des lances sans guerre, des sceptres sans royaume, des témoins debout dans la mémoire du bois.
Patrick Lalande installe ici non pas une scène, mais un axe. Trois faces, d’abord. Puis trois corps. Une lente procession qui va du silence au cri, du retrait à la matière mise à nu. Les visages ne demandent rien, ils consentent. Ils ne s’expriment pas, ils se tiennent. Et ce qui suinte d’eux n’est pas une intention, mais une gravité. Une densité. Quelque chose de profondément incarné, et pourtant déjà ailleurs.
La base, tronc fendu, saignée d’écorce, est comme un socle vivant — le vestige d’un arbre qui aurait survécu à sa propre verticalité. C’est d’elle que tout part : elle saigne d’un bois rouge, d’un feu souterrain. Elle est matrice. Elle est la terre. Elle est ce qui a brûlé, ce qui brûle encore.
Et dans ce surgissement, le bronze vient. Non pas pour dominer, mais pour s’élever, pour reprendre le chant interrompu du vivant. Les tiges sont fines, presque fragiles, comme si elles ne devaient pas durer — et pourtant elles tiennent. Elles portent la preuve. Elles dressent l’effigie.
D’une part, un long corps percé d’un regard fossile — verticalité du supplice ou de l’élévation ? Il contient des traits, il contient des trous, il contient le souvenir. D’autre part, une forme d’utérus ou de totem bulbeux, avec sa texture de peau battue, trouée, résistante. Entre les deux, encore, le visage. Toujours ce visage. Comme un centre, un pivot, un cœur. Non pas l’humain, mais ce qui en reste quand il s’est défait de ses fonctions, de ses rôles, de ses parades.
Le bronze, ici, n’est pas matière. Il est résidu. Il est ce qui reste après le passage du temps, après les cris, les langues, les corps. Il est cette forme minimale et tremblée de la présence. Un silence travaillé à la main.
Patrick Lalande ne sculpte pas des figures. Il sculpte leur impossibilité. Il travaille l’empreinte, l’ombre portée, le presque. Il offre aux regards non pas une œuvre à comprendre, mais un seuil à traverser.
On pourrait dire que ces sculptures parlent de la tribu, du mythe, de l’homme archaïque. Mais ce serait s’enferrer dans le décor. Ce qu’elles disent, c’est l’absence. L’imminence. Le poids de ce qui n’a pas de nom, et pourtant insiste à travers nous. Ce qui se dresse encore, malgré tout, quand il n’y a plus rien à dire.
Alors on se tait.
Et l’on regarde, comme on entrerait dans un temple sans maître.