Ajouté le 19 mai 2005
"ECLIPSE DE LA MEMOIRE"
ANALYSE : de Madame Marie Jeanne LATAIX
Paris_1994
Au premier regard , j'ai pensé que les œuvres présentées dans ce catalogue ne pouvaient pas être du même artiste , tant elles étaient variées . Après études je ne partage plus cet avis . Je penche d'avantage sur l'impression que j'ai que ces 10 œuvres n'ont pas toutes été forcément faites à ALGER , mais certaines ont été réalisées ou inspirées par le sud du pays , lieu d'origine de l'artiste.Ses peintures ont des points en commun : elles sont basées sur la prière , le spirituel : la calligraphie a des degrés plus ou moins intenses , large ou fine .Les signes fermés ou ouverts sont généralement illisibles . L'angle droit et le triangle triomphent . Chaque œuvre représente une dualité : le combat. de la conscience humaine. perceptible. soit par les différences de tonalités , soit simplement par une ligne le plus souvent blanche , séparant l'œuvre en deux parties ( pas forcément égales ) Elles se situent toutes dans un monde spatial : le sens droit , gauche , haut , bas n'existe pas . Trois œuvres , très colorées ,sont essentiellement des "classiques" de la part de l'artiste. Ce sont des œuvres religieuses, sacrées, des prières proches d'une "déité" absolue et vécue au quotidien , avec une grande ferveur .Ouamane dit qu'il récite les versets du Coran en peignant.
-"SIGNES EN APESANTEUR" :
(82 x 80 cm.) est la seule œuvre que j'ai vue. La peinture est lisse, signe de distinction. Le noir et le blanc met en valeur les couleurs puissantes comme le rouge coquelicot, le vert et le jaune. Dans la partie supérieure du tableau par des gris bleutés, au centre par des ocres, les lettres qui sont illisibles pour la plupart sont plus facilement visible à l'intérieur d'un rectangle non fermé. Sur la gauche de l'œuvre, un carré est abstrait ainsi que le coté haut gauche dans des couleurs grises, à droite dans des tons noirs foncés. Je serai assez tentée de dire que cette partie est réellement un reflet très sensible de l'esprit de l'artiste par rapport à ses convictions religieuses. Un espace blanc, neutre, abstrait sépare, le bas du haut du tableau. Dans la partie inférieure de la peinture, de la prière vient des entrailles, elle est très foncée, beaucoup de noire, la couleur plus éteinte. Les blancs sont gris bleutés, les ocres virent aux rouge foncés. Des lettres y sont peintes, mais l'abstraction est très présente.
-"SILEX" :
invoque le rythme. La forte concentration de la prière, l'élévation de
l'âme par rapport à la prosternation du corps. Cette œuvre est toute en hauteur (35 x 100 cm.).Il y a cinq rectangles, et deux angles montants, (l'un fermé, l'autre ouvert) cenés de blancs dégradés, bleutés en bas, et purs en haut, formés soit en écrits, soit en traits. Le fond de l'œuvre est foncé, presque noir, avec des couleurs moins vives que dans le précédent tableau ; c'est la façon de l'artiste pour donner la cadence. Si l'on part du bas abstrait de l'œuvre, c'est la mise en condition du début de la prière. Dans le premier rectangle le recueillement commence par l'angle montant: gris, blanc, bleuté qui provoque une élévation vers Dieu. Dans le deuxième les lettres sont, principalement blanches, par moment gris-bleutées et aussi compactes que les grains du silex, elles se bousculent. On sent la très forte concentration et la communion avec l'Etre suprême qui va en s'élevant dans le troisième rectangle. L'angle alors s'élargit vers le haut, d'un blanc plus clair, les lettres sont très lisibles démontrent l'offrande et l'imploration. Le quatrième rectangle est beaucoup moins haut que les précédents, des lettres fines l'entoure à l'intérieur la calligraphie est blanche, est plus large, plus haute, plus voyante plus nette; c'est la pureté. Dans le cinquième rectangle jusqu'en haut de l'œuvre, c'est l'adoration; des signes abstraits, non lisibles, sont traversés cependant par une ligne d'écriture très bien formée blanche immaculée, encadrée de deux petites lignes extrêmement fines, dont une non continues.
-"L'OASIS NACREE" :
(100x70 cm) Cette œuvre très dense est construite dans une structure géométrique cernée largement par des signes entrelacés formant des séparations entre les divers éléments. L'OASIS NACREE est coupée quatre fois dans le sens horizontal et trois fois dans la verticale, dont les angles ne sont pas d'équerres, sauf ceux des quatre carrés: blanc, rouge, mauve, bleu, qui sont insérés verticalement dans l'œuvre le carré blanc du milieu est la seule forme à n'être pas enfermée par des lettres, mais traversée ainsi que le centre du tableau par des écrits rouges la plus grande partie de l'œuvre à la même valeur de tons, même s'ils sont de différentes couleurs: bleu, vert, rouge, bleu, gris. La base plus claire est dans les couleurs grises-bleutées, chères à l'artiste, dans la partie supérieure en des blancs et bleus les calligraphies sont totalement inégales; en grandeur, largeur, hauteur, couleur. Le rythme ainsi rendu est très intense, démontre une très grande force et une formidable maîtrise d'une gestualité musicale, donnée par la grande souplesse du poignet du peintre.
-"LA FONTE DES LETTRES" :
(120 x 80 cm) est un tableau religieux, mais ayant une unité dans la couleur ce qui n'est pas le cas des autres œuvres de Tahar Ouamane. Tout est en camaïeu bleu léger, comme un ciel serein. Cela a pour effet de donner un aspect très spirituel. C'est un hymne chanté à l'adulation de Dieu. Comme son titre l'indique les lettres sont fondues dans la couleur, la plus claire, elles sont plus petites que dans les autres œuvres. L'architecture de ce tableau est basée d'après une géométrie esthétique propre à l'art arabe. Elle est composée de la façon suivante: une ligne verticale descend du haut de l'œuvre jusqu'à 1 cm de l'extrémité basse, et représente un peu moins qu'un tiers du tableau en largeur. Elle est constituée de carrés, de rectangles placés soit en hauteur, soit en largeur, en haut se trouve un angle descendant. Dans l'autre partie de la FONTE DES LETTRES, des segments en diagonales traversent l'œuvre presque de haut en bas, d'autres lignes au contraire la traverse en diagonales dans le sens de son envergure format ainsi des rectangles de diverses importances. Des cercles ou des quarts de cercles, écrits en boustrophédon, incrustés à l'intérieur de formes carrées ou rectangulaires. Il y a dans ces lignes circulaires formées en s'élargissant des signes d'écritures très visibles et d'autres effacés par le temps. Peut-être s'agit-il des empreintes imaginées, et réinventées du Coran, qui à l'origine avait été transcrits, entre autre, sur des tessons de poterie du vivant du prophète Mahomet après la révélation par l'archange Gabriel et qui furent détruits après le recensement de tous les textes du Coran pour une rédaction d'une Vulgate par le Calife Othmann (entre 644 et 658 ). Il est à noter que c'est la seule représentation de la forme ronde, dans ce catalogue. Un peu moins du tiers inférieur est bleu encore plus tendre. C'est dans ce rectangle que se situe l'humilité de l'homme par rapport à Dieu
" Suivent quatre œuvres de petits formats qui sont celles pensées ou réalisées par rapport à son amour pour son pays natal. La poésie est plus présente que la prière, elles sont plus abstraites ?… (étant donné leurs petites tailles, elles sont très facilement transportables, comme un carnet de voyage).
-"ECLIPSE AURORE" :
(27 x 12 cm.) est le réveil, le bonheur de vivre, la poésie d'après le sommeil. Le soleil se joue sur un voile fluide orangé formant des plis anguleux avec des nuances chaudes pouvant aller du rouge verveine jusqu'aux dégradés les plus clairs dans un lyrisme distrait. Puis vient un arrondi léger, un petit coude, une autre limite moins nette nous amenant à la frontière rituelle du blanc de ces petites œuvres. Celle-ci se ferme par une horizontale située un peu au-dessus du milieu d'ECLIPSE AURORE. C'est à ce moment de la journée ou l'esprit est le plus vif, le plus créateur. Dans le calme il engendre l'écriture, ainsi, s'inscrivent les mots des poèmes, des chants glorieux, d'amour aux rythmes des changements de la couleur du ciel exceptionnellement dense, forte, au petit matin, et de la réverbération plus intensément ressentie du premier fragment de l'œuvre. Un arrondi évasé sur la partie la plus jaune orangée, un petit coude qui soulève le pli plus ocre-rouge, une autre courbe - le blanc réapparaît.
-"ECLIPSE SEREINE" :
(27 x 12cm.) Tous ceux qui connaissent OUAMANE Tahar savent qu'il est non seulement peintre, calligraphe, mais aussi poète l'âme. Dans le bleu infini du ciel, il cherche un hymne pour exprimer sa pensée la plus profonde. Des signes plus foncés, encore imprécis se précipitent dans son esprit avec des passages beaucoup plus clairs et abstrait, comme des nuages mouvants soufflés par le vent. Un blanc découpé traverse l'espace, pour arriver à une identité plus précise, lucide, mais pas encore entièrement accomplie, puisqu'il y a toujours une part plus abstraite et plus claire dans son œuvre comme s'il estimait modestement que la pensée humaine peut toujours être remise en question, donc perfectible.
-"ECLIPSE DE LA MEMOIRE"
(23 x 23 cm.) De toute vraisemblance, cette œuvre carrée est inspirée par une histoire de l'Egypte ancienne, une pyramide est rapidement esquissée dans le bas droit de l'œuvre. Les signes écrits ne sont pas des idéogrammes représentatifs des hiéroglyphes, mais une écriture inventée, secrète compréhensible seulement par l'artiste, retraçant une épopée lointaine dont il ne se souvient plus exactement. Cette impression est donnée par le voile léger descendant bleu, couvrant plus de la moitié haute d'ECLIPSE DE LA MEMOIRE qui est traversée en une oblique verticale accentuant d'avantage la forme pyramidale. Au centre droit, un rectangle blanc-bleuté, avec des signes effacés suivit d'une autre forme rectangulaire, gris-blanc, dont les signes bleus semblent incrustés dans la peinture, et dans la forme de la pyramide. Dans la partie gauche de l'œuvre, le voile est foncé, la calligraphie encore plus imprécise, un triangle gris qui rejoint un rectangle gris moyen avec des signes à peine colorés de bleu, pour se cacher sous un autre voile bleu, bordé d'un peu de blanc, défiant toutes les lois de la pesanteur.
-"L'ARGILE - MIEL , ET LA POESIE"
(27 x 14 cm) Les mains appuyées, tirées, sur l'argile humide laissent des traces dans le sol, jeux que l'on fait en rêvant dans un moment de détente qui nous pousse même à écrire des mots pour le plaisir de laisser son empreinte dans le sol avec une envie irrésistible de le pétrir. Alors qu'au même instant la toile de la tente se soulève doucement sous la brise, dans un drapé aérien; les yeux pleins d'écrits sur les poèmes épiques du temps passé. Les ocres et verts se renvoient des échos colorés par-dessus la ligne blanche séparant la terre argileuse du tissus souple.
-"SIGNES - DEBAGH" :
(24x14 cm) Personnellement je considère cette représentation comme une déchirure de l'être. La couleur est celle du sang mélangé à la terre dans des dégradés plus au moins puissants. L'œuvre est séparée en deux par une ligne montante, plus large à droite, mais également par une ligne verticale traversant presque entièrement la peinture, principalement visible et jusqu'à la limite de la partie inférieure. Des triangles d'inégales importances plus foncés sont tracés horizontalement. Deux d'entre eux se terminent par des points…, des taches de sang à la limite du noir?… Les lettres larges et saccadées sont moins visibles en bas et vont horizontalement en s'accentuant dans l'intensité de la couleur vers la ligne blanche transversale. La partie haute de l'œuvre est comme figée, plus foncée à la limite supérieure. Des angles aigus s'élèvent vers le ciel généralement en couleurs plus fortes. Plus clairs et plus larges pour ceux qui descendent vers la ligne blanche transversale centrale. Dans cette œuvre très dramatique un petit texte se situe, en haut à gauche, il doit parler d'espoir?…
-"SOUVENIR ETEINT" :
Il y a dans ce petit tableau , reproduit dans le catalogue presque dans ses dimensions réelles, (. 32x15 cm ) comme son titre l'indique : une nostalgie du passé , un questionnement en profondeur ? En réalité, j'ai immédiatement pensé avec beaucoup de convictions et même de certitudes à GAUGUIN. J'étais perplexe . Je me demandais bien comment une œuvre figurative pouvait avoir une ressemblance avec un travail abstrait, sans aucune représentation humaine? Après quelques recherches sommaires , j'ai trouvé dans "Gauguin" - les grandes expositions - Beaux Arts, (hors série, réf. M1584618HS-45RD), Commissaire d'exposition: Claire FRECHES-THORY, la représentation de TA MATETE (le marché): 1892 huile sur toile ( 73x91,5 cm ) Kunstmuséum, Bâle. …Une reproduction d'une tombe thébaine de la XVIII ° dynastie que possédait Gauguin lui fournit de façon presque littérale le motif de ces femmes assises. Il reprend la juxtaposition d'un buste de face sur des corps assis de profil . Les figures sont figées dans un hiératisme étranger à la langueur polynésienne . Gauguin exprime sa sensibilité à tout "art primitif" - (extraits)… SOUVENIR ETEINT est en plus petit la synthèse et la codification de TA MATETE. Le support de la surface peinte est granité, les angles sont présents, l'écriture, même les couleurs (dans la mesure ou il est possible de se fier à des reproductions de bonne qualité): gris-blancs, jaunes, bleus, verts, rouges, violets. C'est ainsi que l'art traverse le temps sans en connaître les raisons exactes…, ni son chemin…, mais arrive à un accomplissement dont l'aboutissement se projette dans le futur…
"L'ART EST LONG, LA VIE EST COURTE"
( HIPPOCRATE )
MARIE JEANNE LATAIX..1994..................
* Président - fondateur du Salon de Marne La Vallée
Commissaire Générale d'Expositions......... .France
* > Cette analyse fut traduite vers l'arabe par Dr Ahmed Manour
(revue "At-Tabiyine"n°15/2000)