Ajouté le 20 mai 2006
Kliclo : du Klezmer en peinture
Par Sophie Chauveau
La mémoire est une faculté, pas une vertu. Si nous nous souvenons, ce n’est ni par devoir ni par volonté, mais parce que nous sommes faits pour ça. Il ne nous est pas donné de ne pas nous souvenir. Aucun mérite particulier à se souvenir, pas plus qu’à survivre. La perte de la mémoire est un symptôme pathologique, non un état normal. La question de la mémoire est « comment » et non « si » disait Ruth Kluger.
Et à ce comment, Kliclo répond : avec talent, avec poésie, avec ardeur, générosité et opiniâtreté.
Des murs de Paris aux pavés du ghetto, de l’écriture du yiddich land, aux lettres profanées, déchiquetées, en lambeaux de beauté, des pellicules de films intournables, in-tournés, à l’im-montrable trace bleutée, ces empreintes à jamais gravées dans nos inconscients, affleurant nos mémoires exténuées, en passant par ces valises en souffrance pour l’éternité, Kliclo fait ses épiphanies. Et aujourd'hui, son assomption. Au sens propre. Elle est allée jusqu’au ciel, au plus beau des cieux pour atteindre Jupiter. D’abord elle traversa le ciel polonais, cette gueule effrayante qui engouffra tout un peuple, puis au milieu des nues, l’artiste a croisé quelques astres, la lune et des poussières d’étoiles où puiser une manière d’apaisement dans ce cimetière de lait blanc. En s’élevant dans l’éther, sa peinture a embrasé et unifié toute son œuvre.
Ce travail précis, minutieux, attentif et ô combien métaphorique, cette lutte contre le temps ne vise pas tant à l’usure du chagrin qu’au maintien de la flamme du souvenir. Gardienne des larmes, garante d’une mémoire toujours vive, Kliclo fait ventre de toute matière pour en faire une œuvre métaphysique. Tous ses formats différents se réduisent à la brûlante seconde du souvenir.
Œuvre plastique qui pense et force à penser. Œuvre graphique qui vibre et bouge encore sur la toile, de toute cette force, cette énergie, cette vie que Kliclo lui insuffle à titre de vengeance, de réparation, d’infini lamento.
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L’émouvante
Par Loïc Loeiz Hamon
L’œuvre de Kliclo est nourrie de souvenirs, les siens, ceux des autres. Elle est composée des traces formées dans notre esprit, sur notre corps, après le passage du temps. Elle reproduit, modifie et transforme les cicatrices de la vie.
Kliclo grave, lacère, déchire, blesse, colle et peint pour fabriquer un travail de mémoire. C’est une œuvre, à la fois, lourde et légère, fait de juxtaposition de toiles, de répétitions lancinantes, de mélopées graphiques. Monumentale, elle est luxuriante et rouillée, magnétique comme un ciel d’orage. Sombre et lumineuse comme le flanc d’un volcan.
Cette œuvre, en errance, peut être un très long silence, une fenêtre ouverte sur les étendues célestes de la nuit. Il y a de la fumée dans l’air, des brûlures aussi et des escarbilles. Elle touche au plus profond de notre être, pour raviver une petite flamme d’humanité.
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