Ajouté le 6 mai 2007
Chez Sylvie Kaptur Gintz, la nécessité de créer est une évidence car dit-elle souvent, « l’acte de peindre est étroitement lié aux notions de naissance et de renaissance ». Car le monde, ou plus exactement, « l’être au monde », est une naissance sans cesse renouvelée, porteuse de mémoire, d’identités, d’histoires individuelles et d’histoires collectives. Et c’est avec cette curiosité insatiable pour ce monde-là, et cette présence au monde, que la plasticienne nous invite à pénétrer au cœur de son travail, à la rencontre d’un univers coloré, sensible, humain.
Dans un monde aujourd’hui dominé par la suprématie de l’image médiatique doublée d’un empire du « zapping », il apparaît salvateur et nécessaire pour l’artiste d’obliger au temps de pause (de pose), au temps irréductible de la contemplation de l’œuvre, au temps qu’il faut pour se laisser imprégner, submerger par l’image fixe et unique, dans laquelle le mouvement, la fluidité, vient de la vision, de l’imagination, de la sensibilité du spectateur. Elle entend lui rendre le temps de devenir acteur de sa vision, de comprendre, de ressentir. Comme si, à force de passivité face aux images mobiles et évanescentes de la télévision, de la vidéo, il redevenait urgent de se réapproprier le sens de l’image. Soudain, contrairement à ce que disait le critique Pierre Restany, la peinture n’est plus cette « lutte d’arrière-garde » face au déferlement du Web, du numérique, du virtuel, mais au contraire le lieu du ressaisissement du monde.
Ce temps retrouvé, c’est aussi pour l’artiste le temps de la création, de la préparation des objets de ses installations, des toiles montées sur les châssis, des pigments à mélanger pour préparer les couleurs…un aspect matériel important pour cette artiste qui se dit aujourd’hui encore malhabile de ses mains.
Dans tous les travaux de Sylvie Kaptur Gintz, d’une manière ou d’une autre, on retrouve, fils rouges ténus mais cohérents, le rapport à la terre, à l’univers, notre lien physique au monde. Mais aussi la question de la perception de l’intangible, de l’invisible. L’artiste, semble-t-il, entretient un rapport particulier avec la réalité, dans lequel sa conscience est plus souvent happée par le fugitif que par la présence évidente des choses. Sa peinture semble nous enjoindre de regarder le monde d’un peu plus près si l’on veut y découvrir la poésie et le merveilleux qui y subsiste malgré tout.
La peinture de Sylvie Kaptur-Gintz n’est pourtant pas tendre. Peu intéressée par les canons de la beauté formelle, elle entend faire passer l’émotion autrement que par la séduction plastique immédiate.
Pour autant, très clairement, il ne s’agit pas pour l’artiste de faire œuvre moralisante, d’imposer un discours. La toile est une invite, un miroir tendu, un appel chuchoté pour que le spectateur y trouve quelque chose de lui-même, des ressources nouvelles, des images inexplorées, une émotion laissée en jachère et qui ressurgirait à la faveur d’une couleur, d’une forme, d’une histoire qu’il se raconterait.
Le travail de Sylvie Kaptur Gintz ne relève pas donc tant de l’autoportrait psychologique que d’une réflexion sans cesse nourrie sur l’existence humaine ; au travers de ses séries, c’est l’histoire, petite et grande, de l’humain qui nous est conté, le chemin qu’il se fraye dans la nature ou parmi les autres hommes.
Avec une indéracinable foi en la vie, l’artiste nous livre un monde au langage universalisable, parce que sensible tout autant qu’intellectuel. Sa peinture, ses installations sont, dit-elle, faites de la même dualité dont est fait le monde, oscillant entre réflexion et émotion. Rien n’est gratuit sans être trop lourdement signifié, tout prend sens sans être trop didactique. L’idée puise dans l’émotion, indispensable vecteur esthétique, les moyens et la force de se réaliser. Ainsi s’équilibre le travail de l’artiste, entre questionnement et sensibilité.
Marie Deparis - critique d'art - janvier 2007