Pix-Peinture Kabuki
Propos de Laurent de CORTE ( KABUKI ) recueillis par François Foltzer.
Les propos suivants ont été recueillis par François Foltzer, en différentes interviews, réalisées en plusieurs occasions depuis janvier 2001 en l'île de la Réunion (France d'Outremer) et Paris, en juin 2010. Les textes compilés de ces conversations ont dûment été présentés au peintre KABUKI, qui les a relus, augmentés et avalisés.
KABUKI PARIS
( F.F. = François FOLTZER. K. = KABUKI )
F.F. - KABUKI, Votre peinture est si particulière qu'on aurait bien du mal, même aujourd'hui, à la classer. Comment définissez-vous votre
œuvre?
K. - Quoique je ne sois pas ignorant de l'histoire de l'art ni des courants artistiques à l'affiche aujourd'hui, je n'ai pas souci de m'inscrire dans la mouvance de telle ou telle école. Chacun restant à sa place, c'est à la critique de classer ma peinture si elle le veut, comme d'en dire, d'ailleurs, ce qu'elle voudra...
Pour ma part, je cherche, je crée, je peins. C'est pour moi, l'essentiel.
F.F. - Mais votre peinture est tellement particulière que vous ne pouvez pas, n'en rien dire... Pourquoi votre œuvre nous semble-t-elle si nouvelle, par certains côtés et si familière, par certains autres ?..
K. - Permettez-moi cet exemple: Le second niveau d'une maison est construit sur le premier, et le rez-de-chaussée ancre tous les étages aux fondations. Quelle que soit l'originalité de son art, aucun peintre ne peut se targuer d'avoir puisé ex nihilo, non plus que de son propre fond, le tout de son œuvre. Et à moins qu'il ne s'agisse d'un art primitif, il aura toujours d'une manière ou d'une autre, reçu l'influence de ses prédécesseurs.
Depuis l'antiquité, l'art se construit dans une ligne d'évolution qui est celle que l'on connaît. Ce qui semble familier dans mon œuvre, c'est la reconnaissance par le spectateur, des acquis esthétiques des siècles passés. Mais aussi, et c'est plus difficile à saisir, la perception innée de l'harmonie qui est cette inexplicable sensibilité au "beau" mise en partage de tous les hommes.
F.F. - Sans doute, mais ceci nous emmènerait peut être un peu loin. Et, la nouveauté?
K. - Pour répondre au second aspect de votre question, je dois vous faire remarquer que depuis toujours, lorsqu'une nouvelle technique est apparue, par le passé, les artistes les plus hardis s'en sont immédiatement emparés. Pour faire un parallèle, les scientifiques connaissent eux aussi ce type d'évolution par bond. Ainsi, à chaque nouvel instrument, ses nouvelles découvertes...
Regardez, et c'est encore assez proche de nous, l'avènement des pigments azoïques (c'est à dire synthétiques) a permis aux peintres Impressionnistes cet empâtement de la touche qui les caractérisent, mais qui leur était jusqu'alors interdit à cause du prix des couleurs naturelles. (évidemment je ne parle ici, ni des terres broyées, ni du noir d'ivoire).
Croyez-moi, ou non; le pixel est le "pigment azoïque" de notre temps !
Il est tout à fait normal, d'ailleurs que les peintres osant la nouvelle technique, soient aussi les découvreurs des nouveaux horizons qu'elle autorise. Mais beaucoup de mes confrères sont encore pris de vertige, lorsqu'on évoque l'infographie ou la palette graphique. Ce même vertige, que les peintres italiens, ont dû ressentir lorsqu'ils ont découvert pour la première fois une œuvre des Flamands, peinte avec cette mystérieuse technique, révolutionnaire à l'époque, qu'était alors la peinture à l'huile...
Depuis, avec l'explosion de la renaissance, ils ne s'en sont par trop mal sorti, vous ne trouvez pas? (rire de KABUKI).
F.F. - Alors, si je comprends bien, vous utilisez une palette graphique?
K. - Il n'y a pas si longtemps, qui voulait voyager devait maîtriser la bête qu'il montait, sinon "ménager sa monture". (rire). Depuis, la force hippomobile a fait place à la mécanisation. La peinture, fut-elle un art, n'est pas plus isolée de son temps que ne l'est l'évolution des transports. La station graphique est un monstre certes, et il faut en dompter l'inhumanité technique, si j'ose dire, mais à l'instar de tous les arts, on doit d'abord domestiquer l'instrument si l'on veut en tirer la quintessence.
J'imagine que le violon est de ceux-là...
Ainsi en est-il aussi de la station graphique. Vous en conviendrez avec moi, c'est un instrument autrement plus complexe qu'un instrument à corde, et qui plus est, qui n'a rien de naturel si on le compare au poil de martre de nos pinceaux ou aux soies de porc de nos brosses. (sourire de KABUKI).
A l'origine le "computer" était dévolu aux opérations comptables. L'arrivée du Mac, dans les années quatre vingt, a été l'occasion d'une remise en cause pour tous les informaticiens en blouse blanche qui voyaient jusqu'alors l'ordinateur personnel comme un dérivatif pour "matheux" ou au mieux, un jouet pour grands enfants.
La suite nous a montrée combien les choses vont vite, pour peu que l'artiste soit inventif et s'investisse dans l'exploration des champs nouveaux laissés à l'investigation des esprits curieux de tout.
F.F. - Vous parlez de palette et de station graphique. Quel est la différence avec l'ordinateur de tout un chacun?
K. - Pour faire court, la station graphique est à l'ordinateur personnel ce que la "Formule Un" est à l'automobile familiale !
Ce n'est pas une différence de nature, mais de performances. La station graphique se distingue des autres "computers" par la capacité de ses systèmes internes dévolus au traitement de l'image.
Mais si je répugne encore aujourd'hui à dire ordinateur, pour parler de l'instrumentation infographique, c'est parce-que j'ai eu à souffrir maintes et maintes fois de la méchanceté que revêt souvent l'ignorance, quand ce n'est pas la peur, tout bêtement, qu'inspire la nouveauté à tous les immobilismes.
F.F. - Est-ce à dire que vous avez rencontré des objections dans la profession?
K. - Plus l'obstruction de subtiles fins de non recevoir que des objections claires ou intelligiblement formulées. Car, par la disqualification a priori, certain de ceux qui, quelques décennies plus tôt jetaient à la face du monde leurs concepts révolutionnaires, se sont montrés étonnamment plus pusillanimes quand il s'est agit de la remise en cause de leur propres concepts esthétiques.
Mais n'est-ce pas là, l'une des principales faiblesses de la nature humaine? (sourire entendu de KABUKI).
F.F. - Comment l'idée vous est-elle venue de travailler avec une station graphique?
K. - Certainement pas dans l'éclair fulgurent d'un coup de génie ! Mais bien plus, par la lente maturation d'une idée d'abord confuse se faisant de plus en plus précise au fur et à mesure de l'exploration que je faisais des possibilités graphiques de mes premiers Macs.
F.F. - Vous êtes parmi les fidèles de la Marque à la Pomme à ce que je vois.
K. - Oui, je dois bien l'avouer. J'ai une certaine sympathie pour ma Pomme. (rire) Et bien que j'utilise l'autre grande plate-forme pour d'autres tâches, c'est toujours sous "l'environnement" du Mac OS, que je me sens le plus à l'aise.
F.F. - Nous avons parlé de l'outil, mais de votre œuvre; pas encore. Voulez-vous nous dire ce qui vous a amené à cette démarche picturale.
K. - Je vous remercie de laisser de côté les aspects techniques, même si je comprends tout ce que la création sur station graphique peut avoir d'intéressant pour vos lecteurs. Je me sentais il y a une seconde encore, comme un écrivain à qui l'on parle de son traitement de texte, au lieu de lui parler de son œuvre... (rire de KABUKI).
A dire vrai, les nouvelles possibilités graphiques qui m'étaient offertes à l'époque, n'auraient débouchées sur rien d'autre que tout ce qui était possible aux illustrateurs du temps, si je n'avais été tellement impressionné par le travail de Benoît Mandelbrot.
Son nom, n'est certes pas connu du grand public comme ce chercheur le mérite, car, de l'avis de beaucoup de par le monde, c'est l'un des plus grands cerveaux de notre temps. Peut-être a-t-il le tort d'être trop banalement franco-polonais pour être reconnu par les media de notre beau pays, toujours si friands de cultures exotiques, qu'ils en oublient de célébrer les génies qui sont les siens.
La Recherche française, voyez-vous, s'étant faite une spécialité de passer pour maître en toutes les sciences qui ne rapportent rien, (mais n'est-ce pas plutôt les nations les plus pragmatiques qui lui en laissent la primeur?) à produit avec B. Mandelbrot, et la découverte des mathématiques fractales, l'une de ces évolutions conceptuelles qui révolutionnera notre regard sur la mécanique du monde à jamais.
Mais laissons, je m'écarte du propos...
F.F. - Pas du tout, et je me posais la question de savoir comment les fractals vous ont-ils influencés à ce point? Mais d'abord, qu'est-ce qu'un fractal?
K. - Je le disais plus haut, dans un raccourci: Les fractals, qui sont ces formes géométriques bien connues, qui produisent des figures fragmentaires identiques mais à l'infini des échelles qu'elles emplissent, sont le plus pur produit d'une de ces évolutions techniques par bond, dont nous parlions. Car sans la puissance et la rapidité de calcul de l'informatique, jamais les formulations de Benoît Mandelbrot n'auraient pu trouver de représentation graphique satisfaisante.
Nombre de solutions sont d'ailleurs basées à notre époque sur l'application de ses formulations. Cela va de la compression des images filmiques d'un DVD, aux modèles de prédictions météorologiques, mais j'ai bien peur que ce dernier exemple ne soit pas vraiment convainquant... (rire de KABUKI). Voilà la définition la plus courte que je puisse vous donner des fractals."A chaque nouvel instrument, donc, ses nouvelles découvertes"
F.F. - Oui, je comprends, mais en quoi ces fractals vous ont-ils tant influencés?
K. - Ici, précisément, je suis obligé de les laisser de côté, pour vous dire que la représentation intelligible du monde qui nous entoure m'a toujours intéressée, (sous l'angle philosophique, s'entend). Il n'est qu'à songer que la perception colorée, bien loin de s'expliquer par les seules qualités ondulatoires de la lumière, ne trouve pas plus d'explication par les aspects physiologiques de la perception visuelle.
La sensation colorée (au demeurant propre à chacun si l'on considère la préférence personnelle que l'on a pour telles ou telles couleurs) relève plus de la psychologie et des subtilités de l'âme que de la pure physique de l'appareil oculaire.
Et les formes tout autant. Ce que l'on est convenu d'appeler grand, ou petit, ne l'est que relativement au volume de notre corps. Et toutes les choses qui nous entourent semblent bien procéder d'une récurrence de modèles limités en nombres mais dont la variabilité d'application fait toute la richesse d'une perception qui offre à notre regard l'apparence de la plus grande diversité.
Et c'est rendu à ce point de mes digressions que la modélisation fractale a fait son entrée foudroyante dans ma réflexion. Car la vision de Mandelbrot, a été providentielle, dans la description de l'ordre de la Création, sur laquelle je m'interrogeais alors. Les fractals sont apparus dans ma pensée pour ainsi dire, comme un verre d'eau fraîche, salvateur, vous est donné au plus fort de la soif qui vous altère.
Tout ceci pour vous dire que ma quête qui n'est pas qu'esthétique est avant tout spirituelle ou philosophique si certains préfèrent. Ma peinture est plus l'extériorisation de concepts autrement inintelligibles, à moi-même, que la recherche d'un style personnel, qui me démarquerait de mes pairs. Je connais d'ailleurs beaucoup de peintres qui sont bien meilleurs dessinateurs que moi !
En me consacrant voici presque une décennie à cette étude, je savais d'ailleurs à quel sacrifice je devrais consentir. C'est pourquoi j'ai accepté de bonne grâce, de laisser pour compte la maestria du "beau dessin", pour me consacrer à l'exploration quasi exclusive des champs encore vierges des univers fractals.
F.F. - Est-ce que l'on peut dire que vous êtes un chercheur?
K. - Chercheur; je le suis, incontestablement. Mais tous les artistes ne sont-ils pas un peu chercheurs? Evidemment, j'ai de la méthode dans l'élaboration de mes œuvres, mais je suis bien plus guidé par un empirisme inspiré, que par la rigueur de la méthode scientifique. Vous savez, la rigueur technique est certes, un passage obligé, mais en aucun cas la technologie n'est une fin, pour moi. L'utilisation que j'ai de la station graphique pour mon expression picturale, ne doit pas vous faire oublier que c'est la toile tendue sur châssis que j'ai choisie pour vecteur de mon art...
La contribution infographique n'intervient, que comme l'un des éléments concourant à l'élaboration de mon œuvre. L'ordinateur, en aucun cas ne fera jamais l'image, pas plus que le piano du concertiste, ne fait de la musique pour lui. C'est un outil, que j'utilise pour ce qu'il m'offre, un peu comme si je me servais d'un compas pour tracer des cercles. Certain, s'en priveront sans doute. Mais pour ma part, je n'ai pas la prétention d'un tel purisme... (sourire entendu de KABUKI).
F.F. - On est tenté de dire "qu'importe le flacon pourvu qu'on ai l'ivresse".
K. - C'est un peu ça. La matière fractale est ma matière première, comme l'est la terre rouge pour le sculpteur. Elle est ductile et se prête au façonnage que je lui impose. Par certains côtés, je dois passer par le même travail que l'apprenti, voici quelques siècles, qui préparait dans le pilon, les couleurs pour le maître d'atelier. Je prépare moi aussi ma "couleur", avant de commencer à travailler.
F.F. - Je vois bien que vos œuvres, au final sont des toiles, et que rien ne les distingue du travail de vos confrères, si ce n'est, bien sûr, l'évidence de votre talent.
K. - Je vois que vous voulez me mettre en bonnes dispositions, mais je garde le compliment, qui fait toujours plaisir...
Je suis grand amateur de musique classique, et bien, permettez-moi de vous dire que lorsque l'auditeur perçoit le labeur du travail d'un soliste, c'est qu'il a affaire à un mauvais interprète. Le plaisir de cet auditeur, comme celui du spectateur, ne saurait s'encombrer à cet instant de considérations déplacées sur le travail de tâcheron de n'importe quel artiste, s'il veut seulement participer du sublime de l'œuvre qui lui est donnée.
Notez que la Pix-Peinture, est encore trop jeune, pour que tous les peintres numéristes ne soient pas également, des peintres de formation traditionnelle. Mais, puisque vous voulez tout savoir, j'ajoute que je ne souhaite pas non plus me frustrer du sain bonheur de travailler la couleur, ni du plaisir de peindre de ma main, nimbé des senteurs fortement boisées de la thérébentine, non plus que je ne saurais me passer des tonalités incomparablement subtiles des pigments naturels. Mais... ne le dites à personne. (rire de Kabuki)
Voici l'une des raisons pour lesquelles je retravaille systématiquement toutes mes toiles, avant que de les livrer aux regards scrutateurs d'un public souvent fasciné par les effets de cette nouvelle technique.
Toutefois, mes toiles sont peintes aussi parce que le grand public a encore besoin du dépôt d'une matière picturale sur une toile, pour se convaincre de la valeur de l'acte créateur d'un peintre. Je le comprend bien, car y a tant d'abus ! Mais les années passant, il se pourrait que la peinture celle que l'on se met plein les doigts, ne soit finalement plus sine qua non, de l'authenticité d'œuvres picturales libérées du diktat de l'empâtement et de la croûte.
D'ailleurs, d'autres arts ont déjà fait, chacun en son domaine, l'expérience d'une telle émancipation. Ici la musique s'est libérée de l'instrumentation, là c'est la sculpture qui s'est affranchie de la pierre et du bronze, pour ne citer qu'eux...
Quant à la Peinture, ne me demandez pas pourquoi elle reste figée sur les recettes toutes faites d'un vingtième siècle qui s'éternise, car alors, je serais obligé de vous répondre... (rire de Kabuki)
Je traite mon travail comme il peut être reçu. Dans mon esprit, ce n'est pourtant ni la toile, ni la peinture qui y est déposée que j'expose; c'est l'image. Une œuvre en soi, qui se donne à voir et qui transportera peut-être le spectateur dans les hautes sphères de l'émotion auxquelles je l'invite. Ma peinture est d'abord, image, mais image connivente. C'est un message personnel, si je puis dire, à l'adresse de celui, ou de celle, qui saura en décrypter les messages.
Et si quelques-uns seulement, dans une assistance, sont sensibles à mon art; alors je puis dire que je suis un artiste réalisé et que mon œuvre n'est pas vaine. Pour les autres, que m'importe...
F.F. - Mais, n'est-ce pas un peu élitiste?
K. - Elitiste, nous y voilà, le grand mot est lâché. Alors, comment considérez-vous une société qui prône partout la compétition, la lutte des personnes depuis les plus tendres années de la vie scolaire, jusqu'au mode de recrutement des fonctionnaires qui auront pour devoir d'en garantir le bon fonctionnement? L'abolition des privilèges est l'appât qui a fait avaler toutes les révolutions !
Vous êtes-vous jamais rendu à l'Opéra de Paris-Bastille, pour y voir une représentation? Pour le coup le voici le produit d'un art élitiste qui d'ailleurs ne survivrait pas sans la subvention publique ! Je réfute le terme d'élitisme, dans la mesure où il renvoie à une notion péjorative, ou pour le moins entaché d'une idéologie politique, dont ont sait aujourd'hui les limites.
Et je n'en dirai pas plus...
F.F. - Oui, oui, je comprends.
K. - Je suis un esprit libre, autant qu'on le puisse. Ne cherchez donc pas à classer ma pensée selon un genre ou un autre. Je paie, croyez-moi, le prix fort de cette liberté toute relative, qui est un luxe impayable si l'on fai
