Ajouté le 16 janv. 2013
BLANC(S) à la galerie Art&Events- avril 2011
Galerie Art Présent 79,rue Quincampoix 75003 Paris
samedi
19
mars
2011
vendredi
15
avril
2011
Sylvie Allouche / Isabelle Lamrani
Entretien croisé par Mathias Gavarry .
L'histoire commence à Sarcelles. Elles sont adolescentes. Elles ne parlent alors ni peinture, ni photographie. Le temps passe. L'une après l'autre, un jour, se lancent, Sylvie d'abord, Isabelle ensuite. Leurs expériences artistiques semblent se suivre à distance, au fil du temps. L'une peint des corps de femmes, des fragments de corps, des paysages... L'autre photographie la nuit, des anges, Venise, Paris, New York... Elles n'imaginent pas exposer un jour ensemble. La rencontre a lieu aujourd'hui pour la première fois, et elle est stupéfiante. Car leurs deux trajectoires, souvent lointaines, parfois opposées, se rejoignent avec une évidente proximité. Une proximité telle que l'on jurerait que les toiles de l'une et les photos de l'autre sont le résultat naturel d'une réflexion commune, d'un dialogue intime, souterrain, indicible, commencé dans l'enfance et depuis secrètement poursuivi.
Peintre, photographe, ça vous est venu comment ?
I.L. : Je n'expose que depuis 3 ans. Je peins cependant depuis longtemps. J’aime l’état d’urgence dans lequel me contraint l’exposition. Quelque chose comme un état d’inquiétude propice à la création.
S.A. : Je fais de la photo depuis plus de 15 ans. Au fil du temps, mon regard n’a pas changé, mais il s’est affiné. J'ai parfois exposé dans des lieux prestigieux, comme la Biennale de Nancy en 2008 et je suis représentée par l’agence internationale Bridgeman-Giraudon.
Vous retrouver là, toutes les deux, voir vos travaux face à face, ça vous fait quoi ?
I.L. : C'est à la fois logique, et parfaitement inattendu. Il y a de la stimulation à se retrouver ici ensemble.
S.A. : Peintre, photographe, ce sont des métiers très solitaires. C'est agréable de se retrouver face à face.
Il y a quelque chose d'incroyablement « voisin », dans les deux séries d'œuvres que vous exposez aujourd'hui. Une sorte d'amitié semble lier vos travaux...
S.A. : C'est un hasard. C'est assez incroyable, oui. Le blanc. Le motif. Le mystère. Il y a là une proximité…
I.L. : …nous cherchons à peu près la même chose. Ce qui est caché dans le blanc. L’intime.
Cette proximité est d'autant plus étonnante que vos deux séries sont elles-mêmes extrêmement cohérentes et que vos processus créatifs n'ont rien en commun...
I.L. : Pour la réalisation de cette série, je cherchais à inventer un lieu, un objet, totalement « libre ». Libéré de la figuration. Libéré du discours. J'aime penser que le motif, caché sous le blanc, a préexisté à mon travail. En ce sens, ma peinture est archéologique. Elle creuse. Elle découvre. Et le geste artistique consiste surtout à décider quand la toile est achevée, à quel état du motif il convient de tout arrêter.
S.A : Mes photos ont une histoire commune elles aussi. Toutes sont prises en ville, devant des vitrines de magasins recouvertes de blanc d'Espagne, cette peinture blanche qui dissimule un lieu en travaux. Ce blanc, cette matière « vulgaire », ouvrière, que personne ne regarde jamais, devient un objet intéressant, émouvant, artistique. J'aime ça : que le geste ouvrier ait involontairement participé à quelque chose de précieux. Ces traces forment à mes yeux une sorte d'écriture. Une calligraphie urbaine.
Vous placez l'une et l'autre la « trace » au centre de vos oeuvres...
S.A : Le blanc d'Espagne n'est rien d'autre qu'une bâche de peinture. Personne ne s'y intéresse. Mon travail donne vie et noblesse à ce fragment prosaïque de réalité.
I.L. : La trace, en tant qu'elle est usure, est une expression du temps. J'ai toujours aimé les couleurs passées, ternes, les fresques attaquées par l'humidité. La trace est un témoignage. Dans mes toiles, elle témoigne d'un motif que j'utilise, mais qui ne m'appartient pas, et qui est sur le point de disparaître. Mon geste est dans la révélation de la trace.
Dans ces deux séries, vous semblez toutes deux avoir résolument choisi l'abstraction.
S.A. : En quelque sorte, mais ce n'est pas une nouveauté pour moi. J'ai photographié la nuit, l'obscurité, des reflets, des images modifiées par une vitre ou la surface de l'eau. J'aime mettre une distance entre la réalité et moi, entre ce que je vois et ce que je donne à voir.
I.L. : Je ne sais pas si j'ai choisi l'abstraction. Ce qui est certain, c'est que je cherche à créer une œuvre qui dirait quelque chose que les mots ne sauraient dire. Et que je ne sais pas. Plus exactement, quand je peins, je ne veux surtout rien dire de ce que je sais.
Mais il y a pourtant dans vos deux démarches l'idée d'un motif, de quelque chose que l'on pourrait reconnaitre...
I.L. : Il y a un motif mais il a disparu. Il précède la toile. Il était là avant, et il faut travailler la peinture, la matière qui le recouvre, pour le retrouver, comme par hasard... Il n'en reste rien ou presque. Juste assez. Assez pour savoir qu'il y a quelque chose mais trop peu pour qu'il soit possible de dire ce que c'est. Un certain égarement m’est nécessaire.
S.A. Le processus photographique est un processus de découverte. Dans ce travail, j’ai cherché la figuration dans l’abstraction. Ces traits rapides me feront penser à un Don Quichotte de façon flagrante, ce rythme opaque à une vague gigantesque. Parfois, je reconnais dans ces blancs le geste d’un Zao Wou Ki, ou la touche d’un Miro.
