Ajouté le 13 janv. 2005
fredd Croizer : la peinture, au début
auteur patrick Absalon critique d'art Paris
fredd Croizer peint pour le plaisir et la jouissance d’une intimité avec la peinture, des œuvres abstraites, monochromes, dont les surfaces sont lissées, coiffées comme les têtes des jeunes écoliers des temps passés. La matière recouvre la toile, que l’outil géométrique du « pinceau » vient racler et former des reliefs. Le résultat est impeccable : la surface peinte est ainsi composée de multiples formes presque toutes identiques que l’accumulation de la peinture creuse et délimite. Le geste est visible, on lui sait gré de nous le montrer. Ce sont là ses œuvres les plus nombreuses. Mais fredd Croizer a conscience d’une démarche, de la nécessité d’une expression, d’un objectif.
Nourri peut être sans le savoir d’une histoire de l’abstraction qui prend racine pour lui dans le De Stijl de Mondrian ou le suprématisme de Malevitch, le peintre observe son œuvre non pas comme une fin en soi, mais comme une étape qui doit le conduire vers la maîtrise d’une attitude plastique et créatrice adaptable à d’autres comportements artistiques : la danse (l’espace), l’objet décoratif et inutile (dans l’espace), l’architecture (mise en espace par essence). A l’image des champs colorés de Sean Scully, de Robert Motherwell ou encore de Jean-Pierre Pincemin, sa peinture renvoie à une idée quasi naturelle, en quelque sorte humaine. Elle étudie notre rapport au visible, sans toutefois nous confondre avec l’œil unique que nous serions. Autrement dit, l’abstrait est aussi pour l’artiste affaire de toucher, de sensualité parfois brutale.
Que voir et sentir dans l’œuvre de fredd Croizer ?
Des noirs brillants ou mats, des rouges et des bleus profonds, lumineux aussi, que seul le signe énigmatique d’une trace de l’outil vient perturber. Ce signe, à géométrie variable, tourne sur lui-même et suggère la relativité de la surface. Creuser, grandir en somme au-delà des apparences. Sentir que la peinture est une somme de corps, et que ces corps mis côte à côte dialoguent sans pour autant se toucher. L’espace vital de chaque image est ainsi respecté.
Impuissance de l’être à nouer le contact ? Cependant ces corps sont beaux, quand ils naissent du gris, la couleur matrice, comme l’a démontré Paul Klee, de laquelle sont censées jaillir toutes les autres sensations colorées. Ainsi voit-on des noirs (couleur-matière) émerger de ces gris calmes et sereins, travaillés comme des objets corporels à chaque fois différents.
Contrairement à l’art du grand Rothko, la peinture de fredd Croizer ne tente pas de nous absorber dans l’illusion d’un abîme dans lequel nous plongerions avec délice. Elle propose la force d’une retenue qui nous épargne le désir de nous perdre dans un espace infini. Sa peinture se fonde sur des lois bien concrètes, lois dont nous aurions la connaissance des limites, des points d’appui.
Les formats de ses toiles peintes sont modestes, mais l’image produite peut difficilement se suffire à elle-même. Dès lors, il nous faut composer avec d’autres images, semblables a priori, qui, rassemblées, déclinent à l’envi un vocabulaire artistique cohérent. La surface peinte croît et crée en conséquence des polyptyques, chose voulue par l’artiste.
On est pas très loin, ici, des compositions, plus monumentales toutefois, de Robert Rauschenberg au début des années 1950, de ces imposants monochromes qui rendaient à la peinture son rapport au plan et à la surface. Mais fredd Croizer paraît questionner une autre dimension : qu’y a t’il derrière la couche de matière lisse et généreuse, de cette peinture dont la couleur a peut être moins d’importance ? Comme le geste d’un enfant qui essuie la vitre embuée de sa chambre, le fameux signe - trace de l’outil - griffant la toile, montre où se place la frontière entre le monde intérieur et le monde extérieur, et permet d’éclairer le champs pour voir au-delà. Les polyptyques participent de la même attention : ils décuplent les images, comme dans un kaléidoscope. Mais fredd Croizer pense au jeu : les fragments de toiles qu’il rassemble aujourd’hui à l’image d’un drapeau dont on coud les parties, relèvent de l’exercice visuel pur. Si cela est un jeu, il est sérieux ; il range ainsi les bouts perdus, qui tout à coup signalent la naissance d’un corps articulé prêt à « funanbuler ».
fredd Croizer réalise une peinture non pas familière, mais intime, qui ne renie pas l’envie de peindre, voire le besoin, dans une démarche sans doute plus pertinente qu’il n’y paraît, et à laquelle l’artiste se consacre.
« le peintre doit savoir à présent ce qui se passe dans ses tableaux et pourquoi »
Kasimir Malevitch, 1915.
Patrick Absalon, janvier 2002
Université Marc Bloch de Strasbourg