Pierre Duquoc, l'art de l'ironie

Pierre Duquoc, l'art de l'ironie

Olimpia Gaia Martinelli | 6 avr. 2022 10 minutes de lecture 0 commentaires
 

Pierre Duquoc utilise un appareil photo numérique pour réaliser des photomontages, mais aussi des photographies plus "classiques", qui sont ensuite, en fonction du résultat, modifiées sur ordinateur pour obtenir la vision exacte de ce que l'artiste avait en tête...

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer des œuvres d'art et à devenir un artiste ? (événements, sentiments, expériences...)

L’envie, ou plutôt, le besoin et sûrement aussi cette espèce d’immense liberté, de grande feuille blanche qui s’offre à vous, et sur laquelle personne ne vient vous dire « tu vas faire ceci » ou « tu vas faire cela ».

C’est un peu difficile à expliquer.

J’ai toujours été attiré par les possibilités qu’offrent les outils numériques de modifier une image ou d’en créer une à partir d’autres. Cela doit remonter à mon enfance, quand mes yeux sont restés scotchés sur l’écran du cinéma où mes parents m’avaient emmené voir le tout premier Star Wars.

Je me suis dit « ces gars-là sont fous, ce qu’ils peuvent faire avec des caméras, des écrans et toutes ces nouvelles techniques, c’est génial ! ».

Je n’en ai malheureusement pas fait mon métier principal, mais bien des années plus tard, lorsque les premiers ordinateurs pour les particuliers sont sortis, je me suis précipité, et encore plus lorsque les appareils photos numériques se sont démocratisés.

Aujourd’hui, mon équipement a bien évolué, mais je reste empreint des premières sensations du gamin que j’étais, et qui s’est abreuvé de B.D humoristiques dont on trouve la trace dans ma série « Les Minipéripéties ».

Quel est votre parcours artistique, les techniques et les sujets que vous avez expérimentés à ce jour ?

Je suis totalement autodidacte et je n’ai suivi aucun cursus artistique.

La photographie n’est pas mon métier principal (qui n’a absolument rien d’artistique).

Mais je m’y suis mis plus sérieusement après mon divorce, il y a une quinzaine d’années, lorsque j’ai débuté la série des « Minipéripéties ».

J’ai étoffé mon matériel, visionné de multiples tutoriels sur internet pour mieux maitriser Photoshop, fait beaucoup d’erreurs et finalement… appris beaucoup des autres, ce que je fais encore.

Je réalise des photomontages, mais également des photographies plus « conventionnelles », toujours à l’appareil numérique, puis en fonction du résultat recherchés, peu ou beaucoup d’heures sur l’ordinateur pour obtenir l’exacte vision de ce que j’ai en tête.

Quels sont les 3 aspects qui vous différencient des autres artistes, rendant votre travail unique ?

C’est assez difficile à déterminer, et quelque peu vaniteux !

En faisant un effort, je dirais qu’en premier lieu, je n’essaie pas de m’inspirer des travaux des autres artistes, même connus. D’aucuns verront certainement quelques similitudes entre mes œuvres et celles d’autres créateurs. Lorsque cela est vrai, c’est purement fortuit et non recherché (j’ai d’ailleurs découvert certains artistes ainsi !). 

Les deux séries sur lesquelles je travaille actuellement (« Les Minipéripéties » et « Ghosts ») sont ainsi vierges de référence consciente à des œuvres existantes, c’est pour cela, je pense, qu’elles sont singulières.

En second lieu, j’essaie toujours dans ces créations de recréer mes univers intimes.

Cela ne peut que rendre mes œuvres uniques, puisque personne à part moi ne déambule dans mon esprit (en tout cas, je l’espère !).

Enfin, la photo n’étant pas mon métier principal, je dispose donc d’une entière liberté sur le sens de mes œuvres, leur esthétisme et je ne suis pas contraint par le temps ou l’argent pour les produire. 

D'où vient votre inspiration ?

Lorsque je réalise des photos « conventionnelles », du moment, de l’endroit et de l’état d’esprit dans lequel je suis.

Lorsque je travaille sur des photos retouchées ou du photomontage, de mon vécu (divorce) et de mes réflexions sur le temps qui passe (travail sur la mémoire).

Quelle est votre démarche artistique ? Quelles visions, sensations ou sentiments voulez-vous évoquer chez le spectateur ?

Pour la série des « Minipéripéties », il s’agissait de raconter avec humour et autodérision la vie d’un père récemment divorcé et confronté à l’immensité des tâches ménagères.

Jouer avec les pixels se révélait alors être le seul moyen de réduire le père en question et de l’installer dans l’immense théâtre que constituait le nouvel appartement.

Cela me permet une narration hésitant entre un monde onirique, démesuré, parfois inquiétant, et un monde réel, aux contraintes amplifiées.

J’ai découvert en effet dans cette nouvelle situation, un paradoxe amusant entre un monde autour de moi qui se rétrécissait (le cercle d’amis, les finances, le logement, les sorties, voire même l’esprit blessé qui se replie sur lui-même), et cet autre monde où l’ampleur des corvées dilatait ce « petit » appartement lorsqu’il fallait s’occuper seul des repas, de la vaisselle, du linge, du ménage, du bricolage… Le rapport des tailles changeait.

Mise en scène, avec quelques transformations visuelles, la situation originale n’invitait pas implicitement à sourire, aussi il fallait faire en sorte de relativiser ce capharnaüm en utilisant une écriture photographique humoristique jouant sur l’absurde.

Mon appartement est ainsi devenu un cirque géant et absurde, mon univers intime est devenu collectif, car au final, tout le monde rêve de laisser vaisselle sale et ménage aux soins d’un lutin magique.

En ce qui concerne la série « Ghosts », j’ai choisi de travailler sur le thème des disparitions.

Pas les plus douloureuses, telles que la perte d'un proche, mais plutôt celles que j'appellerai les petites disparitions du quotidien, ces instants que notre cerveau capte, emmagasine dans notre mémoire, pour pouvoir ensuite les transformer à sa guise, dans ce que nous appelons nos souvenirs.

J’ai senti que les mouvements des artistes, musiciens, danseurs, chanteurs, circassiens et autres, sont particulièrement propices à ce petit jeu là.

Ils s’effacent peu à peu derrière leurs instruments, leurs prestations, au profit des traces qu’ils vont laisser dans notre mémoire, et des souvenirs que notre inconscient va produire.

A la fin du spectacle, leur petite disparition nous aide à peupler, hanter notre esprit.

Quel est le processus de création de vos œuvres ? Spontané ou avec un long processus préparatoire (technique, inspiration des classiques de l'art  ou autre)?

Pour la série des « Minipéripéties », je vois la photo dans mon esprit et je ne commence à travailler qu’à partir du moment où elle est parfaitement nette. Il s’agit alors de recréer la scène et le processus préparatoire peut être relativement long.

Pour la série « Ghosts », je suis plus dans l’instantanéité. C’est en voyant le musicien sur scène que tout se déclenche. Je n’ai pas à recréer tout un théâtre, il est déjà sous mes yeux, il commence déjà à disparaitre, et je n’ai plus qu’à poursuivre ce processus en travaillant avec les multiples clichés pris.

Utilisez-vous une technique de travail particulière ? si oui, pouvez-vous l'expliquer ?

J’utilise énormément les techniques de photomontage, mais elles ne sont pas une fin en soi.

Je considère que faire du photomontage n’est intéressant qu’à partir du moment où cette technique permet de raconter une histoire, de transmettre un univers ou un ressenti.

Je travaille également sur une technique d’empilement de clichés parfaitement nets, en jouant sur les transparences pour aboutir à une impression de flou. Je rehausse ensuite les détails qui ont marqué mon esprit par petites touches. C’est la technique que j’utilise pour la série « Ghosts ». Je trouve qu’elle traduit parfaitement la manière dont notre mémoire travaille, par successions de transformations dans le temps.

Y a-t-il des aspects novateurs dans votre travail ? Pouvez-vous nous dire lesquels ?

Je ne sais pas si l’humour peut être considéré comme novateur en art, mais en tout cas il est assez peu répandu. 

Il est assez présent dans plusieurs mes œuvres. C’est un trait qui peut aussi me desservir. J’ai en effet l’impression que l’humour a beaucoup de mal à être accepté dans la création artistique, que l’on ne vous prend pas au sérieux lorsque vous en saupoudrer vos œuvres, que ce n’est pas « académique » en somme.

Mais je persiste et signe, si l’on ne rit pas de notre vivant, nous ne le ferons pas après ! Et pourquoi ne pas le faire aussi dans l’art ?

Avez-vous un format ou un support avec lequel vous êtes le plus à l'aise ? si oui, pourquoi ?

Non. Je reste dans les formats classiques de la photo. Ils constituent en soi un fenêtre idéale pour mes créations.

Où produisez-vous vos œuvres ? A la maison, dans un atelier partagé ou dans votre propre atelier? Et dans cet espace, comment organisez-vous votre travail de création?

Pour les prises de vue, tout dépend de la série. Très souvent durant des concerts de musique classique, et pour la série des « Minipéripéties », bien évidemment mon domicile me sert de théâtre.

Je réalise également le travail de post-production chez moi.

Votre travail vous amène-t-il à voyager afin de rencontrer de nouveaux collectionneurs, pour des salons ou des expositions ? Si oui, que cela vous apporte-t-il ?

Il m’arrive de participer à des expositions, salons ou festivals en France. 

Bien avant les échanges avec les professionnels, ce sont surtout les retours des visiteurs qui m’enrichissent le plus. Ma plus belle récompense, c’est un sourire ou un éclat de rire d’un visiteur planté devant l’une de mes créations !

Ces évènements sont à mon avis les lieux les plus propices pour faire connaitre son travail et recueillir les critiques, qu’elles soient bonnes ou mauvaises.

Comment imaginez-vous l'évolution de votre travail et de votre carrière d'artiste dans le futur ?

Ce doit être un autre trait de ma personnalité, et de la liberté que j’évoquais précédemment, mais je ne planifie rien !

Pour l’instant, je travaille sur mes deux séries principales. Je les laisse vivre, et surement mourir, d’elle-même.

Je suis confiant sur le fait que d’autres inspirations viendront pour assurer la suite. Qui vivra verra !

Quel est le thème, le style ou la technique de votre dernière production artistique ?

J’ai récemment réalisé une série de 15 créations pour la Maison de l’environnement d’une communauté de communes d’Ile de France.

Je disposais d’une carte blanche totale pour travailler sur la notion des déchets.

A contre-courant de tout ce que l’on avait pu voir sur ce sujet, j’ai choisi d’effacer à notre vue les déchets du quotidien. On ne parle jamais autant du sujet que lorsqu’il n’est pas là !

En partant du postulat que nous sommes tellement habitués à la présence du déchet qu’en somme, nous ne le voyons (presque) plus. J’ai donc recréer des scènes du quotidien où tous les emballages ou déchets en devenir, à court ou moyen terme, disparaissent et ne laissent plus voir que le contenu.

J’ai pour cela eu recours aux techniques de photomontages et de modélisation 3D.

Axée sur les divers gestes du quotidien d’un foyer, la série ne porte pas de sens critique ou moralisateur sur nos habitudes, mais propose simplement d’inviter à la réflexion sur les notions de production, traitement et recyclage des déchets (peut-on tout recycler, dans quelles conditions, à quels coûts financiers et environnemental, indéfiniment ?).

Elle porte enfin en elle l’idée que le meilleur de nos déchets est celui qui n’existe pas.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience d'exposition la plus importante ?

J’en ai deux. Ma toute première exposition il y a une dizaine d’années, je n’étais encore qu’un amateur !

Et puis ma participation au salon Mac Paris à Paris en 2019.

Il s’agissait de ma première exposition « pro ». Je découvrais une nouvelle ambiance, et durant une semaine, j’ai pu échanger avec des professionnels, des artistes et des visiteurs.

Cela m’a ouvert quelques portes, permis plusieurs ventes, le tout était inespéré pour moi.

Sans compter que j’ai pris plaisir à travailler avec une équipe d’organisateurs passionnés, sympathiques et œuvrant vraiment de manière militante pour les artistes. C’était une excellente entrée en matière !

Si vous aviez pu créer une œuvre célèbre dans l'histoire de l'art, laquelle choisiriez-vous ? Et pourquoi ?

Le « Dali atomicus » du photographe Philippe Halsman.

Parce que c’est une photo, et qu’il a réussi à figer un mouvement extraordinaire qui collait parfaitement au surréalisme de Dali. J’ai toujours cru qu’il avait créé un montage avec les techniques de l’époque. 

Eh bien non, tout a été fait en une seule prise, et ça laisse rêveur l’adepte de photomontage que je suis !

Si vous pouviez inviter un artiste célèbre (mort ou vif) à dîner, qui serait-ce ? Comment lui proposeriez-vous de passer la soirée ?

Léonard de Vinci.

Ok, ce n’est pas un photographe, mais je suis sûr qu’il aurait pu l’être, voire même inventer la photographie s’il était né quelques siècles plus tard.

C’était un touche-à-tout de génie, un visionnaire.

Je lui proposerai de remonter dans le temps, et de me faire découvrir ses ateliers, ses plans, ses techniques. Et peut-être aussi de me divulguer le secret du sourire énigmatique et envoutant de sa Joconde !


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