Qui a inspiré les impressionnistes ?

Qui a inspiré les impressionnistes ?

Bastien Alleaume | 7 juil. 2021 8 minutes de lecture 2 commentaires
 

Première épisode de notre série consacrée à l'épopée impressionniste : Découvrez avec nous les instigateurs hors-pair d'un courant révolutionnaire. Mais qui a impressionné les impressionnistes ? 

Que vous soyez nés dans les années 60 ou 90, pour nos générations actuelles, les peintres impressionnistes sont aussi connus voire plus renommés encore que les grands noms de la Renaissance. Ce courant artistique, qui n’a pourtant duré qu’une vingtaine d’années, a marqué à tout jamais l’histoire de l’art. En occident et dans le monde entier, les rayonnages de nos bibliothèques et librairies regorgent plus souvent d’ouvrages sur ce mouvement que sur d’autres périodes pourtant beaucoup plus vastes, telles que la peinture flamande, le classicisme ou la légendaire Renaissance. Mais pourquoi des Monet, Renoir, Degas, Manet, Pissarro, Morisot sont aussi célèbres de nos jours que des Léonard de Vinci, Caravage ou Michel-Ange ?

Camille Pissarro, Le Crystal Palace, 1871. Art Institute of Chicago.

Et pourquoi un tel déséquilibre ? Qu’est-ce qui rend l’impressionniste si important ? Aujourd’hui, nous démarrons notre saga de l’été sur le thème de l’impressionnisme. Sans prétentions, cette épopée documentée tentera d’éclaircir tous les aspects de ce mouvement révolutionnaire, d’une génération d’artistes prêts à tout pour bouleverser l’ordre établi.

Au fil des semaines, vous découvrirez ainsi les initiateurs du mouvement, les origines de son appellation, les réceptions critiques et publiques, les différents artistes ayant participés (dont quelques personnalités féminines particulièrement puissantes), les amitiés et les désaccords qui animaient ce groupe… Enfin, nous essayerons de résoudre le problème le plus épineux : donner une définition claire de ce qu’est l’impressionnisme, à partir de l’ensemble des informations que nous aurons découvert à ce sujet.

Claude Monet, Le Bassin aux Nymphéas, 1904. Denver Art Museum.

Alors suivez-nous, car l’histoire de l’impressionnisme vous réserve bien des surprises !

Qui a inspiré les impressionnistes ? 
Quelles sont les origines de l’impressionnisme ? A qui doit-on l’émergence d’un tel courant ? 

Même s’ils sont souvent qualifiés de rebelles, les artistes impressionnistesMonet, Manet, Degas, Renoir, Sisley, Bazille, Pissarro et les autresn’ont pas créé un nouveau mouvement artistique du jour au lendemain, à partir de rien.

Loin du mythe diffusé ici et là, les impressionnistes ne sont pas des artistes complètement autodidactes, dissidents et illuminés. Comme tous les peintres de toutes les périodes, ils s’inspirent de leurs prédécesseurs pour pousser toujours plus loin les frontières du possible. Pour Auguste Renoir, d’ailleurs, « La peinture s’apprend surtout dans les musées » : d’initiateurs à imitateurs, il n’y a qu’un pas - et quelques lettres.

Auguste Renoir, Femme couchée dans l'herbe, 1899. 

Aucune belle histoire ne commence sans introduction. Et pour ce qui est de l’impressionniste, il est nécessaire de défricher quelques notions contextuelles. Pour bien comprendre les origines de ce mouvement légendaire, il faut revenir plus de 170 ans en arrière.

Nous arrivons en 1850. A cette époque, l’art français se concentre autour d’une seule et unique voie pour rêver au succès : l’art académique, ou art officiel. Depuis la création de l’Académie Royale de peinture et de sculpture créée en 1648 (sous le règne du Roi Soleil), l’art est dicté par des maitres et pour des maitres : les règles restent éternellement les mêmes, transmises de générations en générations, et le pouvoir politique s’en accommode très bien. L’Académie transmet un savoir unique, centralise l’avenir des artistes et canalise les esprits les plus récalcitrants. C’est une faiseuse d’artiste : elle dicte les règles à suivre, exerce son contrôle, critique les dissidences, et approuve (ou non) les œuvres qui seront présentées à la plus grande exposition parisienne : Le Salon. Cette autorité toute puissante sera à la fois la justification et la raison de l’émergence du courant impressionniste, mais nous y reviendrons dans la 2ème partie de cette saga (réception critique, médiatique et publique).

Henri Fantin-Latour, Hommage à Delacroix, 1864. Edouard Manet est debout à droite du tableau. L’impressionniste américain James Whistler est debout, au premier plan, à gauche du tableau. 

L’effervescence créatrice de cette ribambelle d’artistes va puiser son inspiration auprès de peintres français déjà bien installés à l’époque. Ces sources d’influences sont nombreuses et diffèrent selon les trajectoires de vie de nos protagonistes impressionnistes. Toutefois, celles-ci peuvent être subdivisées en 3 éléments distincts : la technique, la volonté (le choix des sujets et la façon de les traiter), et enfin, l’attitude vis-à-vis de l’art officiel.

1. La technique : Eugène Delacroix

Concernant la technique d’abord, la plupart des impressionnistes vont être influencés par les ébauches et esquisses d’Eugène Delacroix. A vue d’œil, il ne parait pas si évident d’établir des liens entre ce maitre du romantisme et les paysages tachetés des impressionnistes, et pourtant, il y en a beaucoup !

Eugène Delacroix, La Liberté Guidant le Peuple, 1830. Musée du Louvre, Paris.

L’auteur du légendaire tableau « La Liberté guidant le Peuple » réalisa de nombreux paysages dans lesquels il est possible d’apercevoir les prémisses d’une technique impressionniste, notamment avec de larges coups de pinceaux résumant la forme de vaguelettes, vallées et autres rochers. L’artiste ténébreux était également un grand maitre des pigments et des nuances chromatiques : par de fines analyses, il découvrit seul l’intérêt esthétique de l’utilisation des couleurs complémentaires pour réaliser les ombres dans ses compositions. Une technique qui deviendra la pierre angulaire du microcosme impressionniste !


Eugène Delacroix, Paysage aux Rochers, 1822. Musée de Valence.
Ce tableau fut la propriété du peintre Camille Pissarro, preuve supplémentaire de l’importance de cette figure romantique au sein des impressionnistes.

2. La volonté : Constable, Turner, Boudin

Concernant la volonté, ensuite : les impressionnistes ne sont pas les premiers à s’être mis en quête de capturer l’instantanéité et la vivacité des paysages qui les entourent. Les instigateurs de cette rapidité d’exécution sont à trouver en Angleterre et sur la côte Normande. En Angleterre, l’artiste John Constable poursuivra sa soif d’immédiateté en réalisant des paysages le plus rapidement possible afin de saisir les éclats fougueux de la lumière sur les côtes anglo-saxonnes. Il prendra soin d’indiquer derrière chaque tableau la date et l’heure de sa réalisation, pour fixer dans le temps l’énergie d’un instant.

A Honfleur, sur les côtes normandes, l’artiste et mentor de Claude Monet, Eugène Boudin, réalisera sensiblement le même travail, en peignant de nombreuses toiles au format carte postale représentant le ciel et ses nuances de nuages. Il horodatait également ses réalisations, en indiquant la date, l’heure et le sens du vent, considérant que les phénomènes s’épanouissant sous ses yeux ne réapparaitraient plus jamais de la même manière qu’à ce moment précis.

Eugène Boudin, Ciel 4 heures, levant, vers 1848. Musée Malraux, Le Havre. 

Le processus créatif d’Eugène Boudin aura une grande influence sur l’art de Claude Monet, qui sera aussi très inspiré par un autre anglais, William Turner et ses paysages lumineux.

En Angleterre, la frontière entre l’art académique et les nouvelles techniques de peinture n’existe pas, ou du moins, de manière beaucoup plus légère qu’en France. Cela explique pourquoi ces artistes (Constable et Turner en particulier), ont pu s’épanouir dans cette nouvelle façon de peindre, tout en profitant d’un succès leur permettant de vivre et d’être vus, surtout pour un public français, comme les futurs stars de l’époque : Monet, Renoir, Degas ou Pissarro.

William Turner, Pluie, Vapeur et Vitesse, 1844. National Gallery of London. 

3. L’attitude : Gustave Courbet

Concernant l’attitude, enfin : Il n’y eu pas besoin d’attendre les impressionnistes pour que la désinvolture s’exprime dans le monde de l’art. De toutes les époques, des artistes ont tentés de s’extraire des diktats officiels pour s’épanouir dans une pure liberté créatrice. Cette quête émancipatrice recense évidemment plus d’échecs que de réussites. Cependant, il existait déjà, en 1850, une personnalité artistique connue et reconnue pour son caractère et son indépendance vis-à-vis du parcours académique, et il s’agit de l’illustre Gustave Courbet.

Gustave Courbet, Les Demoiselles des bords de la Seine (été), 1856-57. Petit Palais, Paris. 

Ce peintre réaliste, auteur du vagin le plus célèbre de l’histoire de l’art, a ouvert une brèche pour les impressionnistes, en allant à l’encontre de l’académie à de nombreuses reprises, en organisant ses propres expositions en marge du salon, et en décuplant sa notoriété et sa richesse grâce aux différents scandales qui ont jalonnés son existence.

Gustave Courbet n’est pas né à Paris, c’est un provincial comme Claude Monet et Frédéric Bazille. Pourtant, il a su tirer son épingle du jeu et gagner le succès et l’estime dans la capitale : un parfait modèle de réussite pour les jeunes impressionnistes.

Gustave Courbet, La Vague, vers 1869. Alte Nationalgalerie, Berlin. 

Gustave Courbet n’a pas seulement décomplexé les futurs impressionnistes : il les a gonflé à bloc ! Sans sa résistance à l’oppression académique, sans ses expositions indépendantes à côté du salon officiel, le groupe de Monet, Morisot et Degas n’aurait certainement jamais eu le courage ou même l’idée d’organiser ses propres expositions pour contourner les refus du jury au Salon. Eugène Boudin, le mentor de Claude Monet, déclarera même à ce propos : « Courbet m’a déjà affranchi de ma timidité. ».  Désormais, tous savent qu’une autre voie est possible. Elle sera pénible, complexe et fastidieuse, mais elle existe, et tous s’y engouffreront avec courage.

Gustave Courbet, Le Désespéré, 1843-45. Collection privée. 

Pour conclure, si le tronc commun de l’impressionnisme était un cocktail, alors mélangez dans un shaker la technique de Delacroix, la stratégie de Boudin et la véhémence de Courbet : vous voilà avec un joli chef-d’œuvre à servir bien frais !

Evidemment, ces influences ne sont pas exhaustives. Nous aurions également pu citer l’impact des estampes japonaises, découvertes à cette époque, qui ont bouleversé nombre de futurs impressionnistes :  notamment quant à l’emploi de couleurs vives, et l’abandon de certaines règles de perspectives occidentales bien trop strictes.

Johan Jongkind, Aquarelle, Bords de rivière, 1868. Petit Palais, Paris. 

Enfin, pour chaque peintre prit séparément, de nombreuses autres influences peuvent être trouvées sans grandes difficultés :

  • Les aquarelles colorées de Johan Jongkind pour Claude Monet.
  • La finesse des dessins de Jean-Auguste-Dominique Ingres pour Edgar Degas, Edouard Manet, Paul Gauguin ou Marie Bracquemond (qui fut d’ailleurs son élève, bien que celui-ci n’appréciait guère les ambitions féminines dans le domaine artistique, nous y reviendrons dans le dernier épisode de cette saga consacré aux acteurs de l'impressionnisme).  
  • La poésie des paysages de Jean-Baptiste Camille Corot et Charles-François Daubigny pour Camille Pissarro et Alfred Sisley. 

Camille Corot, Vue de Marino dans les Monts Albains au petit matin, 1826-27. Musée Städel, Francfort. 

On se retrouve très vite pour l’épisode 2 de cette saga impressionniste !
Au menu : une lutte acharnée contre l’académisme, les origines détaillées du terme « Impressionnistes », et une réception médiatique et publique extrêmement violente…
En bref, les débuts d’un mouvement déjà retentissant ! Restez connectés !

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