Edgar Degas, La Classe de danse, 1873-76. Musée d'Orsay, Paris.
Le 29 avril, le monde célèbre la Journée Internationale de la Danse, instituée en 1982 par le Comité International de la Danse (CID) au sein de l’Institut International du Théâtre de l’UNESCO, afin de rendre hommage à toutes les formes et cultures de la danse. Cette date n’a pas été choisie au hasard : elle correspond à l’anniversaire de Jean-Georges Noverre (1727–1810), considéré comme le « père du ballet moderne » et auteur des célèbres Lettres sur la danse (1760).
Chaque année, chorégraphes, danseurs, écoles et institutions se réunissent pour célébrer cette journée par des événements, des spectacles et des moments de réflexion. Notre hommage débute par l’image la plus emblématique des arts visuels consacrée à la danse : La Classe de danse d’Edgar Degas (1873–1876), conservée au Musée d’Orsay à Paris. Il s’agit de l’un des premiers tableaux de Degas centrés sur les ballerines, fruit de trois années de recherches, d’observation et de dessins préparatoires. La scène se déroule dans le foyer de danse de l’Opéra de Paris et saisit un instant apparemment spontané : le célèbre chorégraphe Jules Perrot, baguette en main, guide une jeune élève, tandis que d’autres danseuses se reposent, réajustent leur tenue ou se laissent aller à la distraction. Bien que savamment construite, la scène dégage la spontanéité d’un instantané — un chef-d'œuvre qui révèle à la fois l’effort et la beauté quotidienne de la danse.
La composition se distingue par un cadrage presque photographique, une lumière douce filtrée par une fenêtre invisible, et une attention minutieuse portée au parquet — élément essentiel pour celles dont le corps est l’instrument d’expression. Degas n’idéalise pas ; il observe la réalité comme à travers un trou de serrure, révélant ce que l’œil ne voit pas sur scène. Une ballerine qui s’évente, un petit chien à ses pieds, la fatigue visible des élèves — rien ici n’est théâtral, tout est vérité.
Vincent van Gogh, Salle de danse à Arles, 1888. Huile sur toile, 65 x 81 cm, Musée d'Orsay, Paris.
D’autres chefs-d'œuvre célèbres de l’histoire de l’art ont su capturer la magie de la danse, chacun avec sa sensibilité propre — mais tous animés par le même désir : figer sur la toile l’énergie, la joie ou la mélancolie que la danse véhicule.
Dans La Danse de la mariée en plein air de Pieter Bruegel l’Ancien (1566), la danse est à la fois fête et rituel collectif : les corps se mêlent entre arbres et tentes dans un tourbillon populaire de joie rustique, imprégnée d’odeurs de bière et de terre. Avec El Jaleo (1882), John Singer Sargent nous plonge dans l’intensité viscérale du flamenco : une danseuse domine la scène parmi les guitares et les ombres projetées sur les murs, tandis que tout vibre de tension dramatique et de passion brute.
Van Gogh, dans Salle de bal à Arles (1888), propose une vision saturée d’énergie visuelle : la salle est bondée, les visages s’estompent, les couleurs palpitent comme un cœur qui bat. Dans Marcelle Lender dansant le boléro de Chilpéric (1897), Toulouse-Lautrec nous entraîne dans les coulisses du théâtre parisien : ici, la danse devient spectacle et séduction, teintée d’ironie, de couleurs vives et de décadence.
Puis vient la danse symbolique et intérieure d’Edvard Munch, qui dans La Danse de la vie (1899–1900) transforme le mouvement en métaphore de l’existence : sur fond de mer lunaire, trois femmes — jeunesse, passion, solitude — tournent autour du protagoniste comme des apparitions.
Enfin, La Danse de Henri Matisse (1910) : cinq corps nus se tiennent par la main dans un cercle primordial. Suspendues entre ciel et terre, ces figures incarnent la liberté absolue du corps et de l’esprit — un geste sacré et éternel d’unité.
Mais pour aller au-delà du récit habituel, il vaut la peine de s’arrêter sur cinq chefs-d’œuvre de l’Antiquité — souvent oubliés dans les grands récits de l’art occidental…
Peinture murale égyptienne de la tombe de Nebamun avec un musicien et des danseurs, 1370 av. J.-C., Londres : British Museum.
Danseurs et musiciens – Peinture murale du tombeau de Nebamon, vers 1370 av. J.-C., British Museum, Londres
Cette scène vibrante, issue d’un fresque de la tombe de Nebamon, offre un exemple remarquable de la manière dont la danse faisait partie intégrante de la vie et de la spiritualité dans l’Égypte antique. Deux jeunes danseuses se déplacent avec grâce aux côtés d’une musicienne jouant de la double flûte, incarnant une fusion parfaite entre le geste et le son.
Réalisée selon la technique de la peinture sur plâtre, cette composition est emblématique du style du Nouvel Empire égyptien : figures en deux dimensions, profils nets, couleurs franches et lignes marquées. Les corps sont idéalisés, les mouvements stylisés mais expressifs. L’absence de perspective renforce la bidimensionnalité, tandis que la hiérarchie des personnages se lit dans leur taille et leur position.
La peinture égyptienne reposait sur un système symbolique et fonctionnel rigoureux. Les fresques funéraires n’étaient pas de simples ornements, mais des instruments destinés à assurer au défunt une vie après la mort, grâce à la représentation d’activités quotidiennes — telles que les danses et les banquets — qui devaient l’accompagner dans l’au-delà.
Les couleurs provenaient de matériaux naturels : ocre rouge pour la peau masculine, ocre jaune pour la peau féminine, charbon pour le noir, sels de cuivre pour les tons bleus et verts. Chaque détail, des vêtements aux coiffures, témoigne du raffinement et du statut social des personnages.
Cette scène, en apparence festive, révèle ainsi un monde où l’art, la danse et la spiritualité étaient profondément liés.
Leçon de danse – Hydrie attique à figures rouges, vers 430 av. J.-C., attribuée au peintre de Phiale, British Museum, Londres
Leçon de danse – Hydrie attique à figures rouges, vers 430 av. J.-C., attribuée au peintre de Phiale, British Museum, Londres
Cette élégante hydrie attique à figures rouges, provenant de Capoue et aujourd’hui conservée au British Museum, représente une scène d’enseignement de la danse : deux jeunes filles exécutent des pas sous le regard attentif et la direction de deux figures adultes — probablement une maîtresse de danse et une musicienne jouant de la flûte — dans un cadre qui mêle harmonieusement éducation, art et rituel.
Attribuée au Peintre de la Phiale, maître actif au milieu du Ve siècle av. J.-C., cette œuvre incarne parfaitement le style classique de la céramique attique : corps bien proportionnés, mouvements fluides et détails précis rendus possibles par la technique des figures rouges. Le fond noir met en valeur la luminosité des personnages, qui se détachent avec grâce et naturel, soulignés de contours fins et de traits délicats.
La technique à figures rouges, développée à Athènes vers 530 av. J.-C., offrait une plus grande liberté dans le rendu anatomique et l’expression du mouvement, par rapport à la technique précédente à figures noires. Sur cette hydrie, la danse est saisie dans tout son élan vital : les deux jeunes filles, vêtues de tuniques courtes, bougent à l’unisson, dans des poses symétriques évoquant l’exercice et l’harmonie. L’élément éducatif de la scène — probablement lié à la paideia grecque réservée aux jeunes filles de l’aristocratie — est souligné par la présence des figures adultes qui observent et guident.
Tombeau des Danseurs – Fresque, Ve siècle av. J.-C., Ruvo di Puglia, Musée archéologique national de Naples
Tombeau des Danseurs – Fresque, Ve siècle av. J.-C., Ruvo di Puglia, Musée archéologique national de Naples
Parmi les exemples les plus fascinants d’art funéraire de l’Italie du Sud, les fresques de la Tombe des Danseuses offrent un aperçu unique du monde de la danse en Apulie au Ve siècle av. J.-C. Réalisées sur des dalles de tuf, ces peintures ornaient autrefois une tombe prestigieuse, probablement celle d’un guerrier aristocrate, et sont aujourd’hui conservées au Musée Archéologique National de Naples.
La scène principale montre une longue procession de figures féminines dansant en ligne, réunies dans une chorégraphie fluide et ordonnée. Les danseuses, vêtues de péplos et de manteaux aux teintes vives (rouge, bleu, jaune), ne tiennent pas les mains de leurs voisines immédiates mais celles situées devant ou derrière elles, créant un rythme visuel syncopé et harmonieux. Certaines portent des bandeaux rouges autour de la tête et du menton, d’autres arborent des boucles d’oreilles. Trois figures masculines plus dynamiques se distinguent parmi elles — peut-être des musiciens ou des guides rituels.
La danse représentée pourrait être liée à un rite funéraire, une procession solennelle, ou au géranos, danse symbolique associée au mythe de Thésée. La forte composante rituelle est renforcée par la disposition en procession et l’expressivité linéaire des visages et des gestes.
Sur le plan stylistique, l’œuvre conserve des éléments archaïques — rendu bidimensionnel, profils nets — mais elle est riche en détails narratifs : vêtements, coiffures, chaussures, expressions. L’usage du cinabre et d’autres pigments précieux témoigne du rang élevé du commanditaire et du raffinement artistique des peintres.
Ces fresques célèbrent non seulement le rôle de la danse dans la vie et la mort, mais constituent aussi un rare témoignage de la rencontre entre culture hellénique et tradition italique, où l’art devient un pont entre le geste, le mythe et la mémoire.
Danseuses dans la tombe du Triclinio, 470 av. J.-C., Musée national de Tarquinia
Danseuses dans la tombe du Triclinio, 470 av. J.-C., Musée national de Tarquinia
La Tombe du Triclinium est l’un des exemples les plus remarquables de la peinture funéraire étrusque, emblématique de la culture artistique raffinée de Tarquinia. Découverte en 1830 et datée entre 500 et 475 av. J.-C., elle tire son nom des scènes de banquet représentées sur les parois, où musiciens et danseurs animent l’au-delà par le mouvement, le rythme et la couleur.
L’intérieur de la tombe se compose d’une seule chambre rectangulaire, dont les murs peints évoquent un banquet en plein air : sur la paroi du fond, hommes et femmes sont allongés sur des lits de triclinium et festoient, tandis que les murs latéraux déroulent des scènes de danse et de musique parmi des arbres, des oiseaux et des motifs décoratifs qui célèbrent la nature et la joie de vivre.
Une scène attire particulièrement l’attention : un danseur et une danseuse sont saisis dans un pas léger et coordonné, leurs gestes sont amples, expressifs, leurs vêtements flottent au gré de leurs mouvements. Le peintre, probablement formé au style grec, fait preuve d’une sensibilité remarquable dans le rendu anatomique et la dynamique corporelle, à travers des lignes fluides et des couleurs intenses encore étonnamment vives aujourd’hui.
Ici, la danse revêt une valeur profondément symbolique : elle n’est pas simple divertissement, mais l’expression d’une existence sereine après la mort, selon une conception typiquement étrusque. Le geste dansé devient célébration, mémoire, continuité, tandis que musique et banquet évoquent une éternité joyeuse et partagée.
L’influence grecque se manifeste dans la composition, les costumes et le style pictural, mais la vision de la vie et de la mort demeure résolument étrusque. Ainsi, la Tombe du Triclinium conjugue élégance formelle et spiritualité, racontant avec légèreté et grâce la danse comme un pont entre deux mondes.
Joueur de cymbales, Ier siècle avant J.-C. – Fresque, Pompéi : Villa des Mystères
Joueur de cymbales, Ier siècle avant J.-C. – Fresque, Pompéi : Villa des Mystères
Dans l’une des fresques les plus célèbres de la Villa des Mystères à Pompéi, une jeune femme danse avec grâce et solennité tout en tenant des cymbales. Cette scène constitue la partie finale du cycle élaboré de fresques qui orne le triclinium de la villa : un rituel dionysiaque culminant dans la libération symbolique et spirituelle de l’initiée.
La danseuse, probablement une ménade, incarne le moment ultime de l’initiation, lorsque l’adepte — désormais transformée — célèbre son union mystique avec le dieu à travers la musique et la danse. Son corps est saisi en plein mouvement, enveloppé dans un tissu fluide qui accompagne la torsion de son torse, créant une image vibrante et dynamique, rompant avec la fixité habituelle de la surface picturale.
Réalisée selon la technique de la mégalographie, l’œuvre présente des figures grandeur nature sur un fond rouge pompéien — une couleur riche de significations rituelles et symboliques. Il s’agit d’un exemple exceptionnel du deuxième style pompéien, dans lequel l’espace architectural est suggéré par la peinture elle-même, afin de créer profondeur et intensité dramatique.
Dans l’une des fresques les plus célèbres de la Villa des Mystères à Pompéi, une jeune femme danse avec grâce et solennité tout en tenant des cymbales. Cette scène constitue la partie finale du cycle élaboré de fresques qui orne le triclinium de la villa : un rituel dionysiaque culminant dans la libération symbolique et spirituelle de l’initiée.
La danseuse, probablement une ménade, incarne le moment ultime de l’initiation, lorsque l’adepte — désormais transformée — célèbre son union mystique avec le dieu à travers la musique et la danse. Son corps est saisi en plein mouvement, enveloppé dans un tissu fluide qui accompagne la torsion de son torse, créant une image vibrante et dynamique, rompant avec la fixité habituelle de la surface picturale.
Réalisée selon la technique de la mégalographie, l’œuvre présente des figures grandeur nature sur un fond rouge pompéien — une couleur riche de significations rituelles et symboliques. Il s’agit d’un exemple exceptionnel du deuxième style pompéien, dans lequel l’espace architectural est suggéré par la peinture elle-même, afin de créer profondeur et intensité dramatique.