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Retour à la liste Ajouté le 16 mars 2020

Laboratoire du livre d'artiste

Laboratoire du livre d’artiste. Conception du « MÉTA-LIVRE »

 

Le Laboratoire du livre d’artiste (LLA) a été fondé en 2008. À ce jour, c’est une organisation unique consacrée à la fois à la création des livres par des artistes, à l’expérimentation et à la recherche systématique sur le livre d’artiste. Les expériences menées au sein du Laboratoire se dirigent vers la structuration de la conception innovante du « méta-livre ». Actuellement, il rassemble les contributions de trente-cinq participants (artistes, poètes, chercheurs et critiques d’art). Les actions du Laboratoire se répandent dans plusieurs pays d’Europe, certains de ses volumes se retrouvent dans une trentaine de collections publiques[1]

Le Laboratoire fonctionne comme un atelier de la création de livre mais aussi comme une institution de recherche autour du livre. S’appuyant sur les traditions de l’art du livre depuis des époques anciennes et suivant les tendances ultracontemporaines, le Laboratoire englobe plusieurs aspects du livre d’artiste et offre à voir ses différents modes de fonctionnement, analysant plusieurs visions sur le livre de création artistique ; il refonde aujourd’hui les critères d’approche du livre d’artiste. Or, pour le Laboratoire, il ne s’agit pas de réinventer le livre d’artiste, ni de faire  table rase par rapport aux sources. Il ne s’agit pas d’ailleurs de retour au siècle précédent. Il n’est pas non plus question de mélange des visions sur le livre d’artiste : le Laboratoire se distingue catégoriquement de deux visions contradictoires sur le livre d’artiste, dont l’une le rattache à la bibliophilie et l’autre aux idées de l’art conceptuel pour, dans ces deux cas, ne pas reconnaître l’autonomie réflective et méthodologique du livre d’artiste.

Au sens global, le Laboratoire constitue une unité de livres d’artiste portant une nouvelle vision sur l’esthétique et les perspectives de ce domaine de l’art. Ou même, on peut dire que le Laboratoire, dans l’ensemble des livres qui y sont créés, représente lui-même un méta-livre d’artiste. Le travail du Laboratoire du livre d’artiste est orienté vers l’expérimentation en continu avec le livre, vers la valorisation du livre d’artiste actuel ainsi que vers la recherche des perspectives pour ce domaine de la création. Le Laboratoire montre un exemple unique et universel à la fois. Sa démarche particulière consiste dans la création des ouvrages qui se trouvant en correspondances internes, en composant ainsi une œuvre polyphonique.

 

Composition de la collection du LLA

    À ce jour, la collection « Laboratoire du livre d’artiste » (format carré) compte trente-trois volumes. Ces volumes appartiennent à dix sections développant différentes thématiques.

Genèse des formes : l’accent sur les formes de base comme le point, la ligne, le carré, la spirale, la croix, etc., la théorisation des « formes en mouvement », la réflexion sur le pré-geste.

Temps : l’interrogation sur la nature du temps et l’expression de l’intuition du temps comme une catégorie sacrale, la réflexion sur le chronotope du livre-œuvre.        

Mythe : l’interprétation graphique des matières et des sujets légendaires, la construction des paradigmes de personnages mythiques et la convocation des archétypes.  

Reflets : la présentation par l’artiste de la poésie contemporaine, les voies de la transformation de la matière textuelle en langage des formes et des couleurs.  

Cryptogrammes : les recherches sur les systèmes de codage et sur la sensibilité de la lecture vis à vis du textuel expérimenté.  

Art moderne : la composition des liens intertextuels avec l’époque de l’art moderne et ses acteurs (par exemple, Paul Klee), ainsi qu’avec le début de la tradition française du livre d’artiste (Édouard Manet).                                

Translation : la mise en place des différents types de traduction en tant que système de translation, voir la transmission des valeurs esthétiques et intellectuelles d’une culture à une autre, d’une époque à une autre.

Arts graphiques : les corrélations des pratiques de l’écriture typographique, de l’écriture sonore et des graphismes picturaux, ainsi que la construction des formes plastiques et leur disposition.

Sans titre : la déclaration de l’action provocatrice visée sur le relativisme de toute classification et de toute systématisation, la recherche sur le phénomène du titre, sur le paradoxe de la nomenclature comme structure hiérarchique.

Hors série : la présentation synthétique des volumes du Laboratoire, par leurs extraits et selon leur chronologie, en correspondance avec la conception du livre-galerie ou du livre-exposition mobile.

 

Il faut souligner que toutes les sections du Laboratoire se coordonnent entre elles, comme les axes de recherche à l’intérieur d’une structure scientifique. Cela dit, le Laboratoire ne doit pas être considéré comme un projet éditorial. On peut même dire que ce n’est pas une édition au sens ordinaire du terme, puisque chaque volume est construit selon le principe de la présence de la main de l’artiste, ce qui donne à chaque exemplaire le caractère de l’œuvre unique. Lors de la création de ces livres, la publication n’est pas l’objectif ; l’objectif recherché est la réalisation d’une nouvelle phase de l’expérience sur le livre comme support et objet du travail artistique. Dans ce sens, tous les livres formant l’ensemble du Laboratoire composent une unité, une œuvre plastique complexe. 

Voici quelques exemples.

 

La section « Genèse des formes » montre le vecteur fondamental de ligne éditoriale du Laboratoire, qui renouvelle la conception du livre d’artiste au premier quart du XXIe siècle. Selon celle-ci le livre d’artiste est une oeuvre d’arts plastiques et graphiques, utilisant le support du livre, y impliquant plusieurs aspects de l’art conceptuel, minimal, d’avant-garde et de l’édition de création[2]. Un tel livre fait par l’artiste lui-même (et non par l’éditeur) contient donc non seulement l’œuvre finale mais aussi son propre dossier génétique, quoique  ce soit sa matière : esquisses, manuscrits, ou idées philosophiques.

Dans cette section, les recherches se déroulent notamment autour du pré-geste dans le processus de la création artistique. Elle met l’accent sur les formes de base comme le point, la ligne, le carré, la spirale, la croix, etc. Le travail dans cette section se dirige vers la théorisation des « formes en mouvement » et vers la réflexion sur leur multiple genèse.

Ainsi, il semble important d’évoquer que le premier volume de cette section qui ouvre le Laboratoire en 2008 s’adresse au pré-geste et à la pré-forme dans les dessins d’enfant. Le livre Drôle… Drôle… Drôle… s’interroge sur l’expression plastique comme acte physique, sur la nature du geste. C’est pourquoi ce n’est pas un hasard si dans ce livre cette problématique est retravaillée en correspondance avec les idées de Wassily Kandinski, Paul Klee et Henri Michaux. La thématique du geste mène vers l’élaboration et l’argumentation d’un des principes de la collection : « présence de la main » dans le livre d’artiste.

 En effet, ce principe trouve sa réalisation condensée dans deux autres livres de la même section, livres intitulés Opposition binaire et Système binaire, 2011. Ici la problématique du geste est abordée par l’étude de la dualité d’hémisphères cérébraux et, par conséquent, des correspondances et divergences entre la main gauche et la main droite. La main, le geste, le cerveau sont donc des objets d’analyse dans le livre et, en même temps, des outils de sa création. D’autre part, le système des oppositions est présenté au niveau verbal par les constructions multilinguistes et par le concept de la multilecture. Possédant chacun différents modes d’expression, les artistes-auteurs de ces deux volumes ont travaillé sur le geste réel fixé, sur son reflet miroité, sur le vide et le rempli, ainsi que sur l’opposition clair/obscur.

Le dernier livre de la section « Genèse des formes », Architectonique du Sphinx, 2013, lance la thématique de l’architecture virtuelle. Il entre en dialogue avec les idées de suprématisme et de constructivisme et élabore le premier Manifeste du nouveau mouvement artistique Sphinx blanc[3] qui expérimente à différents niveaux le livre d’artiste et qui remet l’accent sur les aspects spirituel, intellectuel et existentiel, issus de la dominante de l’artiste-auteur dans le processus de création de l’œuvre-livre.

Dans l’Architectonique du Sphinx est effectuée la recherche sur la genèse des formes à travers les multiples métamorphoses subies par la matière proprement plastique. Le contenu du livre se base sur la série des tableaux Expressions abstraites[4]Les visuels des tableaux, grâce à l’utilisation du support-livre, sont transformés en signes. Ces signes implantés dans le texte poétique Un soir d’antan… (Anne Arc, 2012) deviennent les centres visuels, autrement dit des unités graphiques accentuées dans le texte qui rappellent des pictogrammes. L’approche entre ce qui est lisible et ce qui est illisible renvoie, entre outre, à l’idée de Roland Barthes sur la « sémiographie particulière », dans le sens de l’écriture imaginaire. Cela est remarquable car la symbiose entre l’écriture imaginaire et l’écriture réelle dans l’Architectonique du Sphinx organise le mouvement interne dans le tissu textuel.

Dans le même contexte, il faut évoquer que le livre Métamorphoses du rire, qui appartient à une autre section intitulée « Art moderne », retravaille les problématiques susmentionnées, mais à sa propre façon. Par exemple, il élabore la thématique du gestuel dans un aspect de la gestualité de la gorge. C’est notamment la physiologie du rire qui est l’objet des dessins dans ce livre consacré à des recherches autour du personnage pictural Clown, de Paul Klee. Ici l’artiste Serge Chamchinov mène une expérience sur la nature du rire, en effectuant un enregistrement pictural de la sonorité du rire venant des vibrations musculaires d’un être humain. Ainsi, le composant sonore joue ici un rôle indicateur par le biais de la ligne sinusoïdale dessinée, comme si la main de l’artiste est devenue l’instrument pour un spectrogramme, enregistrant les amplitudes des ondes du rire, répondant ainsi au phénomène visuel qui peut s’apparenter aux systèmes de partitions graphiques.

Un livre, Les Fleuves impossibles [sic], de la section « Arts graphiques », aborde de nouveau la thématique sonore. L’ouvrage est concentré sur l’idée de la création d’une sorte d’écriture typographique qui se base sur les corrélations entre le graphisme et la sonorité des entités textuelles. Force est de constater que la visualisation du poème Le Bateau ivre, d’Arthur Rimbaud, se passe sous le signe de la lecture musicale. Par conséquent, l’espace du blanc se coordonne souvent avec les pauses dans la lecture du poème effectuée à l’époque par Léo Ferré. La voix de Léo Ferré résonne avec la répétition des deux premières strophes sur les pages translucides. Celles-ci sont mises en ordre perpendiculairement par rapport au sens de lecture habituel. Cet ordre imite une sinusoïde d’enregistrement phonogramme. Enfin, le textuel est devenu une figure visuelle qui a obtenu les caractéristiques vocales.

Dans un autre livre, Vers la Barque (section « Arts graphiques », 2012), on voit comment l’utilisation de la « typographie analytique » apporte une musicalité visuelle au texte en imitant un chant, créant ainsi une écriture sonore. Par ailleurs, ici une page représente un document-objet implanté dans le livre, comme s’il s’agissait d’une vraie partition sous forme de papier perforé plié, à la manière de celles utilisées pour les machines mécaniques comme par exemple l’orgue de Barbarie. Dans le livre on suit donc comment la barque, avec ses personnages sur le bord, s’est mise en mouvement, navigue, on « entend » avec l’œil le chant qui s’éloigne (« l’œil écoute », Paul Claudel) et on possède les documents de cette navigation (journal de bord, soit un certain dossier génétique composé d’après des esquisses d’Hermann Rapp).

Un des domaines de recherche est représenté dans la section « Translation » – qui comprend cinq volumes – et a pour objectif de mettre en place les différents types de traduction. Il s’agit d’un système de translation au sens large du terme, système qui comprend la transmission non seulement d’une langue à une autre, mais aussi la transmission des valeurs esthétiques et intellectuelles d’une culture à une autre, d’une époque à une autre. Il s’agit aussi de la transformation de la matière textuelle en langage des formes et des couleurs.

Pour illustrer les mécanismes du travail de cette section, présentons un livre paru en 2013 et intitulé La Symphonie du temps. Ce livre introduit les idées rimbaldiennes de modernité dans le xxie siècle. Lors du travail sur cet ouvrage, le « Laboratoire », avec le soutien de la Maison internationale de la Poésie Arthur Haulot (Bruxelles), a lancé un appel aux poètes d’aujourd’hui pour effectuer les nouvelles traductions du poème d’Arthur Rimbaud Le Bateau ivre. Les contributions

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