Ajouté le 16 août 2018
La bougie, flamme fragile que l’on veille autant qu’elle nous veille, flamme qui renvoie aux origines de l’humanité, de l’art, de l’artiste. Elle est le temps, vie et mort. La bougie produit de la fumée, matière qui nous fait beaucoup rêver, une matière mentale qui s’élève pour venir se déposer doucement sur l’espace au-dessus d’elle, le temps d’un moment, semblable à Nout, courbé au-dessus de Geb, qui attend l’heure de l’étreinte.
Elle est le chemin du veilleur, elle donne un noir du secret, de la réflexion, matière douce et délicate, dense et profonde. Le noir invite à la méditation.
Il apparaît aussi dans la luminosité des flammes et dans l’éblouissement du soleil.
Est-ce par sa naissance, par la flamme que le noir a une lumière si particulière ?
Pour déposer le noir de fumée sur la feuille, il faut placer la bougie dessous et laisser la matière s’élever en gardant la flamme toujours en mouvement. Processus méditatif que celui de l’élévation de la matière à l’image de l’esprit. C’est non seulement un effet de matière optique qui est produit mais aussi et surtout le champ mental qu’elle ouvre pour celui qui regarde. Processus d’abstraction, il laisse une liberté de pensée qui, avec la portée symbolique du noir, laisse une interprétation propre au regardeur. C’est un espace mental qui est créé.
Travailler avec la flamme et le noir de bougie renvoie aux origines. Le processus de création est aussi important que le résultat. « Les couleurs ont moins d’importance qu’on se l’imagine communément. Mais la manière de les apposer, davantage » (Jean Dubuffet). Le caractère « mystique » des œuvres tient au fait que ce qui est créé n’est pas déterminé par avance mais naît plutôt de la manipulation des matériaux bruts. Il s’agit de donner de la matérialité et de sentir l’œuvre en cours. Le contenu se dévoile, s’ouvre dans la fabrication elle-même.
« Ce qui reste à voir c’est ce moment très précis, très fragile, très difficile à saisir, où la création se met à exister; ce moment très précis et très fragile où l’on passe de rien du tout à quelque chose qui n’est pas encore défini, quelque chose qui n’est pas encore grand-chose, mais qui est juste ce moment ce basculement » (Éric de Chassey).
La prise en compte de l’acte de création est une étape nécessaire et majeure pour produire et apprécier pleinement la force du noir de fumée.
L’art est une expérience transformatrice du sujet, aussi bien pour l’artiste que pour le regardeur. Il montre et détermine dans l’éclat de l’instant présent ce qui perdure et ce qui porte le sentiment d’éternité, minimisé par la durée de la vie humaine ou celle des civilisations. Il ouvre l’activité de l’esprit aux vastes dimensions d’un corps vivant dans l’univers en mouvement permanent, il construit ses propres instruments de lecture pour fixer ce qui disparaît.
Les dessins à la bougies se font en venant délicatement déposer la fumée noire de la bougie allumée sur le papier. J’applique d’abord une masse de noirs et je viens dessiner par enlèvement de la matière. Je réapplique du noir là où c’est nécessaire, je re-dessine etc…
Les dessins réalisés sont toujours inspirés de croquis que j’ai esquissé au cours de promenades ou d’observations quotidiennes. Je me suis fabriqué mes propres instruments de dessins (pinceaux à un poil, morceaux de tissus, plumes d’oiseaux…). Le choix du papier est très important. La qualité du blanc et l’étoffe du papier jouent un rôle primorial dans la réalisation.
Mes dessins flirtent à la fois avec la peinture par le traitement de matière mais aussi avec la photographie dans le traitement du détail et du rendu en noir et blanc final.
Le noir ainsi obtenu est d’une douceur et d’un velouté exceptionnel. Les dessins sont atemporels, étranges, parfois méditatif et toujours avec une pointe de délicatesse.