Ajouté le 21 janv. 2019
Vertiges
« J'écrivais des silences, des nuits, je notais l'inexprimable. Je fixais des vertiges » Rimbaud,
Saison en enfer
Il est des artistes qui nous plongent d’emblée dans l’espace des vérités contemporaines et
Claude Duvauchelle en fait partie … Son œuvre est indéniablement au cœur d’une pensée
engendrée par la fin du religieux, d’une quête cheminant au sein d’un monde sans dieu et à
la recherche d’un mysticisme profane.
L’œuvre de Claude Duvauchelle est à n’en point douter celle de nos angoisses quotidiennes,
celle d’un monde qui se délie. Dans cette œuvre lumineuse et sombre, l’angoisse d’exister se
fait d’autant plus palpable qu’elle fait fond sur une forme de récurrence du propos qui ce
décline par la variation de la technique, des teintes, des supports … s’amplifie par la
rencontre de la peinture et du dessin, des croquis … œuvres où parfois les corps peints
rejoignent les masques, où la peinture croise les momies sculptées.
Incontestablement, l’œuvre de Claude Duvauchelle est celle de l’incarnation du Vertige,
disons même de nos vertiges existentiels. Fixez ne serait-ce que quelques instants ces
grandes toiles où l’austérité du noir contraste avec l’exubérance du rouge et vous ne pourrez
esquiver cette impression de vertige. Inévitablement, ces corps musculeux vous paraitront
s’animer d'un mouvement d'oscillations. Angoisse et vertige au cœur de cette œuvre
puissante et tragique, vertige propre à notre contemporanéité, vertige se nourrissant de nos
inquiétudes quant à l’avenir, face à une existence qui nous semble sans issue.
Dans l’œuvre de Claude Duvauchelle, parfois le vertige peut frôler une paradoxale euphorie,
celle engendrée par la majesté de ces multiples nuances de rouge, par ces corps fuselés et
virils.
Vertiges encore quand nous éprouvons à la vue de cette œuvre ample, faisant dialoguer la
peinture, la sculpture et la musique, toutes les émotions humaines, tout le panel infini des
perceptions du corps et de l’esprit avec intensité et rage. Vertige et ivresse de ces corps
valsant où l’on perçoit avec saisissement l’agitation des nerfs, le mouvement des muscles, le
corps en désordre pris dans le chaos de son ébranlement. Alors nous vient cette angoissante
sensation de perte d'équilibre et de chute éprouvée au-dessus du vide qui semble exercer,
au cœur de cette peinture, une attraction irrésistible.
Chez Claude Duvauchelle souvent les chairs, les corps sont encerclés par le noir et éclairés
par des couleurs chaudes. Ils sont figés par la tension et se dédoublent. Ils ne cessent leur
chute, le déséquilibre est permanent et l’extrême tension du propos se condense dans les
mains et les pieds. Le corps n’est pas choisi pour ce qu’il a d’esthétique mais de pulsionnel.
Tout est spasmes, convulsions et mouvements retors. Les mains sont tendues et
saisissantes, les doigts tortueux parfois crochus comme ces masques à becs qui apparaissent
sur certain tableau, les pieds semblent repousser, fuir.
Ici la nature humaine apparaît dans sa brutalité et sa morbidité … mais brutalité anxieuse car
le corps n’est jamais stable et assuré … il est toujours comme emporté par le vertige … celui
de son animalité première ? Il n’y a rien de ludique dans ces corps abîmés, rien de dansant
dans ces chairs exposées. Il n’y a rien que du pulsionnel, du corps derrière la chair, ce qui
vient signifier la désacralisation du sujet.
Caroline Guth Mirigay