Jp Breakner Image de profil

Jp Breakner

Retour à la liste Ajouté le 22 mai 2006

JPL : - J’aimerais tout d’abord aborder la genèse de votre travail. Vous peignez avec une expression qui vous est propre mais quel fut le cheminement personnel qui vous amène à ce style? »
Breakner: Dans mon milieu familiale, j’ai été influencé dès mon plus jeune âge à l’art et à l’artisanat. Ma grand-mère peignait et il semblait normal que n’importe qui puisse peindre, sculpter, jouer du piano… Tout le monde savait dessiner y compris ceux qui n’avaient pas le statut d’artiste au sein de la famille. Je dévorais des bandes dessinées qui présentent un intérêt extraordinaire pour la structure du récit. Il régnait une passion pour les belles choses anciennes ce qui a participé au développement de ma sensibilité à l’esthétique. Enfant, je passais mes vacances à Marseille dans un appartement digne du Carnavalet. Dormant dans un lit Louis XV. Mangeant sur du Louis XVI avec des couverts Napoléon III. Les draps aussi étaient fin 19ème. Nous partions ensuite dans une maison familiale meublée en Louis XIII. Artistiquement, tout à commencé lorsque je vis Guer-nica dans un livre scolaire. J’avais 13 ans, je dessinais en permanence, à l’école, à la maison, mes soirées télé se passaient papier et crayon à la main, je projetais mes sentiments ou me projetais en permanence de la sorte et ce tableau a été une révélation pour moi. J’ai peu après vu les Demoiselles d’Avignon. Donc le Cubisme et Picasso ont déclenché chez moi un choc extraordinaire et mon cheminement à commencé ainsi.
JPL- Mais comme peintre ou artiste… ? »
Breakner: — Ce fut le début mais j’ai rencontré Bruegel et surtout Bosh qui m’a estomaqué. Plus tard j’ai dé-couvert le Pop et Warhol. Nouveau choc en voyant le travail de Haring. Très proche de la BD et de la Ligne Claire, Bon ce n’étais pas du Hergé ou du Franquin, mais je tombais nez à nez avec un artiste qui semblait peindre des cases de BD géantes. Mieux que cela il les peignait avec une économie de moyens et une absence de soin. Cette absence de soin dans la réalisation donnait à son sujet un incroyable énergie et une puissance décuplée. J’ai également été pris par les figuratifs libres et surtout Combas. Plus tard, Basquiat est venu achevé la découverte qui consistait à comprendre que le peintre n’était pas obligatoirement un super technicien de la matière. Que pour peindre il ne fallait pas être aussi fort que David et que le travail sur le langage représentait plus que la technique. Bref, que contrairement à la peinture classique que j’avais vue toute mon enfance, il était possible de peindre «comme un cochon» tout en gardant à ma peinture un réel intérêt, qu’une peinture ne se jugeait pas forcément à la maitrîse qui avait présidé à sa création, qu’il ne s’agissait pas forcément d’une sorte de dépassement technique de soi. Les peintures que je pouvais voir à l’époque, qu’elles fussent d’une grande maîtrise ou franchement nulle me plaisaient le cas échéant par ce qu’elles m’apportaient l’émotion». L’être humain fonctionne fondamentalement dans le registre de l’émotion, n’importe quel prix Nobel voyant sa femme au lit avec un autre ne commencera pas par faire une thèse. En tant qu’artiste je rajoute ma couche à celles des autres, couches dans lesquelles j’ai puisé et puise encore, elles collent, se repoussent, interagissent créent une sorte de magma de sens dans lequel vous pouvez trouver sinon ce que vous cherchez (possédez-vous ce privilège rare de savoir ce que vous cher-chez, si vous êtes un mystique ou stupide peut être...)
JPL : — Il y a une dimension symbolique dans votre travail, est-ce une recherche consciente, une in-fluence précise ? »
Breakner : — Il n’y a pas réellement une volonté d’ancrer mon travail dans le symbolisme de quelque façon que ce soit. Ce qui est vrai c’est que je veux vider mes sujets de la représentation humaine en tant que telle. Je peins des gens, mais à travers leurs angoisses, leurs craintes, leurs questionnements. J’évacue la représentation humaine, mais en essayant de créer autre chose sur lequel notre regard peu percevoir cette réa-lité. En travaillant ainsi, je cherche à rejoindre une forme d’universalité et également permettre une projection abstraite dans les sujets représentés. Lorsque je dis que je ne travaille pas les symbole, j’entends par là que je ne veux pas d’une forme de connaissance ésotérique, cabbalistique ou maçonnique de la représentation. Je travaille pour l’immédiateté, mon travail est basé sur l’émotion, c’est elle seul qui me dirige, ce qui n’empêche pas d’y voir a posteriori la présence de symboles. Je ne demande pas de clés au spectateur pour rentrer dans mon travail, ce serait une forme d’échec pour moi. Cela renvoie partiellement dans ce sens aux Arts Premiers, notamment de peuplades forestière qui produisent un art expressif mais au fondement de leur humanité (par opposition à l’art des peuples de savane)
JPL : — Il y a également, de façon récurrente, l’apparition d’un personnage tel un dieu?
Breakner : — Je suis viscéralement athée mais je me qualifierais d’athée mystique (...), il y a 6000 ans que l’on expli-que le monde par des signes de(s) dieu(x). Je crois en la quête de la connaissance, mais une connaissance scientifique. Il y a une tromperie monumentale et tragique qui consiste à faire croire qu’il y a une opposition entre la science, la connaissance et l’idée de dieu ne sont absolument pas incompatible au contraire. Questionner le fait de dieu par la science est la seule voie possible. Lorsque j’évoque la connaissance scientifique, je parle de la connaissance en tant que telle pas de ce qu’elle permet de faire qui est un autre débat, connaître le mode de création et la vie des étoiles, pouvoir démontrer ce phénomène est une chose, produire une bombe thermonucléaire en est une autre qui ne touche plus à la science comme connaissance mais comme pouvoir. Pour revenir à mes divinités comme pour le reste de mon iconographie, il s’agit d’une forme de projection. Vous pouvez y voir dieu, une force suprême, la connaissance ou vos névroses. C’est généralement une articulation du sujet sous-jacent. L’origine du questionnement ou l’absence de réponse possible. l est vrai également que j’ai été particulièrement marqué par le décès de mon jeune frère alors que j’avais 8 ans. Cet événement m’a amené à une quête de sens permanente sur la célérité de nos existences et notre rapport à la mort.
JPL : — Concernant votre iconographie, il y a l’om-niprésence de ce que j‘appellerais des organes, des chairs molle, des intestins ? »
Breakner : — C’est vrai qu’il y a une présence d’orga-nes non définis. L’organe a une fonction et une production. Une forme plus ou moins élaborée de prurit, un prurit de la pensée, j’en reviens à la représentation dans mon travail. Les êtres ne sont pas humains mais supportent des questionne-ments humains, les organes produisent des motifs, des arte-facts. Ils sont très souvent également des portes, des passa-ges vers un autre ICI. La notion de passage est omniprésente. Le passage peu supposer la fuite comme l’accomplissement. Vous pouvez fuir vos échecs en même temps que votre pays ou réaliser de grandes choses ailleurs parce que cet ailleurs vous en offre pour l’une ou l’autre raison, l’opportunité.
JPL : — Je ne vois pas de motifs d’arrière-plan qui sont réduits à un fond de couleur».
Breakner : — «La choses est un peu plus complexe. Mon sujet est un télescopage entre les différents plans, c’est pour cela que je nomme mon travail «Agglutinats». Si vous regardez bien la structure il y a en général 3 couches. Vous avez donc un arrière plan, mais il est intimement lié à l’avant plan. L’avant plan n’est pas détaché, les différentes couches sont mêlées. Le fond fonctionne comme un arrière plan suprême, il ne dit rien en tant que tel mais pourtant, de par sa couleur, il interagit avec le sujet. Le choix de la couleur intervient pour donner un ton à l’ensemble. Il y’a en fait 2 arrière-plans...
Bruxelles, avril 2006

Artmajeur

Recevez notre lettre d'information pour les amateurs d'art et les collectionneurs