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Eric Taleb

Retour à la liste Ajouté le 21 oct. 2004

Interview du 8 juillet 2003 ( 1 )







Taleb , ce nom ressemble à un pseudonyme… c’est votre véritable nom ?
-c’est mon vrai nom. Et ce nom qui ressemble à un pseudonyme, signifie dans la langue Arabe : « celui qui écrit, celui qui va vers le savoir et la lumière… »mais il est aussi le singulier d’un autre pluriel lourd à porter. Car en effet taleb est le singulier de « talibans. » Ceux de l’obscurantisme, du fanatisme et de l’ombre.. j’ai donc de bonnes raisons de rester singulier et de chercher la lumière !

Me parler de votre peinture…cela vous semble t’il impudique ?
-Antonin Artaud disait à propos du théâtre : « le théâtre est un acte sacré qui engage aussi bien celui qui le voit que celui qui le fait ».Cette pensée s’applique à merveille à la peinture et donc, à toute forme d’Art universel.
D’abord, ma peinture pour elle seule, ne m’intéresse pas. C’est la question de l’Art qui m’intéresse , celui qu’on écrit avec une majuscule … celui des hommes depuis la nuit des temps… et pourquoi la trace ? Pourquoi les parois de Lascaux ? Pourquoi l’écriture ? Les hiéroglyphes, la lumière, la quête de vérité, la foi ?
Les grands discours sur la peinture, je vais vous les redire… ce sont les mêmes depuis toujours, ni plus ni moins, je ne suis qu’un maillon désigné d’une chaîne dix fois millénaire et parfois, sur cette longue chaîne vient se greffer un maillon d’or , riche d’un éclat et d’un pouvoir exceptionnel comme Pablo Picasso ou Matisse ,qui ont pris à bras le corps la question de la peinture de leur temps, sans tourner le dos à l’histoire de l’art il ont enrichi avec respect la légitimité des maîtres d’autrefois.
Ces hommes rares sont venus, il n’ont rien inventé , ils ont ajoutés, riches de leurs génie, le souffle providentiel, dans la torpeur d’un siècle vieillissant dans la modernité et le matérialisme. Ils ont repoussé pour un temps la menaçante idée de se passer de la nécessité de l’art.
Devant un tableau, le public hélas, ne dispose que d’une seule clé : le regard. et le regard ne suffit pas
Il lui faudrait lui aussi du temps et un état d’âme réceptif , non pas pour interroger le tableau, mais d’abord s’interroger lui-même sur la nature de ses émotions. une œuvre d’art n’est rien d’autre que le reflet d’un autre dans un miroir ,et il se trouve que cet « autre » nous ressemble en des points mystérieux.
La vraie raison d’exister du tableau, c’est celui qui le regarde qui la détient . et si l’émotion est au rendez-vous celui qui regarde le tableau le traversera, comme on traverse un paysage intérieur , parfois il en saura plus sur la genèse du tableau que l’auteur lui-même…et cela le peintre et tous artistes le savent bien. pourquoi ? Parce que l’acte de peindre réclame une telle énergie pour vivre ce moment extraordinaire qu’il ne peut être le « faiseur » et le spectateur de son œuvre simultanément : il peut faire mais ne peux pas dire, car aucun Artiste ne peut lire dans la mouvance de son travail. Pour cela, il lui faudra des semaines des mois, peut-être des années de recul nécessaire pour comprendre enfin les raisons de cette fulgurance. Je suis convaincu que le processus spectateur est exactement l’inverse de celui de l’artiste.

Un tableau est un fragment, une page de journal intime. Nous en connaissons sa chronologie, mais nous ne pouvons contrôler quel est réellement son objet. Je dis bien objet et non pas sujet. l’objet vous l’avez compris , signifiant la « cause » pour lequel on a peint ce tableau. le sujet lui, n’est qu’une conséquence tangible, un prétexte ,une invitation au voyage.


Quand vous peignez, vous avez déjà une idée avant, ou ça vient comme ça ?
-Je n’ai jamais d’idées. Tout au plus des sensations de rythmes colorés, quelque chose d’impétueux que j’ai appris à reconnaître et que j’appelle « la première ébauche de moi-même. les idées sont quelque part, dans le vide de la toile. Deviner leur existence ou leur présence, c’est déjà beaucoup et pour pouvoir s’en approcher il n’y à qu’un moyen : quitter la réalité et emprunter l’itinéraire vertigineux de l’inconscient. c’est au bout que se trouve l’idée.. Toute toile blanche contient un tableau. Bon ou mauvais, mais elle contient un tableau, souvent mauvais d’ailleurs, sinon pourquoi peindrions-nous ? Un tableau n’a d’intérêt que parce qu’il a été peint par « un autre », celui-là même qui se trouve au centre de vous-même et que vous ne connaissez pas.

Peux-on parler de séduction dans l’approche d’un tableau
-Difficile et paradoxales parfois. plus un tableau révèlera de vérité profonde, sans se soucier des tentations plastiques auxquelles tant d’Artistes ont succombé, plus il échappe à ce premier regard qu’on pose à sa surface. La plupart des gens ne sont pas là pour acheter une part de votre cri. le seul cri que l’on veut bien entendre sont les cris posthumes dans le dictionnaire de l’histoire de l’art.

L’idée du compromis vous ennuie ?
- Je fais ce que je peux pour vivre pleinement ma peinture.
Acheter votre pain avec votre art, passe inévitablement par le compromis. Même un petit peintre régional qui vit bien de sa peinture, se compromet. Aimablement, d’accord, mais il se compromet quand même. J’ai encore dieu merci des parenthèses de vraie vie d’Artiste ou je peux retrouver ces fameux instants de grâce fusionnelle avec l’ « autre » qui vous habite, et je m’accorde encore tant que je le peux, le temps nécessaire pour inviter mon corps de « réalité » a rejoindre l’autre, celui du spirituel, le seul qui puisse me mener dans un véritable processus de création. C’est-à-dire que, s’il fallait trente jours pour peindre un tableau, il en faudrait vingt-cinq à attendre , à guetter le train du rêve qui lui ne prévient pas. il passe à toute allure . il faut se tenir là, prêt à sauter dans le premier wagon qui passe.

Vous semblez dire que la peinture est un peu une thérapie, quelque part ?
Il est clair que le désir de l’art est un désir d’amour, donc une quête inatteignable et c’est bien pour cela qu’au fond, si elle ne me rend pas heureux, elle me rend au moins vertical, c’est la seule chose que je lui demande : être vertical, même vacillant c’est comme une flamme, un flambeau qu’on protège du vent vaille que vaille.

Merci de m’avoir reçue et d’avoir accepté de me parler librement.

Artmajeur

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