Ajouté le 27 oct. 2005
Alexandre Pogoretzky
Une collection de dessins, gouaches, pastels, aquarelles, encres et estampes a été "découverte" en 2002 dans l'appartement d'un homme que j'ai rencontré en 1989 à Paris, dès mon arrivé en France. Depuis cette date, l'amitié protectrice d'Alexandre Pogoretzky n'a jamais cessé à mon égard, jusqu'à la toute dernière période où il s'est éteint doucement dans une Maison de retraite.
Alexandre Pogoretzky est né en Tunisie le 19 septembre 1926, de parents russes émigrés, naturalisés français dans les années 50.
Alexandre fait ses études dans le "Corps des Cadets russe" à Paris. Il passe une année d'études à l'Académie des Beaux-Arts de Lausanne.
Aussitôt après la mort de son père, en 1953, il arrête la peinture et entre dans les Assurances suisses. Il y demeure employé jusqu'à sa retraite en 1986. Après le décès de sa mère, pendant le restant de sa vie, la grande préoccupation de Pogo, comme on le nommait, consiste à être présent aux offices religieux orthodoxes de nombreuses églises à Paris et dans la région parisienne. Après les litugies, il rend visites aux vieilles connaissances de sa famille, en leur apportant son amitié, sa chaleur humaine et son soutien matériel. Il venait immédiatement en aide aux personnes en difficulté, sans aucune contrepartie. Sa vie solitaire et le déménagement du 15e arrondissement de Paris vers un immeuble HLM de Villeneuve la Garenne firent que Pogo perdit définitivement l'intérêt pour la vie "normale". Il s'est laissé aller, vivant au milieu des cartons jamais ouverts et des meubles entassés, ne se lavait jamais faute de place dans sa baignoire; au cours de son déménagement, il a ramené de son ancien appartement du 15e tout ce qu'il y avait, bien que la surface soit plus petite à Villeneuve.
Lorsqu'il en parlait, il se plaignait des pieds. Son quotidien de prières et visites lui a valu dénomination de "pilier de la paroisse" de l'Action Chrétienne des Etudiants Russes, Eglise de la Présentation de la Sainte Vierge située dans le 15e arrondissement. Cependant, lors des périodes des congés d'été ou pendant les jours ordinaires sans offices, il voyagait et assistait aux offices orthodoxes ailleurs. Il était la mémoire vivante de toute une génération de l'émigration russe, il connaissait toutes les tombes du cimetière de
Sainte-Geneviève-des-Bois, où de nombreux russes sont enterrés.
Les deux dernières années, on aménagea pour lui une chambre dans l'enceinte de la paroisse. Il continuait à ne pas trop aimer se laver, avait mauvaise mine et s'évanouissait régulièrement, surtout pendant les longs offices de la Semaine Sainte ou de l'Avent de la Nativité. Chaque fois, il passait quelques heures à la clinique la plus proche, Saint Michel, puis on le relâchait avec une insistante recommandation de manger le matin du sucre, "même avant la communion!" Il n'osait pas et souriait dans sa moustache blanche à jeun.
La dernière chute lui fut préjudiciable. Il gisait dans une position impossible pendant trois jours, jusqu'à ce que quelqu'un de la paroisse entende ses faibles gémissements et aille ouvrir sa maisonnette. On a trouvé Pogo dans une mauvaise position, couché sans mouvement depuis trois jours, et on a alerté les pompiers. La cassure du col de fémur nécessita plusieurs mois à l'hôpital d'Argenteuil et de la rééducation.
Par la suite, Alex Pogo fut placé, grâce à la paroisse, à la maison de retraite à Cormeilles en Parisis, dans des conditions moyennes, mais malgré tout le mal qu'il avait à ce déplacer avec un déambulateur, son seul voyage était celui d'aller jusqu'aux toilettes situés dans le couloir à 40 pas de sa "cellule" de la Maison Blanche de Zemgor. Il se déplaçait aussi pour aller à la salle à manger, les deux premières années. Par la suite il a laissé pousser sa barbe, que l'on a coupé un jour sans lui demander son avis. Cela l'a choqué, ainsi que quelques autres traitements courants réservés aux personnes âgée par les aides
soignantes de remplacement manquant d'expérience. Ensuite il a laissé repousser sa barbe très longue, puis les forces l'ont quitté au fur et à mesure, et le jeudi 17 mars 2005 il est mort dans son lit de la maison de retraite.
Nous avons "liquidé" son appartement pendant sa période de pleine consience. Il ne voulait rien savoir des choses, mais le fait de ma découverte de toute ou presque toute sa collection picturale a beaucoup marqué son esprit, positivement. Il était très réservé et introverti. Néanmoins il m'a signé un pouvoir sur toute sa collection, que j'ai montré dans quelques endroits sans trop de succès - on disait que c'était un "peintre du dimanche".
Maintenant, après sa mort, j'ai décidé de mettre la collection sur l' pour voir la réaction du public. Ce sera toujours plus fidèle à sa mémoire que ses oeuvres soient vu plutôt qu'elles restent enfermée dans mon placard.
Une page de l'histoire de l'émigration russe du XXe siècle s'est tournée avec la disparition d'Alexandre POGORETZKY.
K.T.