Mariangeles Guil Profile Picture

Mariangeles Guil

Back to list Added Feb 24, 2014

"La matérialisation de la lumière et de l’ombre" critique de Diego GULIZIA

La découverte de Newton sur les couleurs n’a pas seulement contribué de manière notoire à la science, elle a ouvert de nouveaux horizons pour l’humanité et a étoffé les possibilités d’expression des artistes qui ont finalement pris conscience et appris à connaître leurs propres instruments de travail. La contribution ultérieure de Goethe, qui a introduit la variable humaine dans la perception des couleurs, a étendu cette portée et a influencé des courants artistiques qui ont laissé un témoignage solide de cette contribution. Mais, un texte, qui n’avait pas à l’origine la présomption d’avoir une portée historique et se voulait simplement une réflexion sur les instruments de son travail, est certainement celui de la loi du contraste simultané des couleurs de Chevreul : elle a ouvert un nouveau chapitre inédit de l’histoire de l’art qui a donné naissance à l’impressionnisme et au post-impressionnisme, creuset du XIXème siècle de l’avant-garde historique du XXème siècle.

L’étude sur les couleurs s’est progressivement imposée en tant que valeur artistique et scientifique à travers les œuvres de Mondrian, celles de Klee, Kandinsky et Itten, pour ne citer que les plus importants.

La couleur a toujours été un élément fondamental de la peinture, tout comme elle l’a été dans la sculpture antique. Mais elle n’était considérée que comme un attribut visuel des objets, un aspect de la matière. Avant qu’elle ne devienne un objet d’étude absolu, ayant ses propres lois et théories, des années se sont écoulées et, avant qu’elle ne soit utilisée pour cette même valeur absolue, nous avons dû attendre l’avant-garde historique du XXème siècle et les contributions des artistes susmentionnés.

Il est incontestable que la couleur n’existe pas, ce n’est pas une qualité de la matière ni l’une de ses caractéristiques, elle n’est que la perception visuelle générée par les signaux nerveux que les photorécepteurs de la rétine envoient au cerveau lorsqu’ils absorbent les radiations électromagnétiques d’une certaine longueur d’onde et intensité dans le spectre visible, ou lumière.

Elle n’existe pas en tant que caractéristique des objets, ce n’est pas une forme, ni un poids, c’est une sensation visuelle liée à la lumière et aux caractéristiques des surfaces des objets qui reflètent la lumière, cette dernière venant frapper notre rétine.
La couleur est la lumière matérialisée. Elle nous apparaît dans toute son iridescence et dans les variations de nuances de ses mélanges. Sans lumière, il reste l’obscurité et, donc, l’absence de couleur. Entre la lumière et l’obscurité absolue, il y a l’ombre, cette dimension du réel où la lumière se décline et se conjugue à tous les tons. Mais la lumière et l’ombre ne sont pas seulement des phénomènes du visible, ce sont des dimensions existentielles, des caractéristiques de l’être et des aspects de son existence.

Mes œuvres sont la lumière, moi je suis l’ombre, affirme Guil. C’est justement du rapport entre la lumière et l’ombre que naissent ses œuvres. Les sculptures de Guil sont des éventails sans feuilles, des éventails brisés (les « de baraja » espagnols) ou des feuilles palmées, des lames ouvertes en éventail, elles forment des nageoires toutes fixées au sommet du squelette, et incarnent l’iridescence chromatique.

Elles entretiennent un double rapport à la lumière : d’une part, elles en absorbent les couleurs, en les matérialisant dans les brins de l’éventail brisé (ou dans les nageoires des feuilles) et, d’autre part, elles arrêtent la lumière en l’empêchant d’atteindre le sol sur lequel, en revanche, l’ombre prend forme.

La lumière se diffracte dans les brins de l’éventail brisé, une fréquence lumineuse saturée se décompose en une séquence de variations de tons très proches et se polarise, opposant parfois dans une même œuvre des modulations de tons froids et de tons chauds, divisés par des axes nets.

La matérialisation de la lumière empêche cette dernière d’avancer et de lécher les surfaces horizontales, sur lesquelles se dessinent les silhouettes de feuilles palmées, monochromes et mobiles, dont la forme varie au gré de la lente progression de la source lumineuse naturelle.

Alors que l’écran sur lequel on projette l’ombre est solide comme un sol carrelé ou pavé, l’ombre revêt l’aspect changeant de la matière et la surface de l’eau des fontaines reflète la forme de l’opacité des nageoires, les ombres vibrent et se rident en suivant le parcours des vagues qui s’élargissent ou sombrent dans l’eau, brisées par la réfraction. Dans un cas comme dans l’autre, la mutabilité des ombres projetées et changeantes s’oppose à l’immobilisme et à la rigidité des formes radiocentriques des boîtes soudées au squelette.

Les couleurs des éventails brisés métalliques de Guil, comme les fils textiles de Chevreul et les points colorés des œuvres néo-impressionnistes de Seurat ou de Signac, se contrarient simultanément à la lumière dans leur choralité de tons ou s’atténuent et s’amalgament dans les anfractuosités des ombres, générant des tons à peine perceptibles.

L’œuvre de Guil vit à la fois de son existence et de son inexistence, de son essence phénoménale et de son être noumène, de l’être lumière et, en même temps, de l’absence de lumière, dans une sorte de « coincidentia oppositorum ».

Artmajeur

Receive our newsletter for art lovers and collectors