Jean Jac Postollec De Cadic

SANG D'ATELIER - 29 mars 2008

Peindre, dans le chaos et dans la nuit. Tout un pan de hangar ouvert, le vent s'engouffre et ravage, à intervalles irréguliers et fracassants. Je suis penché et me maintiens accroupi au-dessus de la toile. Je lutte, je résiste à l'assaut. Armé d'une brosse, je sculpte ce néant et m'abats sur la toile. Je peins comme je fends la souche. Les phares du fourgon éclairent et balaient la scène. Bonnet engonçé sur la tête, ceinturé dans ma parka, je peins, je dépèce, je hâche. Mieux qu'une toile, un quartier de viande serait là mon affaire. Sous la gifle de la bourrasque, ma sauvagerie grandit, rugit, décuple. Mais mes yeux restent fixes, impavides. Cette brosse que je brandis, c'est un coup de hâchoir que j'assène, un bloc de viande que je dépèce - un meurtre que je commets. Cette peinture macule mes mains, mes joues, mes lèvres. Elle a le goût chaud et doux d'un sang d'abattoir. En un ultime sursaut je me redresse et crie, je hurle dans le vent. Mais les phares ont tout vu, tout enflammé. Je m'effraie de ce que je pourrai laisser paraître, du secret que je pourrai laisser percer : je protège d'une main mes yeux et referme la bouche. Elle est gavée de peinture et de bave. Je jette le cadavre de la toile au fond du hangar et me mets au volant du fourgon qui a filmé la scène. Je roule et m'enfuis, hébété, à travers champs et dans la nuit.

A l'atelier, ce 29 mars 2008.