L'enlèvement des Sabines (2016) Schilderij door Nicolas Maureau

L’enlèvement des Sabines est un épisode légendaire des débuts de Rome, raconté notamment par Tite-Live et Plutarque. Selon le récit, Romulus, fondateur de la ville, cherche à assurer l’avenir de Rome en trouvant des femmes pour ses compagnons, majoritairement des hommes célibataires. Les cités voisines refusant de conclure des alliances matrimoniales, Romulus organise une fête religieuse et y convie les peuples voisins, dont les Sabins.
Lors de la célébration, sur un signal donné, les Romains enlèvent les jeunes femmes sabines pour en faire leurs épouses. Cet acte déclenche une guerre entre Rome et les Sabins. Mais l’affrontement est interrompu par les Sabines elles-mêmes : devenues épouses et mères, elles s’interposent entre leurs pères et leurs maris, suppliant qu’on mette fin aux violences. Leur geste de médiation permet la réconciliation entre les deux peuples, qui finissent par s’unir en une seule nation.
L’épisode mêle violence fondatrice, mythe des origines et union par la force. Il est souvent interprété comme une allégorie des alliances politiques, de la création de la cité romaine par l’intégration de l’Autre, mais aussi comme un récit problématique sur le consentement et le rôle assigné aux femmes dans les récits fondateurs.

L’œuvre présente un duo de jeunes adultes isolés sur un fond noir. Un homme torse nu, vêtu d’un short bleu, porte une femme qui se débat : sa bouche est ouverte dans un cri ou un appel, sa jambe fléchie suggère un mouvement d’échappée. Elle est en robe courte bleue, dans une posture forcée. La tension dans ses muscles et son visage contraste avec la fermeté impassible de l’homme, qui regarde ailleurs, le visage figé dans une expression satisfaite.

Le contraste entre l’énergie centrifuge de la femme et la verticalité rigide du porteur crée une dynamique instable, troublante. L’homme n’a pas l’air violent, mais il n’a pas non plus l’air de s’interroger sur ce qu’il fait. Ce flottement entre intention et aveuglement participe à la force dérangeante de l’image.

L’œuvre est une réinterprétation contemporaine du célèbre épisode romain. Ici, la scène historique est transposée dans un cadre contemporain (maillot, robe, fond noir) et débarrassée de tout contexte mythologique ou antique. Le récit fondateur devient une scène de tension physique, presque banale dans son réalisme. L’iconographie emprunte au répertoire pictural classique (David, Poussin, Giambologna), mais subvertit le pathos héroïque de ces modèles pour une lecture plus crue, plus immédiate.

Le titre de la série, Scène de genre, joue ici un rôle décisif. En inscrivant une scène d’enlèvement dans cette tradition, Le peintre opères un glissement critique. L’enlèvement n’est plus un événement héroïque : il devient un acte de domination genré, et son traitement réaliste force le spectateur à reconsidérer son regard.

La série interroge ainsi les représentations historiques de la masculinité, du corps féminin et de la violence institutionnalisée. En rapprochant ces thèmes du présent, l’œuvre dévoile la permanence de certains rapports de force. ce n’est pas une scène historique, mais un simulacre contemporain de mythe, qui se regarde avec suspicion.

L’Enlèvement des Sabines ne dénonce pas frontalement, mais il met en crise la survivance des récits patriarcaux dans nos imaginaires. Elle laisse le spectateur dans un inconfort productif.

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