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Mictorn

Retour à la liste Ajouté le 23 avr. 2005

Mic’Torn en toute boyauterie par Claude Louis-Combet

Mic’Torn travaille dans le charnu, dans le lippu, dans le fessu. Il s’empare du corps par les bourrelets, les mamelons, les appendices, sexuels, surtout, et autres boursouflures boudinées et congestionnées. Il met en relief les plis, les replis, les lèvres supérieures et inférieures, il dispose les massifs avec un souverain dédain pour l’anatomie classique.Son goût _la nécessité de son goût_ le porte vers l’archaïque, vers la combinaison de formes antérieures à l’histoire et à la science, vers des associations, des osmoses et des proliférations totalement en marge des données de la biologie. Chez lui, le biologique est omniprésent, mais selon les inspirations de la rêverie et les errances de l’imagination fantasmatique. Il hypertrophie les volumes, il conjoint les organes qui jamais n’en demandèrent autant, il exalte les viscères, il invente des fonctions vitales avec une justesse d’instinct proprement démiurgique. Il nous tient, nous autres, les regardants, à des contemplations aussi obscènes que mirifiques en un temps antérieur aux commencements décisifs de la création du monde. La chair est énorme et les livres n’en ont pas encore parlé. L’artiste, ici, primo-poète, ignore toute vergogne : il délire, le burin à la main, selon une logique qui n’est ni celle du cœur ni celle de la raison, mais celle des tripes physiques et métaphysiques.

Le lieu de l’éros primitif, tel que Mic’Torn l’invente à mesure qu’il s’y engage, est d’un espace
intra-utérin dans lequel on ne saurait progresser qu’en régressant. C’est le royaume des Gémeaux, de l’androgyne désunis où homme et femme se cherchent, s’affrontent, avides de copulations impraticables, s’empêtrent dans des liens, entraves et ligatures se transvébèrent à grands coups de fibules foratrices et perforatrices qui les fixent dans leurs gesticulations, épinglant leur libido dans son nid de boyaux. Comme dans les films muets de l’expressionnisme allemand, on saisit en soi-même, en sa propre intimité de silence et de souffrance, les cris, les invectives, les hurlements qui ponctuent ou englobent le face-à-face du masculin et du féminin. Mais ici, les protagonistes sont projetés l’un en l’autre, dans l’espace immobile de la gravure, avant toute individuation. Ce ne sont pas les personnages d’un drame, mais des figures sans identité, comme pourraient l’être des hiéroglyphes de l’inhumaine condition humaine lorsque le désir est chauffé à blanc et que le corps, en tous ses états, en toutes ses composantes viciées et dissociées, érupte dans la nuit de l’encre et de l’acide. Les organes sont hostiles. La bouche et le sexe forment un seul canal de dilection et d’extase. Comme sur le même chemin, héraclitéen, des origines et de la fin, ils n’existent que l’un pour l’autre et l’un par l’autre, fût-ce au prix d’aberrations existentielles : femme phallique, homme de fente et de vagin.


Hiéroglyphe se dit en référence au sacré, comme d’un langage ésotérique conçu pour exprimer une communication transcendante. Ce n’est pas ce qui se dévoile, ici. Mic’Torn s’en tient plutôt au règne de l’immanence: des convulsions et circonvolutions de la tripaille, l’esprit jaillit, principe d’unification, sous le signe du désir insatiable et de toutes les contradictions de l’amour. Au point où l’on se trouve de l’œuvre, encore mince mais extrêmement prometteuse, de l’artiste, il n’y a pas lieu de parler de mystique. La fibre intérieure de Mic’Torn jouit de l’épaisseur de ses visions : elle n’affiche rien qui ne serait d’abord donné dans la nostalgie des sens, dans leur formidable capacité de rêver, encore et toujours, à ce que fut l’unité primordiale, à tout jamais détruite. Et que l’on puisse percevoir, dans cette constante de l’œuvre en genèse, l’indice d’une sensibilité métaphysique, il faut le dire sans hésiter. Car il y va, dans cette aventure du trait, des fondements conflictuels de l’être, de sa déchirure originelle et de sa perdition vertigineuse antérieure à l’histoire. Mais dans ce fond d’épouvante et de contradiction, la forme surgit, se déploie et s’impose. Si elle n’est pas le signe du salut, elle apporte toutefois, dans la singularité de sa beauté, l’instant de paix inhérent à la reconnaissance d’une vérité sans équivoque, si cruelle soit-elle. À l’horizon de cette démarche comme en son principe, le travail de Mic’Torn s’impose, de toute nécessité, comme une voie en direction de l’existence, en direction de son sens et de son non-sens.

Claude Louis-Combet Avril 2009

Artmajeur

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