Michèle Caranove
7 oeuvres par Michèle Caranove (Sélection)
Télécharger en PDFLa tentation des buissons • 7 oeuvres
Dans le train, j’aperçois par la fenêtre, un champ de céréales. Le vent souffle encore un peu et la future moisson ondule comme le voile d’une mariée. Sa surface est couverte d’une houle régulière et confuse. Les petites vagues s’échouent en lisière comme sur les rives d’un fleuve après le passage d’un bateau.
Le soleil les caresse, comme pour les calmer.
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Depuis quelques temps, j’ai en tête un travail de petites fenêtres d’observation, d’indiscrétions de l’oeil qui formeraient des « clairs obscurs ». Je testerai ainsi mes capacités à faire des dégradés composés de feuilles, lianes, et branches, avec pour seul fond, ce griffonnage de cercles, cet arrière plan gris fondateur de mon travail.
Il me vient tout de suite à l’esprit un titre de série: « la tentation des buissons ».
Tous les dessins auront à peu près la même composition: une trouée dans un sombre buisson dévoile une scène pour l’oeil coquin du spectateur.
Le terme « tentation » révèle deux envies différentes:
- celle de pousser la technique, repousser mes possibilités toujours plus, donner au travail à la plume non plus juste un aspect graphique, mais une richesse de matières. Sortir la plume du carcan du dessin.
- et celle, plus légère, de dessiner le désir. Après tout, nous étions au printemps. N’est-ce pas la saison où la vie reprend, où tout germe.
Je me mets au travail et commence à dessiner les contours du premier buisson puis le remplit pas à pas, de mon répétitif et familier motif.
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Mon travail est long et semble fastidieux. Beaucoup de visiteurs le disent.
C’est le mot « patience » qu’ils prononcent d’emblée, alors que je pense plutôt « abnégation ». Ici il est question d’oubli de soi, de « ce que je suis » au profit de « ce que je fais ».
Cet effacement est nécessaire pour faire naître ce que je cherche, l’émotion de la beauté en moi, puis chez le spectateur, s’il veut bien s’ attarder. C’est le chemin que je trace pour arriver à l’oeuvre, au sommet de la montagne afin d’apprécier la vue, celle qui me coupera le souffle, m’arrachera des larmes.
Accéder à la grâce, la beauté qui me fait plus légère, m’arrache à la pesanteur, comme un air parfumé qui me laverait de tout.
Sur mon chemin, je sais à peu près toujours où je vais. Parfois la plume me rappelle à l’ordre, me ramène à l’humilité. C’est à qui sera le plus fort, pas le dominateur, non, mais celui qui tient le coup, jusqu’au bout, quel qu’en soit le prix.
C’est une lutte amicale pour le beauté, la grâce. Ce n’est pas rien. Cela mérite quelques sacrifices, quelques heures de sa vie.
J’insiste alors jusqu’à ce que le résultat me comble, dussé-je y passer des heures ou le reste de ma vie. Mes oeuvres sont mon bonheur, mon Eden. Elles ont sur moi le même effet que l’amour. A la fin, j’aime. C’est un puissant moteur.
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Le premier dessin de cette série se nomme « Un frisson d’éclaircie ».
Le personnage brindille est une semence, le fruit du pissenlit qui lâche ses graines au vent de notre souffle. C’est la libellule, qui se pose, gracile sur le jonc, puis repart à la moindre brise.
L’ensemble est une trouée céleste, une fenêtre miraculeuse sur un personnage branchage, léger comme le bruissement d’un feuillage sous le vent. C’est la grâce d’une tendresse retrouvée. L’essence de l’homme.
Le crayon de couleur, légèrement apporté, accentué vers le noir, renforce sa lumière et sa douceur printanière.
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Le deuxième dessin à pour titre « Les amours brindilles ».
C’est le même champ de céréales, aperçu depuis le train, qui en est l’inspiration, mais plus en profondeur, plus en détail, en approche.
C’est une danse, un corps à corps. Chaque tige oscille sous l’effet du vent et effleure sa voisine. Il naît alors un ballet de caresses plus ou moins appuyées, à discrétion du vent. Le buisson ouvert dévoile leur danse d’amour involontaire. Leurs frottements répétés bruissent comme ma main caressant le papier lors de l’ébauche.
Ces brins d’herbe n’ont l’air de rien mais ils sont tout. Ils sont singuliers et multiples, ils sont couleur et aussi nourriture. Ils sont forêt pour le minuscule qu’ils protègent. Ils s’inclinent au vent et se couchent sous nos pas.
Mes brindilles sont des êtres vivants. Pour eux aussi Eden c’est l’amour qui nait, la chaleur du soleil qui revient, la tendresse du premier baiser.
M. Caranove