Ajouté le 2 juil. 2017
Je contemple le modèle qui pose. J’imagine que je touche sa peau. Je suis alors capable de me représenter mentalement un monochrome. L’agitation qui surgit de cette vision crée cette secousse provoquée par le touché physique de la peau j’élabore cette teinte unique. Est-ce que l’observateur va comprendre à quel point cette couleur chair a son odeur particulière qui le rend hagard, et qui me fait réagir. Si cette opération a réussi, ce regardant réceptif doit éprouver une décharge émotionnelle identique. Si je parviens à m’approcher du réel, le voyeur mentalise le nu.
Je prends un espace de la peau du modèle vivant, le monochrome apparait et je le transpose sur la toile. Je suis attentif et je découvre un spectateur qui ignore ce médium unique, cette couleur chair, mais, il désire la femme nue qui pose. Il a envie de ma muse, il la veut et il se l’approprie.
En entrant dans mon fantasme de façon nuisible, il s’en saisit, et à ce moment-là, il élimine mon rêve. Au départ, je lui suggère de contempler mon œuvre, sans plus. En volant mon illusion, il lui enlève la vie. Donc, à mon tour je tue la personne qui regarde mon tableau. Je l’ai alors supprimé et je suis enfin disponible pour accueillir une autre composition qui connaitra un destin identique.
La conception artistique, par la répétition du même avec le même, comme un retour sans fin me chavire. Elle m’incite tel Sisyphe à pousser éternellement mon rocher (brosser un tableau à l’infini) ou à remplir mon tonneau sans fond comme les danaïdes (je cherche l’unité à ma construction sans jamais y parvenir). C’est ma raison d’être, ma vie, mon ivresse.
Ce qui revient a dire que lorsque je représente un monochrome, se développe en arrière fond toute une histoire contrastée qui rassemble des objets : le châssis, la peinture, les matériaux.., le modèle vivant (chez moi, toujours une femme), le sacrifié ; celui qui regarde ma toile qu’il faut que j’assassine : il peut atteindre et pénétrer mon fantasme. À cet instant, le spectateur qui a compris le sens de mon œuvre, signe son arrêt de mort. C’est un élu ! Parce qu’il est à la hauteur de mon abstraction, et qu’il s’en empare, il se rend condamnable. Son châtiment suprême est digne de son intelligence.