Il est interdit de s'asseoir dans l'escalier (2025) Εκτυπώσεις & Χαρακτικά από Lionel Morateur

Estampe numérique sur toile, livrée chassis démonté.

Une lecture polyphonique du monde urbain contemporain, infusée d’un mélange saisissant d’esthétique punk, de décadence romantique et de réalisme brut. La première impression produite par cette image est celle d’un choc, d’une collision entre la norme et la transgression, cristallisée ici dans la simple interdiction : « il est interdit de s’asseoir dans l’escalier ». Or, toute l’image repose sur l’acte de désobéissance à cette injonction.

Le centre visuel de la composition est occupé par une jeune femme à la chevelure blonde, installée avec un abandon presque théâtral sur les marches d’un escalier délabré. Sa posture évoque à la fois la lassitude, la résistance passive et la vulnérabilité. Elle porte une robe aux allures victoriennes, évoquant une époque révolue, mais ses bottes signent une appartenance à une modernité alternative, celle d’un monde post-apocalyptique ou d’une jeunesse en rupture. La lumière, crue, accentue la pâleur mystique de son visage, créant un contraste puissant entre sa figure presque rayonnante et le décor environnant, sale, abîmé, recouvert de graffitis et de détritus. On pense inévitablement à des madones urbaines, à la fois icônes de pureté et sentinelles de la marge.

Autour d’elle, une bande de quatre jeunes gens, arborant chacun les attributs du mouvement punk — cheveux hérissés, vêtements noirs, chaînes, piercings, maquillage outrancier — constitue une sorte de garde rapprochée, ou bien de tribunal informel. Leurs regards convergent sur la jeune femme, oscillant entre la protection, la curiosité et le défi. L’hétérogénéité de leurs postures et de leurs expressions suggère une dynamique de groupe à la fois soudée et conflictuelle, comme s’il s’agissait ici d’une famille choisie ou d’une petite société en dérive.

Le traitement pictural mérite également une attention particulière. Les couleurs sont saturées, parfois agressives, et la matière picturale semble épaisse, construite par touches nerveuses, presque expressionnistes. Cette technique, loin d’être purement décorative, donne à la scène un caractère vivant, instable, comme si chaque élément menaçait à tout moment de s’effondrer ou de se dissoudre dans le chaos urbain. La lumière qui filtre de la fenêtre, à l’arrière-plan, rappelle les clair-obscur de la peinture baroque, mais elle éclaire ici un espace de décrépitude, de marginalité, transformant le sordide en sublime.

L’inscription implicite de l’œuvre dans un contexte sociétal ne saurait être ignorée. Il s’agit manifestement d’un commentaire sur l’exclusion, sur la marginalité des jeunes, sur leur manière de réinvestir l’espace public, malgré les interdits, les normes et les regards réprobateurs. L’escalier, métaphore ascendante ou descendante selon l’interprétation, devient un lieu de résistance silencieuse, un territoire provisoire où se rejoue la lutte pour l’existence et la reconnaissance.

La force de cette image réside donc dans son ambiguïté : elle oscille constamment entre le réalisme documentaire et l’onirisme, entre la représentation brute de la jeunesse urbaine et la construction d’une mythologie contemporaine du refus. Si le titre — ou l’injonction initiale — revendique une norme, l’œuvre s’emploie à en révéler l’inefficacité et la poésie de sa transgression.

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