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Karine Cathala (KA)

Retour à la liste Ajouté le 19 août 2019

LOIN DU MONDE, DEDANS : KARINE CATHALA par Jean-Paul Gavard-Perret

Il faut prendre les œuvres de Karine Cathala comme l’appel de la tribu des solitaires dont la féminité fait vibrer la terre d’une densité étrange et par les vagues qui la soulèvent. Voici l’existence à travers ce qui tient d’une douceur quasi spirituelle même si le corps est là dans ses rondeurs esquissées. Voici sa lumière rose et bleu layette mais sans aucune régression sous la feinte de simplicité. Aux constructions mentales l’artiste préfère une sorte d’essentialité émotive qui exclut cependant le lyrisme exacerbé. A la limite du symbolisme minimalisme et par séries Karine Cathala répond aux effractions de la violence par des silhouettes ou des formes qui hantent. Une femme enceinte et debout on ne voit que son ventre, une autre est assise dans une attitude de recueillement. Elles n’ont pas de familles, elles descendent de ces dieux perdus dans les nuages. Juste ce qu’il faut de flots de courbes pour les étreindre. Parfois on oublie le haut comme pour court-circuiter la puissance purement mentale et revenir à l’essentiel. Les corps fleurissent de leurs puits.

Chaque œuvre défait des plis, remonte les orées, pointille la commensurable alerte pour que se bredouille une union dont on ne sera rien. Seule la femme est à l’image. Ce qui retient vient de son corps ou de celui d’une fleur dont elle est le centre. Autour louvoie une forme de volupté avec la caresse du regard sur la peau ou sur une robe. Traces, pans comme l'extrême du soupir en une sorte de mélancolie particulière. Celle ou celui qui regarde peut comprendre ce qu’il en est de l’offrande. Il navigue entre un deuil et un désir. Combien d'années pour passer de l’un à l’autre ? C’est ce que Karine Cathala « mesure » dans des toiles où de manière indirecte le temps imprime un verdict.

Les tableaux deviennent le corrigé du temps plus ou moins revenant. Volumes, silhouettes, lignes et courbes de « rappel ». Leur morphine pâle apaise la douleur. La joie n'est pas la joie parce que la douleur n’est pas que la douleur. Aspiration intime, dépouillement absolu : voici comment opère (c’est-à-dire ouvre) la peinture. Rien de ce que nous rencontrons en elle est laissé au-dehors de l’attention de nos sens. Nous sommes aussi loin du monde que dedans. Loin des constructions mentales, proche de la nudité de la sensation « viscérale ». Chaque femme présente le miroir dans lequel s’éprouvent - plus que quelque vision de quelqu’un - la pure contemplation et l’émotion. L’œuvre devient le moyen inconscient de réparer le temps qui s'écoule, de le "suspendre", de le reprendre en faisant abstraction des séparations et pour une renaissance. Il y a donc ainsi mais de manière très originale quelque chose de religieux, quelque chose de la tradition de la Vierge et l’Enfant. Mais de cette histoire picturale ne retient que l’émoi qu’elle renvoie dans une sorte de percée primitive ou plutôt première, inaugurale.

Émerge un corps accord originel. Et au delà de toute séparation la recherche de l’union. Par effet de surface s’atteint le plus profond même si les femmes de l’artiste semblent parfois des égarés, des enfants de la lune. A travers elles, comme à travers ses poissons biblique et les remous que l’artiste fixent pour de telles apparitions, de telles gestations l’artiste inscrit le secret de la vie. Restent le flot, le tremblement de l’existence. Résonnent une combustion intime, une adhérence étroite. Et soudain les yeux sont plus grands que le ventre.

L’artiste ne se montre pas vraiment en sa peinture. Pourtant elle est là, dedans, cachée, elle brouille les pistes,transpose ses angoisses et ses plaies en matières et en lignes, en incantations silencieuses. D’où la lumière, l'évidence. Par la matière Karine Cathala suspend les instants d’inaccessible plénitude. Elle choisit en permanence, choisit et renonce à tout le reste. Sa peinture est faite de ça : chaque trait de pinceau, unique, choisi parmi tous les autres possibles. A la fois afin de pouvoir se débarrasser de la conscience d'être et être. Les lignes et les courbes tracent les liens qui manquent, attachent, retiennent. On parlait plus haut d’ouverture mais ce n’est pas celle de la déchirure. Celle plutôt qui cicatrise ou qui le tente au sein des seuls frémissements d'existence. Le corps féminin est donc un fragment du monde, l’artiste y a trouvé parfois son propre exil : elle veut y désormais trouver sa réalité, son identité. Son refuge et son jardin brillants parfaitement élaborés au milieu du désert par la sobriété et le jeu parfait du mouvement qui emportent jusqu’à parfois décaler le champ de ses toiles.


ARTS-UP Chroniques de JPGP, 2010
www.arts-up.info

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