Aggiunto il 18 gen 2008
Dans une société staracademisée, habituée au succès éclair et ou le "talent" va de pair avec la médiatisation, on a tendance à oublier tous ces artistes qui s’expriment autrement qu’en chantant. En effet, ceux qui communiquent différemment, qui peignent, sculptent ou réalisent des performances ne bénéficient pas de tant d’attention. Comment vit-on lorsqu’on est peintre ou sculpteur? Comment se fait-on connaître ? Aspirent-ils tous à la notoriété ? Qui aide ces jeunes artistes à percer ? Nous sommes allés à la rencontre de trois jeunes plasticiens qui nous ont ouvert les portes de leur monde intérieur…
L'entrée des artistes
Entrer chez Lilian Daddi, c’est comme pénétrer dans une véritable galerie ! Ce jeune peintre a transformé son appartement en atelier où il vit parmi ses tableaux. A 27 ans, après être passé un an par les Beaux Arts de Clermont-Ferrand et une école d’architecture, Lilian considère que le milieu artistique est un milieu comme les autres et ne jure que par le travail. « Ce n’est pas facile, certes, mais à force de pratique et de confiance en soi, on avance».
Après une école de mode, deux films et une pièce de théâtre, puis quelques années en tant que chroniqueuse pour un magazine arabe "Al Majala", Ninar Esber, 30 ans, a eu envie de s'exprimer autrement. Elle décide alors d’intégrer l'Ecole Nationale Supérieure d'Arts de Paris Cergy. « Là-bas, j’ai appris à réfléchir, à avoir un esprit critique. C’était plus un apprentissage intellectuel que technique». C’est alors que se produit un déclic et que Ninar décide de s’exprimer au travers de performances.
Frédéric Bonnet, 27 ans, sculpteur et peintre a toujours été animé par un besoin de création, « un désir puissant de communication, sans mots ». Il a lui, en revanche, choisi de faire son apprentissage artistique au contact d’autres artistes, et non par le biais d’une école d’art.
Un désir de communiquer
Trois artistes, trois personnalités originales et trois parcours avec de nombreux points communs dont un besoin intense de communiquer : « je veux partager avec les autres ma vision du monde, de la vie, de l'amour. C'est un engagement », explique Ninar. Engagement qu’elle met en pratique puisque ses performances sont par essence directement en contact avec le public. Frédéric, lui, considère que la sculpture « est un art violent qui s'impose aux autres, qui gêne même au niveau de l'espace physique». Déranger un peu les autres, c'est ce qu'il veut, les faire vibrer, « mon but, c'est de toucher l'humain ». Ninar va même plus loin : elle entretient un rapport physique avec son art, son corps étant son outil d’expression. « J'ai envie de mettre en scène le corps dans l'espace et pour cela, le cinéma m'est apparu comme le meilleur moyen. Dans mes courts-métrages, la performance est la clé de la structure, les scènes n’étant pas montées mais filmées en tant réel. C’est pour cela d’ailleurs que je ne me considère pas comme cinéaste.»
Autre point commun : ils sont tous les trois pluridisciplinaires. Pas de place pour sculpter? Aucun problème! Frédéric s'est mis à composer des musiques et à faire des courts-métrages d'animation en Super 8. Ninar quant à elle a touché à tout, et ce par envie : créatrice de bijoux, de vêtements, actrice, peintre, sculpteur… « C'est l'universalité de la création », constate Frédéric.
Les feux de la rampe
Pour percer dans ce milieu, outre le talent et la volonté, les rencontres s’avèrent décisives.
« C’est un effet de réseaux, confirme Julien Fronsac, commissaire d’exposition de Glassbox, un espace d’art contemporain parisien. On travaille en cercle, il n’y a pas trop de hasard. Il y a une part d’arbitraire, c’est sûr. Mais c’est aussi une question de rencontres, de coup de cœur, d’affinités intellectuelles. Mais il y a toujours un calcul : quand tu montres un jeune artiste, tu sais qu’il y a tout un réseau derrière. » S’ils ressentent tous un besoin de créer et de communiquer, tous ces artistes n’ont pas les mêmes aspirations. Et si être connu n'a rien à voir avec le talent, ils ne cherchent pas tous la notoriété. Le fait de rester dans l'ombre ne gêne pas vraiment Frédéric ou Lilian alors que Ninar a envie d'être dans la lumière. « Mon ambition est de devenir une artiste reconnue. Je veux aller jusqu’au bout, c’est un véritable engagement». Bien intégrée à un réseau artistique et bénéficiant du soutien de certains de ses professeurs qui croyaient en son travail, Ninar a déjà un parcours remarquable. Son court-métrage « A mon seul désir » a été présenté au MK2 Gambetta, elle s’est rendue en Corée dans le cadre d'un échange étudiant et a été invitée l’an dernier à Bangkok par l'Alliance Française de la ville pour faire une exposition de 15 jours où elle a présenté ses 4 courts-métrages et une performance.
Si Lilian n’est pas aussi bien intégré que Ninar, cela ne l’a pas empêché de faire ses premiers pas dans une galerie à Bastille et d’avoir aujourd’hui un projet d'exposition dans une autre galerie parisienne. Comment il a fait ? « Je suis allé voir le galeriste et il a aimé mon travail. Il m'a demande d'autres oeuvres et je dois retourner le voir bientôt. Pour exposer et percer, c’est sûr, il faut une rencontre décisive. C'est une question de chance et de moment, un peu comme pour les rencontres amoureuses ! ». D’ailleurs, Lilian a une vision différente du rapport avec le public : « aujourd'hui, tout est médiatisé. Il faut être reconnu par le maximum de gens alors que la peinture est un rapport intime avec les personnes ». Etre reconnu c'est important, certes, mais surtout par ses pairs. Il comprend et accepte bien d'ailleurs le fait qu'un peintre puisse rester dans l'ombre : « peindre, c'est un acte de guerre, c'est enfoncer quelque chose de gênant, ce n'est pas un divertissement ».
Frédéric, lui, est plus en retrait car il ne se considère pas encore assez mature artistiquement pour exposer. Pour trouver l'essence de son art, comme il l'explique, il lui faut encore beaucoup travailler et prendre son temps. « J'ai fait mes choix et j'attends d'être mûr. En art, il n'y a pas d'âge. Ca prendra certainement du temps, mais cela m’est égal . » D’ailleurs, il a choisi de quitter Paris et de s’installer dans le sud pour créer au calme. « C’est le paradoxe de l’artiste : c’est une activité très solitaire mais dans le but de communiquer ».
Vivre de son art
« Vivre de mon art? Mais c'est impossible! Comment tu veux vendre une performance? », s'exclame Ninar. Et si elle fait des petits boulots, c'est bien sûr pour vivre, mais surtout pour financer ses projets, « mais deux ans dans un bureau, ça m'a rendu hystérique! C'est définitivement pas moi… ». Aujourd'hui, ce sont les produits dérivés, comme le dit Frédéric, qui lui permet de gagner de l'argent: décoration, chantiers, décors de films, commandes… « Mais finalement, se demande ce dernier, est-ce une obligation de vendre son art? Parce que moi, je vis très bien! ». Lilian quant à lui ne supporte pas les personnes qui lui posent sans cesse cette question. « C'est la principale chose qui intrigue les gens! ». Il joue avec les mots, « bien sûr que je vis de mon art! C'est ce qui me fait vivre. D'ailleurs à 27 ans, on n'a pas besoin d'un si grand confort matériel. Et puis de toutes façon pour rien au monde je ne lâcherais cette aventure. Je continue mon chemin, je suis confiant. Je suis heureux d'avoir le privilège de peindre ».
Julien Fronsac confirme qu’un jeune artiste ne vit pas de son art. « C’est une véritable course par paliers ! Il faut du temps. Le tout c’est de ne jamais arrêter de créer, de produire. » Quant au prix des œuvres, « c’est comme au supermarché ! C’est en fonction de l’offre et de la demande. Certains artistes acceptent d’ailleurs de revoir leur prix à la baisse tandis que d’autres considèrent que leur travail a une certaine valeur. » Il admet d’ailleurs que le monde de l’art est assez paradoxal et difficile à cerner pour ceux qui ne sont pas dedans « c’est un monde sans règles mais où tous les mécanismes sont codifiés. »
Et les aides de l'Etat pour les artistes, ça existe? « Bien sûr que le Ministère de la Culture fait des choses, continue Lilian, mais c'est le parcours du combattant. Il faut avoir du courage… ». Et si ce n’est pas facile de percer, il ne faut pas oublier qu’il existe toujours des associations qui viennent en aide aux jeunes artistes. Le Centre d’Art de Marnay (Camac), par exemple, fruit d’une initiative originale d’Alexandra Keim, un sculpteur canadien. Diplômée des Beaux Arts, elle rencontre Liliane Domec qui lui fait découvrir Marnay, un petit village de 200 habitants où de nombreux artistes ont séjourné au début du siècle. Leur route croise celle de Franck Thénot qui accepte de financer leur projet. Né en 1999, ce centre d’art international et pluridisciplinaire accueille ainsi de jeunes artistes du monde entier pour leur venir en aide dans leur projet artistique et leur offrir un lieu d’exposition. Bénéficiant de subventions publiques et privées, Camac a pour vocation d’accueillir en résidence une trentaine d’artistes pour des séjours allant d’une semaine à trois mois. Centre payant (entre 850 et 1300 euros par mois en pension complète avec équipement technique à la disposition des pensionnaires et matériel pour la sculpture), il permet une véritable émulation entre des artistes de divers horizons. Mais sur 250 dossier reçus l’an dernier par Internet () , comment se fait la sélection ? « On marche beaucoup au coup de cœur, indique Jean-Yves Coffre, le directeur adjoint du centre. La qualité du projet artistique et les références comptent aussi beaucoup .» Et si le centre n’accueille qu’un ou deux français, de nombreux artistes sont invités toute l’année pour exposer. L’an dernier, le centre a ainsi accueilli 8000. « Camac est véritablement une porte ouverte à l’art », conclue Jean-Yves Coffre.
Et même si la route peut paraître longue et difficile, rien n'est impossible lorsqu'on le désire vivement. « Etre un artiste, c'est un combat », chantent-ils tous en chœur. Une bataille constante contre soi-même, une remise en question, une volonté inépuisable de comprendre le monde dans lequel on vit. D’ailleurs, ils sont tous positifs et on plus que jamais envie de créer. « Aujourd'hui, j'ai l'impression de n'avoir rien fait…Tant mieux, cela me pousse a faire encore de nouvelles choses », conclue Ninar. « J'ai vraiment le sentiment qu'il faut entrer dans le cliché de l'artiste qui galère pour être un artiste aux yeux des autres, remarque Lilian. Finalement, l'important c'est pas cela. D'ailleurs, au lieu de pleurer sur ce que je n'ai pas, je profite de ce que j'ai et je n'ai jamais été aussi heureux! ».
Rania Hoballah