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Mona Bessaa

Retour à la liste Ajouté le 13 févr. 2018

Oeuf et catholicisme au XVIIè (2/3)

Dans la France de l’Ancien Régime, la religion est inscrite dans la vie quotidienne. La culture est avant tout religieuse. Naissance, mariage, mort sont consacrés selon la liturgie chrétienne. Baptême, sacrement, extrême-onction, messe, confession, communion…, la foi reste unanimement pratiquée par tous les Français. L’église est le lieu où se réunissent les citoyens pour délibérer ou prendre des nouvelles du Royaume. Elle est encore le lieu où est donnée l’instruction. Elle contrôle l’alphabétisation sans aller cependant jusqu’à l’instaurer systématiquement. La croix est au clocher, dans toutes les maisons, au cou des paysannes, sur le pain qu’on entame… Toute récolte, toute nourriture, tous les actes de la vie sont bénis.

Et l’on s’aperçoit que plus on monte dans l’échelle sociale, moins on se confie aux saints protecteurs. Si le déisme des philosophes reste extrêmes minoritaire, les élites prennent leur distance vis-à-vis de la religion traditionnelle. La société bouge et les hommes changent. Ils croient de moins en moins en Dieu et de plus en plus dans le progrès. Le mouvement scientifique tentera d’ébranler l’édifice religieux en rejetant les solutions théologiques et l’autorité des traditions.

Menu de gras, menu de maigre

La religion chrétienne fortement présente au XVIIème siècle, inspira chez les artistes de nombreuses natures mortes. C’est ainsi que les thèmes du déjeuner gras et maigre, inventés par les Hollandais du siècle précédent seront fréquemment employés dans la peinture.

Le Menu de Gras de Chardin propose un morceau de viande, des rognons crus et du pain. S’y oppose le Menu de Maigre imposé par la religion les jours saints, composés de poisson, d’œufs et de légumes. Pour mieux comprendre le contenu de ce tableau, il faut se reporter à certains commandements de l’Église. Le 5è commandement oblige à jeuner à certains jours de l’année. Il est ainsi dit Quatre-temps, vigiles, jeuneras, et le carême également.

Ce commandement concerne le jeûne donc, comme le suivant concerne l’abstinence. Ce sont deux pratiques de pénitence qui consistent à se priver de nourriture ou d’un certain type de nourriture. En imposant ces commandements l’Église a voulu aider le fidèle à observer le précepte de pénitence imposé par Jésus, « Si vous ne faites pénitence, a dit le divin maître, Vous périrez tous » (Saint Luc, XIII, 5).

 

     

Chardin, Menu de gras et Menu de maigre , 1731, Huile / toile, 33 x 41. Paris, Louvre.

 

Jeûner consiste à ne faire qu’un repas principal par jour auquel il est permis d’ajouter un repas plus léger appelé collation. Jeûner c’est en effet se priver d’une certaine quantité de nourriture. Ce repas devrait être pris en maigre mais cette loi comporte des exceptions pendant le carême. Quand le repas peut être pris en gras il est permis d’y mélanger la viande et le poisson.

Le fidèle doit jeûner tous les jours du carême sauf le dimanche à certains vigiles (veilles des principales fêtes) et aux quatre-temps (ce sont 3 jours de pénitence, mercredi, vendredi, samedis, placés au commencement des 4 saisons de l’année). Le carême est le temps compris entre le mercredi des Cendres et la Fête de Pâques. Le mot carême, en latin quadragesima signifie « quarantaine ». En effet, le but du carême est de rappeler et d’imiter le jeûne auquel s’astreignit Jésus-Christ dans le désert pendant 40 jours.

 

Un repas de jeûne chez les moines siennois.

Giovani Antoni Bazzi, Saint Benoît donnant à manger aux moines. Fresque, abbaye de Monte Oliveto Maggiore, Sienne.

 

Le carême a encore pour but de préparer par la pénitence à la Fête de Pâques, la plus solennelle de toute l’année ecclésiastique. Le carême commence le mercredi des Cendres, 46è jour avant le dimanche de Pâques. S’il dure 46 jours au lieu de 40, c’est qu’il comprend 6 dimanches où l’obligation du jeûne et de l’abstinence est suspendue.

Le carême était très rigoureux aux premiers siècles de la chrétienté. Selon les arrêts du Concile de Tolède en 653, ceux qui mangeaient de la viande durant le carême en étaient privés impitoyablement tout le reste de l’année. Charlemagne n’hésitait pas à condamner à mort les réfractaires. Quant à Charles V, il leur faisait arracher les dents !

 

Carraci Annibal, Le mangeur de haricots, vers 1583, huilie sur toile, 57 x 68 cm. Rome, Galerie Colonna.

L'oignon, élèment imprtant de ce repas simple, servait de subsitut à la viande.

 

Le fameux livre manuscrit d'économie domestique et culinaire écrit au XIV siècle, Le Ménagier de Paris, est partagé entre menus avec char (viande) et sans char. Car on se rattrapait par une fantaisie débridée dans les plats de poisson. Les jours sans, ce ne sont qu’anguilles, perches, tanches, rougets, saumon et pour le pauvre, le fameux craspois (graisse de baleine encore appelé lard de carême). Beaucoup d’oiseaux de mer ou de rivière avaient acquis le statut de nourriture maigre dans la mesure où ils étaient considérés comme animaux à sang froid (seule cause qui différencie les aliments pour les jours gras ou les jours maigres).

Même si l’Eglise avait quelque peu assoupli avec le temps ses exigences concernant les interdits alimentaires, la pratique du jeûne était devenue si pesante dans les relations sociales au 17è siècle que bon nombre cherchaient à y échapper. Les recettes de cuisine élaborées par La Varenne, cuisinier du marquis d’Uxelles, se divisent en trois groupes : les mets pour les jours gras, les mets pour les jours maigres hors temps de carême et les mets pour les jours de carême. On sait par de nombreux témoignages que les cuisiniers habiles « déguisaient des poissons en viandes ».

Louis XIV se montrait très sourcilleux sur le principe du respect du menu de gras et du menu de maigre. Il ne manquait aucun jour de faire maigre à moins de vraie et très grave incommodité. Quelques jours avant le carême, il tenait un discours public à son lever par lequel il témoignait qu’il trouvait fort mauvais qu’on donnât à manger gras à personne sous quelque prétexte que ce fut. Il ne voulait pas que ceux qui mangeaient gras mangent ensemble. En vieillissant, Louis XIV ne faisait plus le carême, mais lorsqu’il faisait gras, son couvert était fort diminué et il s’abstenait alors de manger en public, par « scrupule ».

Le respect du carême diminua progressivement et les menus conservé par Louis XV montrent bien que les jours maigres, les repas étaient prévus aussi en gras et que chacun pouvait manger à sa convenance. En 1782, Mercier signale dans ses descriptions de Paris que « l’on tolère les œufs et le beurre, les boucheries sont ouvertes et chacun fait ce qu’il veut » (1).

 

Antoine Vollon, Motte de beurre (entre 1875 et 1885), Huile / toile, 50,2 × 61 cm. Washington, National Gallery of Art. (Nous ne sommes plus au 17è avec ce tableau, mais je l’aime tellement que je ne peux résister au plaisir de l’inclure dans cette page).

 

Parmi les protestants de ce siècle, tous ne respectaient pas les commandements du jeûne. Luther les avait critiqués en tant qu’œuvre de loi ; quant à lui-même, il veillait à ce que l’homme fût « justifié » par sa foi. Il considérait que l’on ne devait pas faire loi du jeûne. En revanche, Calvin se prononçait en faveur du jeûne étant donné qu’il servait d’entrainement à la maitrise de la chair et a la préparation de l’âme pour la prière et la méditation pieuse. La pratique du jeûne était aussi une expression d’auto-humiliation et de reconnaissance de ses péchés devant Dieu.

Selon Brillat-Savarin, gastronome illustre, auteur de La psychologie du goût paru en 1825, le jeûne existe depuis la plus haute antiquité. Il dût naitre tout naturellement à la suite de malheurs personnels ou publics. Les gens ne mangeaient pas lorsqu’ils étaient affligés. Puis, l’appétit revenu, ils se sustentaient en associant toujours l’idée du jeûne à celle de catastrophe, et pour la détourner, ils  se dépêchaient de jeûner encore avant qu’elle ne survienne. Ainsi Brillat-Savarin voit une origine religieuse, voire superstitieuse, au jeûne.

Le 6ème commandement de l’église oblige à s’abstenir d’aliments gras le vendredi et tous les jours de jeûne pour lesquels l’église n’a pas accordé de dispense. Il est ainsi formulé Vendredi chair ne mangeras, Ni jour défendus mêmement. Ce commandement ne concerne plus la quantité de nourriture que l’on peut prendre mais sa qualité. Il ordonne en effet de s’abstenir de viande en certains jours. L’abstinence est obligatoire tous les vendredis de l’année exceptés s’ils coïncident avec une fête d’obligation. Par conséquent, en France, les fidèles sont de droit dispensés de maigre les vendredis qui coïncident avec le fête de Noël, celle de l’Assomption ou celle de la Toussaint.

Hareng les jours d’abstinence

Le hareng a régné sur les tables médiévales, pauvres ou riches, austères ou gargantuesques. Les jours d’abstinence étaient fréquents, la pénitence rude, on pouvait consommer ni viande, ni œufs, ni lait. Le hareng est apparu au moment où, après le cataclysme des invasions barbares, le passage ravageur des Normands, on put respirer un peu et reprendre la pêche en mer sans trop de risque. De plus, le hareng est très prolifique au Moyen Age, de nombreuses famines furent réduites grâce à ce poisson. Les harengs devinrent plus tard une véritable monnaie. On réglait en harengs les barriques de vin, on héritait en harengs, on recevait des rentes en harengs, on apportait des dotes en harengs…

 

Flegel Georg, Nature morte de poisson avec cerf-volant, 1635, huile sur bois, 24 x 36 cm. Cologne, Wallraf-Richartz Museum.

Chez Flegel le motif du jeûne apparait nettement. Le hareng et les tiges de poireaux sur l'assiette soulignent le caractère "maigre" de ce plat. Le poisson placé entre le vin et le pain (les symboles eucharistiques) est assimilé au corps du Christ contre lequel se manifeste le Mal, sous la forme d'un cerf-volant.

 

Claesz Pieter, Nature morte de poisson, 1636, Huile sur bois, 36 x 49. Rotterdam, Museum Boymans-Van Beuningen.

Le plat de posson fait partie des nombreuses natures mortes de jeûne réalisées par les peintres hollandais.

 

L’œuf, symbole eucharistique

Tel le poisson, le pain, le vin, l’œuf est un symbole eucharistique. On le retrouve dans certaines scènes religieuses comme par exemple le tableau de Vélasquez intitulé Le Christ dans la maison de Marthe et Marie (cf. Luc 10, 38-42).

Selon l’évangile de saint Luc, Jésus s’est arrêté en Béthanie dans la maison de Marthe et Marie, sœurs de Lazare. Alors que Marie écoute la parole du Seigneur, Marthe s’agite aux soins du ménage et se plaint qu’on ne l’aide point. Le Christ lui répond que Marie a choisi la meilleure part. Affairement, zèle et labeur ne suffisent pas, la prière et la foi doivent aussi s’y ajouter.

Diègo Vélasquez, Le Christ chez Marthe et Marie, 1618 ?- 1620, Huile sur toile, 60 x 103,5 cm. Londres, National Gallery.

 

Dans ce tableau, la cuisine a été placée au premier plan : une jeune servante pile une gousse d’ail dans le mortier pour assaisonner les quatre poissons disposés par paires sur une assiette. A l’arrière-plan se déroule la scène religieuse. La scène prend également une signification religieuse par la présence de la nature morte. Le poisson sur un plan est traditionnellement le symbole du Christ (2), le mortier celui de la passion (ou encore emblème de la puissance).

On retrouve ces œufs et ce mortier dans un autre tableau de Vélasquez. Des éléments constituant une nature morte sont à nouveau présentés dans Vieille femme faisant cuire des œufs. Les objets sont disposés sur la table à droite : une coupelle au vernis blanc sur laquelle un couteau a été posé en travers, projetant son ombre ; un mortier de laiton avec son pilon, un oignon rouge, une cruche de terre ainsi qu’un pos à lait vernis blanc. La femme fait cuire des œufs dans un plat de terre cuite rempli d’eau chaude sur un fourneau. A gauche se tient un jeune garçon dont le regard sérieux s’évade du tableau. Il tient de la main gauche une carafe de vin sur laquelle brillent des reflets de lumière. De la main droite, il entoure un melon tâché de brun et ficelé en croix d’une mince cordelette. Appuyé contre le foyer, se dresse une marmite de cuivre. Ici, la présence de l’œuf semble moins symbolique. La simplicité du repas présenté est peut-être une allégorie de l’a^ge et du temps, s’appuyant sur le contraste entre la naissance (l’œuf) et le déclin (la femme).

 

Diègo Vélasquez, Femme âgée cuisinant des oeufs, 1620- 1622, Huile sur toile, 99 x 117 cm. Edimbourg, National Gallery of Scotland.

 

Toujours dans un cadre biblique, mais au Moyen Age, on retrouve l’œuf et la forme en coque dans les panneaux de Jérôme Bosch illustrant des thèmes tels que je jugement dernier, le paradis…

MERCIER, L-S, Le tableau de Paris. Paris : La découverte, 1979. Au

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