Interview | Laurent Chevrollier: j'ai un style qui m'est propre

Interview | Laurent Chevrollier: j'ai un style qui m'est propre

Olimpia Gaia Martinelli | 31 mai 2025 7 minutes de lecture 0 commentaires
 

"Mon parcours artistique est plutôt chaotique car voyez-vous je suis daltonien. J'ai toujours eu l'ambition de devenir artiste mais cette anomalie m'a posé problème. Sans doute qu'aujourd'hui tout parait possible mais quand j'étais plus jeune cela me semblait compliqué que mon travail puisse être reconnu sachant cela."...

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer des œuvres d'art et à devenir un artiste ? (événements, sentiments, expériences...)

D'aussi loin que je me souvienne, j'étais en maternelle quand cela m'a pris. C'était sans doute la première fois que je me retrouvais face à un grand écran et le dessin animé diffusé m'a littéralement envouté. A partir de cet instant, je crois que j'ai toujours voulu créer, dessiner, peindre... C'était un dessin animé quelconque, une simple comptine illustrée. De mémoire d'adulte, je crois qu'il s'agissait de "il était un petit navire". (rire) L'anecdote est plutôt ridicule mais elle est vraie.
A cette époque, ma maîtresse d'école me considérait comme un élève surdoué et je ne participais pas aux activités comme les autres élèves. Elle me demandait même parfois d'aller sur l'estrade avec elle pour faire classe. Je ne l'aimais pas beaucoup, elle me faisait peur. Les choses étaient différentes d'aujourd'hui et même si mes parents avaient signalé son comportement, l'école maternelle a protégé l'institutrice qui quelques années plus tard finissait en hôpital psychiatrique.
Le dessin était sûrement un moyen pour moi de me préserver, de me réfugier pendant que les autres élèves s'exerçaient aux activités auxquelles je n'avais pas le droit de participer.

Quel est votre parcours artistique, les techniques et les sujets que vous avez expérimentés à ce jour ?

Mon parcours artistique est plutôt chaotique car voyez-vous je suis daltonien. J'ai toujours eu l'ambition de devenir artiste mais cette anomalie m'a posé problème. Sans doute qu'aujourd'hui tout parait possible mais quand j'étais plus jeune cela me semblait compliqué que mon travail puisse être reconnu sachant cela.
Même si j'ai été accepté à deux reprises dans une école d'Arts plastiques et à chaque fois directement en deuxième année, il me semblait que le fait d'être daltonien m'empêcherait de réussir et que j'usurpais un peu ma place dans cette école. Je n'ai donc pas donné suite.
Malgré cette impasse, je me suis essayé à de nombreuses techniques et j'ai également suivi un baccalauréat littéraire spécialisé en Arts plastiques. J'ai donc des connaissances en histoire de l'Art que j'ai approfondi en faculté car je me rendais dans des cours sans y être inscrit. J'ai pratiqué : la gouache, l'acrylique, la peinture à l'huile, la sanguine, le fusain, les craies, les pastels... Je me suis essayé à de nombreuses techniques.
Ce que je préfère, ce sont les lignes claires et les envolées au pinceau. Je construis toujours mon oeuvre autour d'un sujet. Ils doivent être variés, parfois risqués alors je m'essaie à toutes les idées qui me passent par la tête.

Quels sont les 3 aspects qui vous différencient des autres artistes, rendant votre travail unique ?

Tout d'abord, j'ai un style qui m'est propre. C'est très important d'avoir son propre style graphique. C'est sa marque de fabrique, c'est ce qui fait qu'une oeuvre est liée à son auteur. D'un simple regard, l'un et l'autre s'accordent et se retrouvent. C'est l'évidence.
Ensuite, je travaille énormément mes sujets. J'essaye toujours d'être en adéquation avec notre époque. C'est important que l'Art diffuse notre expérience de la vie. Notre époque doit résonner à travers nos oeuvres, comme la vie du peintre résonne à travers elles.
Enfin, il y a dans mes compositions quelque chose qui passe souvent pour du surréalisme parce qu'elles racontent une histoire. Elles offrent toutes un récit pictural.


D'où vient votre inspiration ?

La vie.

Quelle est votre démarche artistique ? Quelles visions, sensations ou sentiments voulez-vous évoquer chez le spectateur ?

Ma démarche artistique est clairement davantage d'intéresser que de plaire. Je me préoccupe de l'esthétisme mais au-delà de l'aspect technique c'est secondaire. Le fait d'être daltonien m'oblige à raisonner autrement. Le spectateur ne voit pas le monde tel que je le vois sauf si je considère la couleur comme non essentielle. Evidemment je recherche une harmonie mais elle m'est propre. Ma démarche repose donc sur l'intellectualisation de la peinture.

Quel est le processus de création de vos œuvres ? Spontané ou avec un long processus préparatoire (technique, inspiration des classiques de l'art  ou autre)?

Mon processus de création est assez simple. En général, je développe l'idée et la configure visuellement dans ma tête. Il peut m'arriver de faire un petit croquis des grandes lignes mais c'est très rare. Parfois, j'ai besoin d'aller courir une petite dizaine de kilomètres pour approfondir mon sujet et l'univers développé. Une fois la composition établie, je prépare mon fond. Il n'est pas systématique que je place mon sujet sur ma toile. Je peux visualiser mon fond et y trouver quelque chose d'intéressant que je vais utiliser pour faire une première ébauche et dans certains cas tout recouvrir car ça ne répond pas à mes attentes. Je ne m'entête pas dans une direction si elle ne me convint pas. Je ne m'interdis pas de composer spontanément certains éléments, c'est même très fréquent. Chaque étape de la toile est marquée par des temps de réflexion et de contemplation essentiels à mon accomplissement artistique.


Utilisez-vous une technique de travail particulière ? si oui, pouvez-vous l'expliquer ?

Je n'utilise aucune technique de travail particulière si ce n'est ma mémoire. Je ne me sers que très rarement de modèle et en général je n'observe que les grandes lignes. Ma technique à moi c'est l'observation et surtout la mémoire des formes, des couleurs...

Y a-t-il des aspects novateurs dans votre travail ? Pouvez-vous nous dire lesquels ?

Mon style graphique avec ses lignes claires et ses fines couches superposées qui s'imbriquent pour un rendu unique et cohérent. Il n'y a qu'à regarder mon drapeau Français pour le reconnaitre.  

Avez-vous un format ou un support avec lequel vous êtes le plus à l'aise ? si oui, pourquoi ?

Je peins sur toile car c'est une évidence pour moi. Par le passé, je peignais sur papier cartonné, ça n'est pas pareil, c'est fragile. La toile se tient bien, on peut la déplacer facilement, pour observer son oeuvre dans un miroir et la voir avec un nouvel angle. C'est pratique et plus sûr. Le format m'importe peu mais j'avoue aimer les grands formats, il y a plus à raconter.

Où produisez-vous vos œuvres ? A la maison, dans un atelier partagé ou dans votre propre atelier? Et dans cet espace, comment organisez-vous votre travail de création?

Je travaille dans mon salon. J'ai dédié un bureau à ma peinture afin qu'elle soit toujours disponible. j'aimerais avoir un atelier, mais je n'en suis pas encore là, un jour prochain peut-être.

Votre travail vous amène-t-il à voyager afin de rencontrer de nouveaux collectionneurs, pour des salons ou des expositions ? Si oui, que cela vous apporte-t-il ?

Je n'ai malheureusement pas participé ou voyagé à l'occasion de salons ou de expositions dans lesquels j'aurais exposé récemment.


Comment imaginez-vous l'évolution de votre travail et de votre carrière d'artiste dans le futur ?

Je n'aime pas trop me projeter dans un idéal futuriste. J'imagine que mes oeuvres sauront trouver leur public et qu'elles me permettront de me lancer en tant que professionnel. Je suis conscient que j'ai encore beaucoup à accomplir et que je dois faire des efforts pour me sociabiliser à travers l'Art pour mon Art.

Quel est le thème, le style ou la technique de votre dernière production artistique ?

J'ai terminé deux toiles le même jour. (rires) Je vais parler de "La gorgone Méduse".  J'ai choisi ce thème car j'ai décidé de faire une série sur la mythologie. A travers ce premier tableau j'ai voulu rétablir la vérité sur Méduse.
Souvent représentée comme monstrueuse au cinéma et tout juste bonne à y perdre la tête, les écrits d'Ovide décrit une réalité mythologique bien différente : Méduse dont s'est épris Poséidon est violée par ce dernier et Athéna qu'elle vénère la punie par jalousie en la transformant en gorgone. Rien n'est plus injuste et j'ai voulu lui rendre justice.
Méduse sort donc de sa grotte et laisse derrière elle ses victimes pour retrouver les terres de son passé et se révéler au spectateur en larmes. J'ai souligné son pouvoir et les sévices qu'elle a subi par des ondulations dans le paysage. J'ai également glissé des formes nuageuses parmi les rocher afin d'accentuer l'aspect mythologique et jouer avec la réalité des lieux.
 

Pouvez-vous nous parler de votre expérience d'exposition la plus importante ?

Je n'ai malheureusement  aucune expérience personnelle relative à une exposition récente qui puisse apporter un quelconque intérêt.

Si vous aviez pu créer une œuvre célèbre dans l'histoire de l'art, laquelle choisiriez-vous ? Et pourquoi ?

"Antipolis ou la joie de vivre" de Picasso. Elle est d'une simplicité extrême. Elle est à la fois surprenante et sans réserve ; elle respire la joie de vivre, c'est étonnant. J'adore.

Si vous pouviez inviter un artiste célèbre (mort ou vif) à dîner, qui serait-ce ? Comment lui proposeriez-vous de passer la soirée ?

J'inviterai René Magritte et je lui proposerai de passer la soirée avec moi pour parler de son tableau "la trahison des images".
J'adore ce tableau, il est exceptionnel mais il n'a pas su atteindre toute la population, c'est regrettable. On apporte trop facilement du crédit aux "fakes" de nos jours.
Je lui demanderais de m'aider à trouver une autre idée pour lutter contre ces "fausses vérités".

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