Annabelle Amory: L'art m'a permis d'extérioriser cet anticonformisme

Annabelle Amory: L'art m'a permis d'extérioriser cet anticonformisme

Olimpia Gaia Martinelli | 20 nov. 2023 7 minutes de lecture 0 commentaires
 

"Depuis toute petite, je me sens en décalage par rapport à la société, à la norme et aux autres. Je n'ai pas les mêmes envies, les mêmes codes, ni les mêmes aspirations."...

Qu'est-ce qui vous a poussé à créer des œuvres d'art et à devenir un artiste ? (événements, sentiments, expériences...)
Depuis toute petite, je me sens en décalage par rapport à la société, à la norme et aux autres. Je n'ai pas les mêmes envies, les mêmes codes, ni les mêmes aspirations. L'art, à travers le dessin puis la peinture, m'a permis d'extérioriser cet anticonformisme et est rapidement devenu un moyen de m'exprimer.

Quel est votre parcours artistique, les techniques et les sujets que vous avez expérimentés à ce jour ?
Au début, je ne faisais que du dessin au crayon graphite et crayons de couleur. Plus tard, j'ai essayé la peinture acrylique avant de tester la technique du collage en 2013, qui ne m'a plus quittée depuis. Mon travail est entièrement constitué de portraits de femmes. C'est une constante dans ma production.

Quels sont les 3 aspects qui vous différencient des autres artistes, rendant votre travail unique ?
J'utilise dans mes toiles une technique mixte : le collage cotoie l'acrylique pour donner vie aux personnages. Pour créer le volume des corps, je ne prends que du noir et du blanc et me sers donc de toutes les nuances de gris possibles. J'aime aussi terminer la toile en repassant les contours par un trait noir, à la manière des manga ou des bande dessinées.

D'où vient votre inspiration ?
Je puise mon inspiration dans la vie quotidienne : la mienne ou celle des autres. Il me suffit des fois d'entendre ou de lire un mot, une phrase, de voir une scène pour avoir toute de suite la toile qui se forme dans ma tête. J'ai à la maison un carnet rempli d'idées de peintures qui attendent d'être réalisées!

Quelle est votre démarche artistique ? Quelles visions, sensations ou sentiments voulez-vous évoquer chez le spectateur ?
Mon travail se focalise sur la notion d'identité, de dualité et de conflit intérieur. A travers le portrait, je traite notamment de la place des femmes dans la société, mais, en retour, j'analyse également la société actuelle à travers elles. Cela passe par les injonctions qu'elles subissent mais aussi l’évolution personnelle dans notre société, où la norme est encore le seul modèle et où la différence est étouffée. J'aimerai ainsi que chaque spectateur puisse se sentir lui-même, libre de toute pression et tout conformisme, et qu'il trouve dans mes collages un modèle auquel s'identifier.

Quel est le processus de création de vos œuvres ? Spontané ou avec un long processus préparatoire (technique, inspiration des classiques de l'art ou autre)?
Réaliser une œuvre me demande un travail préparatoire minutieux. En premier lieu, je m'imagine l'entièreté de la peinture finale dans ma tête : modèle, cadrage, couleur du fond, taille de la toile, type de papier pour le collage. Rien n'est laissé au hasard. Ensuite, je réalise un croquis à taille réelle puis je découpe le corps de la femme dans le papier, que je colle sur le support. Enfin, je passe à la peinture acrylique, qui va terminer l'oeuvre.
Utilisez-vous une technique de travail particulière ? si oui, pouvez-vous l'expliquer ?
Je suis artiste-peintre collagiste. De ce fait, j'utilise différents types de papier dans mon oeuvre, que j'associe toujours avec de la peinture acrylique. Le nombre quasi illimité de matériel me permet de diversifier les messages dans mes toiles : timbres, tickets de métro, cartes à jouer, pages du Dictionnaire, cartes routières... sont autant de façon de faire parler les femmes présentes dans mes réalisations.

Y a-t-il des aspects novateurs dans votre travail ? Pouvez-vous nous dire lesquels ?
Je dirais que l'association collage/acrylique est assez original dans mon travail. D'ordinaire, les artistes utilisent l'un ou l'autre.

Avez-vous un format ou un support avec lequel vous êtes le plus à l'aise ? si oui, pourquoi ?
La toile sur châssis est évidemment mon support préféré et j'aime beaucoup les formats élancés comme le 40 x 80 cm, parfait pour les portraits mais aussi les formats spéciaux comme les toiles rondes ou ovales. Cependant, contrairement aux codes de l'art contemporain, je n'apprécie pas les grands formats. J'ai plus de plaisir à peindre sur un 20 x 20 cm qu'un 100 x 70 cm.

Où produisez-vous vos œuvres ? A la maison, dans un atelier partagé ou dans votre propre atelier? Et dans cet espace, comment organisez-vous votre travail de création?

A la maison, je me suis réservée une petite pièce pour peindre. J'y stocke aussi bien les toiles déjà réalisées que les châssis vierges en attente. Au milieu, il y a une grande table pour travailler (j'aime beaucoup peindre à plat) et le long d'un des murs, il y a évidemment une étagère pour tous les livres qui me servent aux collages!

Votre travail vous amène-t-il à voyager afin de rencontrer de nouveaux collectionneurs, pour des salons ou des expositions ? Si oui, que cela vous apporte-t-il ?
J'ai toujours préféré exposer au niveau local, dans des lieux publics alternatifs où le spectateur ne s'attend pas forcément à voir de l'art. J'adore par exemple poser mes toiles dans les médiathèques, puisque avoir mes oeuvres au milieu de livres donne tout son sens à mon travail. Etant très introvertie, à la limite de la phobie sociale, je rencontre très peu de collectionneurs. Si je peux éviter d'organiser un vernissage, je le fais. Je sais que cela va à l'encontre de tout ce qu'on attend d'un artiste mais je préfère laisser mon travail parler de lui-même, me mettre en retrait.

Comment imaginez-vous l'évolution de votre travail et de votre carrière d'artiste dans le futur ?
Etrangement, je n'ai pas de grandes ambitions de carrière. Ce que j'aimerai, c'est juste pouvoir continuer à peindre le plus longtemps possible et que cela me procure toujours autant de plaisir et de satisfaction.
Quel est le thème, le style ou la technique de votre dernière production artistique ?
Ma dernière toile s'intitule "Women". C'est une grande peinture de 100 x 65 cm qui reprend mon thème favori de la dualité en mettant en opposition deux portraits en miroir, à la manière des cartes de jeu. Cette œuvre célèbre les femmes (ainsi que tous ceux qui s'identifient comme telles) dans toute leur diversité. Les deux personnages représentés ici sont diamétralement opposés : l'un est plus traditionnel, avec son chignon, son serre-tête, et attaché à la religion, tandis que l'autre, plus moderne, arbore des cheveux courts rouges, un tatouage ainsi qu'un anneau au septum. Malgré tout, les deux portraits sont aussi légitimes l'un que l'autre! Cette peinture prône toutes les femmes mais surtout l'émancipation, l'acceptation de soi, mais aussi des autres, le détachement des normes et la différence.

Pouvez-vous nous parler de votre expérience d'exposition la plus importante ?
En 2018, quelques mois après m'être lancée comme artiste-peintre professionnelle, je participe à un salon international réservé aux jeunes de moins de 30 ans, à Mantes-La-Jolie, le salon "Arbustes". Je me suis retrouvée au milieu de dizaines d'autres jeunes et je ne me suis pas du tout sentie à la hauteur. Je trouvais que ma toile était l'une des pires présentées. Finalement, à l'issue du salon, j'ai remporté un prix et je suis repartie chez moi en pleurs : j'y ai vu en quelque sorte un signe comme quoi j'étais légitime.

Si vous aviez pu créer une œuvre célèbre dans l'histoire de l'art, laquelle choisiriez-vous ? Et pourquoi ?
Je suis très admirative du travail de Jean-Léon Gérôme et je pense que j'aurai été très fière de réaliser "Sculpturae vitam insufflat pictura" (1893). Je suis incapable de produire une oeuvre académique : mon style est plutôt dans le courant romantique, avec de grands gestes et des traits grossiers. Je n'aurai jamais la finesse d'un peintre néoclassique. "Sculpturae vitam insufflat pictura" est d'ailleurs une de mes oeuvres préférées, que j'ai pu voir en vrai lors d'une rétrospective de l'artiste sur Paris. Elle résonne en moi car j'ai suivi des études d'archéologie grecque et Gérôme a tout simplement donné vie à tout ce que j'ai pu étudier lors de ma thèse.

Si vous pouviez inviter un artiste célèbre (mort ou vif) à dîner, qui serait-ce ? Comment lui proposeriez-vous de passer la soirée ?
Si je pouvais, j'aimerai m'entretenir avec Vincent Van Gogh. Son travail, ses problèmes personnels et son destin tragique m'intriguent beaucoup. Et puis comme ça, je pourrais lui annoncer qu'aujourd'hui, il est mondialement connu et qu'on trouve même des reproductions de ses oeuvres sur des parapluies :)


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