Les différentes histoires de l'expressionnisme

Les différentes histoires de l'expressionnisme

Olimpia Gaia Martinelli | 3 août 2022 7 minutes de lecture 2 commentaires
 

«Il n'y a jamais eu d'époque plus ravagée par le désespoir, l'horreur, la mort. Jamais un silence plus sépulcral n'a régné sur le monde. Jamais l'homme n'a été aussi petit. Jamais l'homme n'a été aussi agité. Jamais la joie n'a été aussi absente, et la liberté aussi morte. Et voici que hurle le désespoir : l'homme crie son âme, un seul cri d'angoisse s'élève de notre temps. Même l'art crie dans l'obscurité, appelle au secours, invoque l'esprit : c'est l'expressionnisme».

Viktor Sheleg, Choice, 2021. Huile sur toile, 98 x 88 cm.

«Nous ne vivons plus, nous avons vécu. Nous n'avons plus de liberté, nous ne savons plus décider, l'homme est privé de son âme, la nature est privée de l'homme [...]. Il n'y a jamais eu d'époque plus brisée par le désespoir, par l'horreur, par la mort. Jamais un silence plus sépulcral n'a régné sur le monde. Jamais l'homme n'a été aussi petit. Jamais l'homme n'a été aussi agité. Jamais la joie n'a été aussi absente, et la liberté aussi morte. Et voici que hurle le désespoir : l'homme crie son âme, un seul cri d'angoisse s'élève de notre temps. Même l'art crie dans l'obscurité, appelle au secours, invoque l'esprit : c'est l'expressionnisme».

Les mots du célèbre critique d'art autrichien Hermann Bahr (1863-1934), cités dans son essai de 1916 intitulé "Expressionnisme", saisissent parfaitement l'essence d'un courant artistique qui s'est développé principalement dans le nord de l'Europe au début du XXe siècle, rassemblant en son sein différents noyaux, manifestant fortement le besoin de révéler, à travers des compositions principalement figuratives, le monde intérieur des artistes, plutôt que de se concentrer sur la simple représentation de la réalité. En fait, le terme expressionnisme s'éloigne du sens plus générique du mot expression, car tout artiste est capable de se révéler à travers son art, mais seul l'expressionniste amène le spectateur à "vivre" ses émotions les plus intimes, en provoquant chez lui des réactions psychologiques concrètes et violentes. Dans ce contexte, il convient de souligner combien cette innovation figurative du XXe siècle a des origines beaucoup plus lointaines, qui remontent à la fin du XIXe siècle et que l'on retrouve déjà en partie dans les coups de pinceau tourbillonnants de Van Gogh, l'essentialité de Gauguin, le dramatisme et la critique sociale de Munch, ainsi que le langage anti-naturaliste et la déformation de l'art primitif de Munch. En replaçant ce mouvement dans l'histoire de l'art, nous pouvons toutefois nous référer à la pensée de l'historien de l'art Giulio Carlo Argan qui, à la fin du XXe siècle, opposait l'expressionnisme à son prédécesseur, l'impressionnisme : «littéralement, l'expression est le contraire de l'impression. L'impression est un mouvement de l'extérieur vers l'intérieur : c'est la réalité (objet) qui s'imprime dans la conscience (sujet). L'expression est un mouvement inverse, de l'intérieur vers l'extérieur : c'est le sujet qui s'imprime sur l'objet».  

Cécile Duchêne Malissin, L'Infant, 2022. Acrylique / collage sur toile, 120 x 100 cm.

Louise Howard, Les petites bêtes, 2022. Huile sur bois, 140 x 122 cm.

Expressionnisme allemand

"Mais est-ce que c'est encore de l'impressionnisme ?" a été répondu dans la salle : "Non, c'est de l'expressionnisme !".

En 1911, lors d'une réunion de la Sécession Berlin, ces mots prophétiques ont été prononcés par un membre du jury, anticipant l'appellation du mouvement artistique du 20e siècle, plus tard inventée par le critique d'art et historien Wilhelm Worringer. L'expressionnisme allemand a été la réponse des artistes au climat qui régnait en Allemagne au début du XXe siècle, caractérisé par une politique expansionniste qui, visant la naissance d'un État unitaire, était animée par une forte pensée nationaliste, réactionnaire et répressive, des particularités parfaites pour insuffler aux artistes des attitudes ouvertes de rébellion contre l'art officiel et toutes sortes de conformisme. Le premier groupe de l'expressionnisme allemand s'est formé à Dresde en 1905 à partir de la recherche artistique entreprise par quatre étudiants en architecture, élèves de Hermann Obrist, à savoir Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel et Karl Schmidt-Rottluff. Se référant à un passage de l'ouvrage de Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, ce groupe a pris le nom de Die Brücke, qui signifie littéralement "artistes du pont", car il était animé par le désir d'établir un lien avec l'avenir de l'art, visant à réprimer ceux qui tentaient de tuer l'esprit créatif par un moralisme rigide et dépassé. Quant aux caractéristiques stylistiques de Die Brücke, elles sont bien illustrées par l'œuvre de Kirchner, le promoteur le plus convaincu et le plus passionné du mouvement, auteur d'images agressives, caractérisées par des contours nets, des noirs profonds, de forts contrastes de couleurs et des figures disharmonieuses et mordantes, visant à dénoncer les mensonges et les hypocrisies de la société bourgeoise. Le second groupe de l'expressionnisme allemand, né à Munich en 1911 et surnommé Der Blaue Reiter, ou le Cavalier bleu, met davantage l'accent sur les couleurs picturales, au point que les couleurs en viennent à prendre une forte valeur symbolique, ce qui conduit progressivement le mouvement vers l'abstraction.

Yuliia Chaika, "L'heure du yoga" , 2022. Acrylique / pastel sur papier, 29 x 29 cm.

Young Park, Notre amour. Même si nous ne le disons pas. #1, 2022. Acrylique sur toile, 91 x 72,5 cm.

L'expressionnisme français et au-delà

Le mot expressionnisme a été utilisé pour la première fois dans une monographie de Paul Fechter consacrée à "Die Brucke" et "Der Blau Reiter". Par la suite, l'appellation susmentionnée a également été utilisée pour désigner les Fauves (1905-1910), littéralement "les bêtes" ou "les sauvages", c'est-à-dire ce groupe de peintres français dont le chef de file et fondateur était Henri Matisse, et qui se distinguait par son utilisation intense de la couleur, littéralement transformée en véhicule pour communiquer l'état émotionnel de l'artiste. Enfin, il convient de souligner que l'histoire de l'expressionnisme ne s'arrête pas aux seules tendances susmentionnées, puisque dans les années 1970 et 1980, le mouvement a été le protagoniste d'un renouveau international, matérialisé par l'œuvre de grands artistes tels que Jean-Michel Basquiat, Anselm Kiefer et Julian Schnabel. Enfin, le succès de l'expressionnisme est également palpable au sein de l'art contemporain, comme en témoignent les œuvres de certains artistes d'Artmajeur, tels que Erick Seror et Taco Eisma.

Erick Seror, Noir foncé, 2022. Huile sur toile, 81 x 65 cm.

Erick Seror: Noir Foncé

Les visages grotesques et contrits, probablement chargés d'un fort sentiment de malaise, qui caractérisent les deux principaux protagonistes de Noir Foncé, la femme et le soldat, semblent se répéter, presque à l'infini et de manière beaucoup plus dramatique, dans les portraits souffrants disposés uniformément sur le sol, détails lugubres qui rappellent les expressions inquiétantes des sujets immortalisés dans la Nature morte aux masques III d'Emil Nolde et dans L'intrigue de James Ensor. Outre cette affinité partielle présentée avec les grands maîtres de l'expressionnisme susmentionnés, l'artiste d'Artmajeur repropose également le sujet de l'homme en uniforme, protagoniste iconique du tableau de Kirchner Autoportrait en soldat, dans lequel le célèbre artiste allemand, réformé de la guerre en raison de son équilibre mental fragile, s'immortalise symboliquement avec la main droite coupée, donnant lieu à une prise de conscience lucide de sa propre défaite amère.

Picrate, Amitiés sacrées, 2022. Acrylique sur toile, 80 x 80 cm.

Picrate: Amitiés sacrées

L'œuvre de Picrate nous montre comment l'introspection promue par l'expressionnisme conduit également à la production d'œuvres destinées à envoyer des messages positifs, c'est-à-dire capables de traduire en peinture cette sérénité qui caractérise une vie intérieure plus saine et plus équilibrée. Ceci est bien illustré par le regard calme du protagoniste de la toile, placé dans un visage détendu, capable d'attirer même la curiosité d'un petit oiseau, un animal qui se serait sûrement enfui en cas de danger. À cet "hymne à la tranquillité" s'oppose un autre gros plan intense d'une figure masculine, représentée par le célèbre tableau d'Arnold Schönberg intitulé Le regard rouge. Dans ce dernier chef-d'œuvre, probablement un autoportrait de l'artiste, est présenté un visage masculin hiératique et sévère qui, réduit à la forme essentielle d'un triangle et réalisé avec des coups de pinceau élémentaires, se caractérise par ses grands yeux rouges, capables de transmettre au spectateur une lueur inquiétante et ardente, pleine d'angoisse.

Taco Eisma, Ses mots, 2022. Huile sur toile, 60 x 50 cm. 

Taco Eisma: Ses mots

L'intérieur à personnages créé par Taco Eisma se caractérise avant tout par une palette de couleurs vives et intenses, destinées à attirer l'attention du spectateur, afin de l'impliquer dans une histoire d'amour particulière et controversée : une rock star se détend dans la chambre de sa petite amie, tandis que celle-ci lui parle depuis un écran placé sur le mur. Mais écoute-t-il vraiment ? C'est précisément ce doute hamlétique que nous propose l'artiste lui-même, dont l'œuvre se caractérise principalement par la puissance de la couleur, destinée à se matérialiser dans les atmosphères les plus absurdes. En parlant d'histoire de l'art, un autre intérieur qui se distingue par son chromatisme est Le studio rose du maître fauve Henri Matisse, un environnement dans lequel le rose occupe presque tout l'espace, faisant de l'atelier de l'artiste une sorte de prison dorée. En effet, Matisse lui-même écrit à Marcelle Marquet en octobre 1941 : "Je suis trop dans ce que je fais. Je ne peux pas m'en sortir, pour moi il n'y a rien d'autre".


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