La crucifixion du Christ : une tradition figurative en constante évolution

La crucifixion du Christ : une tradition figurative en constante évolution

Olimpia Gaia Martinelli | 17 avr. 2022 7 minutes de lecture 0 commentaires
 

À partir du XVIIe siècle, les représentations du Christ en croix ont connu une grande variété d'interprétations techniques, d'innovations stylistiques et d'expressions de dévotion personnelle et territoriale.....

Jamie Lee, Je t'aime à ce point, 2022. Acrylique sur toile, 40 x 100 cm.

Le récit de la crucifixion du Christ : de l'Évangile selon Marc aux œuvres d'art

L'Évangile selon Marc, l'un des quatre évangiles canoniques du Nouveau Testament, décrit parfaitement les derniers moments de la vie de Jésus crucifié : 

Quand la sixième heure fut venue, il fit nuit sur toute la terre jusqu'à la neuvième heure. Et à la neuvième heure, Jésus s'écria d'une voix forte : "Eloi, Eloi, lama sabachtàni ?", ce qui signifie en traduction : "Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". Et certains de ceux qui étaient présents, entendant cela, dirent : " Voyez ! Appelez Elijah". Un homme courut alors, trempa une éponge dans du vinaigre, la plaça sur un roseau et la leur donna à boire en disant : " Laissez-vous aller ! Voyons si Elijah va venir et la faire descendre". Mais Jésus, en poussant un grand cri, rendit le dernier soupir. Et le voile du temple se déchira en deux, de haut en bas. Or, le centurion qui était présent devant lui, voyant qu'il expirait de cette manière, dit : "Vraiment, cet homme était le fils de Dieu" (Marc 15, 33-39).

Mais comment cet épisode a-t-il été raconté dans l'histoire de l'art ?

Vadim Fedotov, L'âme du navire, 2011. Photographie sur papier, 95 x 65 cm.

Jerome Excoffier, Crucifixion, 2020. Acrylique / huile sur toile, 122 x 100 cm.

La crocifissione nella storia dell’arte

Dans les premiers siècles après la mort de Jésus, aucun art ne représentait sa crucifixion. Ce silence semble représenter une grave anomalie, car le monde romain, dans lequel le christianisme s'est répandu, a toujours abondé en représentations figuratives à des fins de propagande. Les raisons de cette absence d'images ont toutefois été déterminées par l'attitude de l'Église primitive, qui se référait clairement à l'interdiction de la loi juive : "Tu ne feras pas d'idole ou d'image de ce qui est là-haut dans le ciel, ou de ce qui est ici-bas sur la terre, ou de ce qui est dans les eaux sous la terre". En fait, la première représentation du Christ sur la croix, le Graffito d'Alexamenus (200 après J.-C.), provient du monde de la dérision du culte du christianisme, où un tel symbolisme était principalement utilisé pour se moquer et faire honte. Quant à la première crucifixion "autorisée" dans le monde de l'art, elle remonte à 432 après J.-C. et a été sculptée sur un panneau de la porte de la basilique de Sainte-Sabine sur l'Aventin à Rome, où un Christ, les bras tendus et les yeux ouverts, semble avoir vaincu la mort. Toutefois, il faut attendre le concile de Trullan II en 692 pour que la représentation réaliste du Christ dans l'art se généralise, de même que l'importance de la Sainte Croix et sa vénération. Mais à partir de ce moment, l'Église s'est posé d'autres questions, notamment sur la manière de représenter Jésus crucifié. Par une représentation triomphale ou par une représentation d'abattement et de mortification ? À partir du sixième siècle, la deuxième option a été considérée comme plus appropriée pour immortaliser celui qui, pour le salut de l'humanité, avait pris sur lui tous les péchés du monde. Un exemple en est le Jésus, avec son visage allongé et ses grands yeux creux, dans la basilique des saints Cosmas et Damian à Rome (6e siècle).

Graffite d'Alexamenus, 200 après JC. Rome : Palatine Antiquarium.

Panneau de la porte de la basilique de Sainte-Sabine sur l'Aventin, 432 après J.-C., Rome.

Plus tard, une nouvelle évolution de l'art sacré a eu lieu en Italie centrale au XIIe siècle, où les premières croix peintes directement sur bois ont commencé à apparaître, pour être accrochées à l'arc de triomphe des églises. Dans ce contexte, la représentation du Christ triomphal s'est également imposée pendant une courte période, mais a rapidement été remplacée par la représentation plus traditionnelle du Christ souffrant. Ce dernier, avec sa tête inclinée sur ses épaules, ses yeux fermés et son corps courbé dans un spasme de douleur, est parfaitement illustré par le crucifix iconique de Cimabue (vers 1272-1280), conservé dans la basilique de Santa Croce à Florence. L'exaltation dramatique du Christ mourant trouve cependant sa manifestation la plus célèbre dans le crucifix de Giotto (vers 1290-1295), exposé dans l'église de Santa Maria Novella à Florence. Au début du XVe siècle, l'art du panneau de bois peint est remplacé par celui du crucifix sculpté directement sur le bois, comme en témoigne le crucifix en bois de Brunelleschi, daté de 1420 et conservé dans l'église de Santa Maria Novella à Florence.

Cimabue, Crucifix de Santa Croce, 1272-1280 circa. Florence : Basilique de Santa Croce. @metiderraneoantico

Giotto, Crucifix de Santa Maria Novella, 1290-1295 circa. Florence : église de Santa Maria Novella. @abrunetty

Plus tard, le Concile de Trente (1545-1563) a entraîné une forte augmentation de cette production artistique, car il a conféré à l'art un rôle didactique et éducatif important. Par la suite, à partir du XVIIe siècle, les représentations du Christ en croix se sont largement diversifiées, interprétant des techniques, des innovations stylistiques et des expressions de dévotion personnelle et territoriale. Le Christ de Saint Jean de la Croix (1951) de Salvador Dali et le Piss Christ (1987) d'Andres Serrano en sont des exemples. Dans le premier cas, le maître catalan a poursuivi l'intention de créer un Christ inédit qui, plus beau et plus joyeux que celui de ses prédécesseurs, fait explicitement référence à la tradition espagnole du XVIIe siècle, visant à représenter Jésus en croix non pas dans la douleur, mais dans la solitude, plongé dans les ténèbres. En outre, un autre élément qui rend le tableau unique est la perspective innovante, visant à transmettre l'idée que le Christ aux bras tendus a l'intention d'embrasser le monde entier depuis sa croix. Enfin, quant à la photographie Piss Christ d'Andres Serrano, elle capture un petit crucifix en plastique immergé dans un réservoir en verre contenant de l'urine. Ce traitement insultant de l'image de Jésus est en fait une allusion au sentiment de honte et de dégoût que l'on ressent en observant toute image de torture et de mort. En outre, l'acte provocateur de Serrano vise à démontrer comment le spectateur, devenu trop familier avec les représentations traditionnelles, ne peut ressentir de l'indignation qu'à travers des images plus extrêmes.

Salvador Dali, Christ de Saint Jean de la Croix, 1951. Huile sur toile, 205 × 116 cm. Glasgow : Kelvingrove Art Gallery and Museum. @teodorougone

Andres Serrano, Piss Christ, 1987. @nationamuseumswe 

Claude Duvauchelle, Figuration Christique-XI Version-2. Peinture sur toile, 195 x 130 cm.

La Crucifixion du Christ dans les œuvres des artistes d'Artmajeur

L'éternelle actualité de la crucifixion du Christ dans le monde de l'art est bien illustrée par le travail des artistes d'Artmajeur, prêts à nous fournir un instantané fidèle des techniques, des styles et des points de vue les plus innovants, irrévérencieux et à la mode de notre époque. En particulier, les œuvres de Régis Gomez, Alessandro Flavio Bruno et Van Ko Tokusha représentent des points de vue actuels et originaux qui, bien que parfois blasphématoires et irrévérencieux, permettent d'établir un lien fort avec la plus haute tradition figurative du passé. 

Régis Gomez, Crucifixion, 2022. Sculpture en bois / métal / pierre / plâtre / résine / sable, 26,5 x 18 x 18 cm / 1,00 kg.

Régis Gomez: Crucifixion

La sculpture de l'artiste belge Régis Gomes reprend le thème de la crucifixion du Christ et le réinterprète dans un contexte moderne. Si, dans le monde romain, les esclaves, les subversifs et les étrangers étaient crucifiés, ce même monde punit aujourd'hui une canette de Coca-Cola, symbole d'un consumérisme inacceptable et d'une pollution dangereuse. En outre, Crucifixion, qui peut aussi être un peu blasphématoire, fait référence à une autre sculpture qui s'est élevée contre la dynamique du monde contemporain, à savoir McJesus de Janei Leinon. En effet, cette dernière crucifixion représente le clown de McDonald's à la place du Christ, dans l'intention de dénoncer le consumérisme effréné alimenté par les multinationales les plus connues.

Alessandro Flavio Bruno, Ecce chrome, 2021. Acrylique / plâtre / émail / tempera / aluminium / métal / plastique sur bois, 70 x 43 cm.

Alessandro Flavio Bruno: Ecce chrome

Une fois encore, la crucifixion du Christ dans l'art, à laquelle le titre de l'œuvre fait également allusion, est utilisée comme un moyen de dénoncer les maux de la société contemporaine. En fait, Ecce chrome, la première œuvre de la série Langue morte, représente une sorte de crucifixion de la couleur qui, comprise comme art pictural, est de plus en plus remplacée par les nouvelles technologies et les installations. Ainsi, le tableau annonce la mort de la peinture, qui, ayant peut-être épuisé sa capacité d'innovation, ne mérite que la crucifixion.

Van Ko Tokusha: Crucifixion, 2021Encaustique / pastel / cire / bois / gravure sur bois, 36,8 x 61,3 cm.

Van Ko Tokusha: Crucifixion

L'œuvre de l'artiste bulgare Van Ko Tokusha représente une vision plus "classique" de la crucifixion du Christ, dont un seul détail saisissant est représenté : la main droite de Jésus désormais transpercée par un clou. Dans ce contexte "traditionnel", on retrouve toutefois des détails du monde contemporain, tels que les caractéristiques du clou et l'architecture en arrière-plan. Enfin, le sujet de cette peinture est une démonstration claire de la popularité de la crucifixion du Christ au sein de la culture occidentale, car elle est désormais facilement reconnaissable et compréhensible même à travers ses détails les plus iconiques.


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