Art africain contemporain : les premiers jalons d’une reconnaissance

Art africain contemporain : les premiers jalons d’une reconnaissance

Nicolas Sarazin | 11 avr. 2017 4 minutes de lecture 0 commentaires
 

L’art africain est généralement cantonné à sa seule composante «art premier » . Les curateurs font régulièrement dialoguer Picasso et ses contemporains avec des statues ou des reliquaires, mais jamais avec des artistes africains de leur temps...

L’art africain est généralement cantonné à sa seule composante «art premier » . Les curateurs font régulièrement dialoguer Picasso et ses contemporains avec des statues ou des reliquaires, mais jamais avec des artistes africains de leur temps... C’est un peu comme si on ne reconnaissait aux artistes africains contemporains aucune qualité, influence ou valeur sur un marché de l'art, hautement stratégique sur le plan financier et culturel.

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Pourtant, dès les années 1930, les pénétrations des techniques et des modèles européens dans les arts plastiques africains suscitèrent un premier éveil autochtone (ce qu’on appellera "l’art indigène"...). En 1951, Pierre Lods créa un atelier de peinture à Brazzaville, n’imposant aucune règle artistique à ses élèves, les laissant donner libre cours à leur créativité, leur spontanéité et la figuration de leur tradition. L’école de Poto Poto, une des premières écoles artistiques du continent africain, était née. Le style Miké (personnages élancés, colorés) va rapidement se diffuser à toute l’Afrique.

Suite à l’indépendance du Congo en 1960, Pierre Lods est appelé par le président Senghor pour créer au côté d’Ida Ndiaye (un des premiers grands artistes africains modernes reconnu pour sa série de Tabaskis) ce qu’on appellera l’école de Dakar. Chaque élève, initié aux dernières techniques artistiques occidentales, est encouragé à explorer des voies nouvelles sur de nouveaux supports peu utilisés jusque là car, trop onéreux. Les élèves d’Iba Ndiaye vont s'engager dans l’art conceptuel ou abstrait, ceux de Pierre Lods, vont se concentrer sur l'expression plastique de leurs traditions chères au poète et chantre de la négritude, Léopold Sédar Senghor. Ces artistes modernes, Amadou Ba, Amadou Seck, Diatta Seck, Chérif Thiam, Philippe Sène... encensés par Picasso, Soulages ou Chagall lors de leur venue à Dakar pour leurs expositions au Musée Dynamique, constitueront les pionniers admirables de l’art moderne africain, soutenus par un président amoureux des arts et de la culture (30 % du budget de l’État sera consacrés aux arts, du jamais vu!).

Faute d'acheteurs, collectionner les œuvres d’art étant peu pratiqué en Afrique (les objets dits "d'art" en Occident ayant une fonction rituelle ou sacrée), les structures de promotion et les musées disposant de peu de moyens, le statut d’artiste s’avère particulièrement difficile en Afrique.

Quelques individualités, soutenues par un cercle réduit de mécènes, vont néanmoins émerger : les sénégalais Ousmane Sow et Amadou Seck, le ghanéen El Anatsui, le congolais Chéri Samba, le photographe malien Malick Sdibé, le peintre marocain des équidés Hassan EL Glaoui, la potière casamançaise Seni Camara, les sud-africains Irma Stern et William Kentridge, l’éthio-américaine Julie Mehretu...

Différentes initiatives individuelles, telles les Fondations Pigozzi, Zinsu ou Blachère, vont accumuler les œuvres par centaines, en vue d'être montrées et valorisées ultérieurement.

Depuis peu, force est de constater que le marché de l'art africain contemporain connaît un frémissement médiatique important, et un début de structuration.

Il est vrai que l'art africain contemporain est un art original et authentique par ses formes, ses choix de couleurs et de matières et ses inspirations à la fois traditionnelles et actuelles. De ces oeuvres, se dégage beaucoup de vitalité, d'humanité, de rythme et de force. Peu sensible aux effets de mode, aux inclinaisons décoratives et mercantiles d’un art occidental qui se cherche, il revivifie, renouvelle l’art contemporain.

Depuis 2013, une foire d’art africain contemporain appelée «1: 54 »(1 continent, 54 pays) organisée à l'origine à Londres comporte une édition américaine à New York depuis 2016 et aura une extension marocaine à Marrakech en 2018. La première édition de sa concurrente française AKAA ("Also Known As Africa") a eu lieu fin 2016. L’Afrique du Sud est très active avec le FNB Joburg Art Fair et le Cape Town Art Fair.

Un « Africa Art Market Report » a été publié en 2015 qui donne de précieux repères en termes d’analyse du marché d’art africain moderne et contemporain. Il fait clairement apparaître sa sous valorisation et, à l’exception notable de l’Afrique du Sud, une animation limitée à quelques collectionneurs, essentiellement occidentaux.

Les économies du continent africain étant en croissance, les oeuvres des artistes modernes et contemporains étant de grande qualité, quelques collectionneurs locaux faisant une timide apparition, le marché de l’art africain moderne et contemporain est appelé à prendre son essor.

Espérons qu’après avoir été longtemps nié, il échappera à la fièvre spéculative qu’a pu connaître le marché chinois par exemple, et se développera sur la durée dans une logique de réappropriation par les acteurs et les collectionneurs locaux de leur patrimoine culturel et artistique.

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